Dans un travail coordonné par l’Institut Pasteur, les scientifiques décrivent la dynamique de l’épidémie de coqueluche de 2024 en France, la plus importante depuis au moins 25 ans. Les chercheuses et chercheurs ont également séquencé le génome de près de 70 isolats bactériens collectés lors de cette épidémie de janvier à mi-2024. Ces analyses permettent d’avancer plusieurs hypothèses quant à la recirculation actuelle de la maladie.
La coqueluche est une maladie respiratoire particulièrement contagieuse et potentiellement grave voire mortelle pour les plus fragiles comme les nouveaux-nés pas encore vaccinés. Elle est parfois considérée à tort comme une maladie du passé : pourtant chaque année, elle serait à l’origine de 40 millions de cas et de 300 000 décès dans le monde, selon une estimation de l’OMS. S’il est vrai qu’en France, la vaccination a largement permis de faire diminuer le nombre de cas, la coqueluche continue néanmoins de circuler de façon cyclique, avec observation de pics épidémiques tous les trois à cinq ans entre 1997 et 2019.
Une épidémie de coqueluche inédite depuis au moins 25 ans
Depuis la “période Covid", la régularité des cycles a été bouleversée. Alors que l’on pouvait s’attendre à un pic épidémique en 2022 ou 2023, celui-ci s’est fait attendre. En France, comme dans d’autres pays européens, la période coïncidant avec la pandémie de Covid-19 s’est accompagnée d’une très forte réduction de la circulation de Bordetella pertussis, la bactérie à l’origine de la majorité des cas de coqueluche.
En France, depuis le début de l’année 2024, la situation est radicalement différente. Entre le 1er janvier et le 31 mai 2024, 5616 personnes infectées par Bordetella pertussis ont ainsi été recensées. Par ailleurs, selon Santé publique France (SpF), entre le 1er janvier et le 16 septembre 2024, 35 personnes, principalement des jeunes enfants, sont décédées en étant porteuses de la coqueluche. Le nombre de personnes contaminées et décédées depuis début 2024 est très largement supérieur aux nombres relevés lors des pics épidémiques précédents : la coqueluche fait son retour d’une manière inédite.
Une bactérie de la coqueluche différente de la “période pré-Covid”
Comment dès lors expliquer une résurgence aussi forte de la maladie ? Dans une étude récemment publiée et coordonnée par des scientifiques de l’Institut Pasteur, menée en collaboration avec SpF et des laboratoires de diagnostic de ville, plusieurs hypothèses sont avancées. Tout d’abord, les confinements ainsi que les gestes barrières liés à la “période Covid" ont limité l’exposition à plusieurs virus et bactéries pathogènes, dont celles provoquant la coqueluche. Comme l’immunité diminue progressivement avec le temps, toutes ces dispositions, combinées à la faible amplitude des derniers pics observés, ont pu progressivement réduire l’immunité globale de la population contre la maladie, qui d’habitude est entretenue par des infections souvent asymptomatiques jouant le rôle de rappels naturels dans notre population vaccinée. Lors du retour de la coqueluche, elle a rencontré une population plus “naïve” que par le passé, d’un point de vue immunologique vis-à-vis de la maladie.
Mais ce n’est peut-être pas la seule explication. Pour y voir plus clair, les scientifiques ont séquencé le génome de plusieurs isolats bactériens de Bordetella pertussis, prélevés chez des personnes contaminées en 2024. « Sur 67 cas de B. pertussis cultivés et dont le génome entier a été séquencé, nous avons recherché la production des antigènes vaccinaux : nous avons ainsi montré que 66 isolats de B. pertussis produisent la pertactine et 56 l’adhésine FIM2, contrairement aux années pré-Covid où ces deux antigènes étaient beaucoup plus rarement observés. » précise Sylvain Brisse, responsable de l’unité Biodiversité et épidémiologie des bactéries pathogènes et du Centre national de référence de la Coqueluche et autres bordetelloses. Ces deux protéines produites dans la grande majorité des isolats analysés sont des facteurs de virulence ciblés par la vaccination : elles jouent un rôle essentiel dans l’adhésion de la bactérie aux cellules de l’épithélium respiratoire et dans la modulation de la réponse de l’hôte. Leur prédominance actuelle, à l’encontre de ce qui était observé avant la “période Covid”, pourrait également expliquer la très forte circulation actuelle de la coqueluche.
Dernier résultat important, les scientifiques ont également identifié, pour la première fois en France depuis 2011, un isolat bactérien résistant aux macrolides, les antibiotiques de première intention utilisés contre la coqueluche. Si ce type d’isolats est encore très rare en France et plus largement en Europe, sa présence est plus régulièrement observée en Asie et notamment en Chine où il est très répandu. Une découverte supplémentaire qui vient souligner encore un peu plus l’importance de la surveillance des souches bactériennes causant la coqueluche.
Source : Resurgence of Bordetella pertussis, including one macrolide-resistant isolate, France, 2024, Eurosurveillance, 1er août 2024
Carla Rodrigues1,2,* , Valérie Bouchez1,2,* , Anaïs Soares3 , Sabine Trombert-Paolantoni4 , Fatima Aït El Belghiti5 , Jérémie F Cohen6,7 , Nathalie Armatys1,2 , Annie Landier1,2 , Thomas Blanchot3 , Marie Hervo3 , REMICOQ study group8 , Julie Toubiana1,2,6,** , Sylvain Brisse1,2,**
1 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Biodiversity and Epidemiology of Bacterial Pathogens, Paris, France
2 National Reference Center for Whooping Cough and other Bordetella infections, Institut Pasteur, Paris, France
3 Laboratoire Eurofins Biomnis, Lyon, France
4 Laboratoire Cerba, Saint Ouen l’Aumône, France
5 Santé publique France, Infectious Diseases Department, The French Public Health Agency, Saint-Maurice, France
6 Department of General Paediatrics and Paediatric Infectious Diseases, Université Paris Cité, Hôpital Necker-Enfants Malades, APHP, Paris, France
7 Centre for Research in Epidemiology and Statistics (Inserm UMR 1153), Université Paris Cité, Paris, France
8 The members of the REMICOQ study group are listed under Collaborators
* These authors contributed equally to this work and share first authorship.
** These authors co-supervised the work and share last authorship.