Quelques rares patients infectés par le VIH parviennent à maintenir une charge virale suffisamment basse pour pouvoir se passer de traitement. Une étude menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur et des collaborateurs montre que les cellules T CD4+ de ces patients bloquent un récepteur important pour l’entrée du VIH.
On qualifie de « contrôleurs du VIH » les rares patients qui contrôlent naturellement la réplication du VIH en l’absence de traitement antirétroviral. Ces patients sont connus pour héberger des cellules T antivirales particulièrement efficaces, qui contribuent à maintenir une très faible population de cellules infectées. Le VIH cible et détruit préférentiellement les cellules T CD4+ activées, dites « auxiliaires ». Les cellules T CD4+ antivirales sont elles-mêmes activées au contact du virus, et deviennent donc des cibles de l'infection. Pourtant, ces cellules échappent à la destruction chez les contrôleurs, pour des raisons qui demeurent mal comprises. Une étude récente menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm montre que les cellules T CD4+ antivirales des contrôleurs expriment des niveaux inférieurs du co-récepteur CCR5, ce qui amoindrit leur susceptibilité à l’entrée du VIH. Ces résultats sont publiés dans Nature Communications.
Expression diminuée d’un récepteur de chimiokines
Les contrôleurs du VIH, qui représentent moins de 0,5 % des individus infectés, peuvent rester en bonne santé des dizaines d’années sans traitement antiviral. L’ANRS-MIE, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les maladies infectieuses émergentes, a établi en France la cohorte CODEX de contrôleurs du VIH, ce qui a permis l’étude des mécanismes impliqués dans la résistance à la maladie. Il a déjà été démontré que les contrôleurs du VIH possédaient de puissants lymphocytes T cytotoxiques (CD8+) antiviraux capables de tuer efficacement les cellules infectées. De précédentes études du CODEX ont également apporté la preuve que les cellules T CD4+ de ces contrôleurs étaient particulièrement sensibles aux antigènes viraux et qu’elles pouvaient donc maintenir le système immunitaire en état d’alerte constant, en aidant rapidement les autres effecteurs immunitaires dès le début de la réplication du virus. Cependant, il restait à savoir comment ces cellules T CD4+ antivirales, les premières à s’activer au contact du VIH, étaient capables d’éviter l’infection et la destruction immédiates par ce même virus.
Les recherches menées par le groupe de Lisa Chakrabarti, de l’unité Virus et immunité de l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’équipe clinique d’Olivier Lambotte, à l’Inserm, viennent expliquer la persistance d’une population de cellules T CD4+ antivirales chez les contrôleurs du VIH. Assistés de la plateforme UTechS Cytométrie et biomarqueurs, ces chercheurs ont découvert que les cellules T CD4+ en mesure de reconnaître les antigènes du VIH exprimaient, chez les contrôleurs du VIH, des niveaux diminués d’un récepteur de chimiokines appelé CCR5, par comparaison aux patients traités. Le CCR5 jouant le rôle clé de co-récepteur d’entrée du VIH, son expression moindre diminue la sensibilité des cellules T CD4+ spécifiques à l’infection par le VIH.
Bloquer la porte d’entrée du virus
Deux mécanismes étaient impliqués dans l’expression moindre du CCR5 observée chez les contrôleurs du VIH. Dans de rares cas, les contrôleurs étaient porteurs de deux mutations génétiques distinctes qui altéraient l’expression du CCR5 à la surface des cellules. Dans la plupart des cas, les contrôleurs montraient une diminution fonctionnelle de l’expression de CCR5 en raison d’une production abondante de ses ligands, les bêta-chimiokines. En effet, les cellules T CD4+ antivirales des contrôleurs étaient fortement activées par leur récepteur T au contact des antigènes du VIH, ce qui générait des signaux intracellulaires induisant une sécrétion persistante de bêta-chimiokines. Ces chimiokines se liaient à leur tour au CCR5 à la surface des cellules T CD4+ activées, entraînant l’internalisation du récepteur.
Ces résultats montrent que la diminution de l’expression du CCR5 joue un rôle clé dans le contrôle naturel du VIH et suggèrent qu’inactiver ou bloquer le CCR5 pourrait contribuer au développement de stratégies de guérison du VIH.
Ce travail a reçu le soutien financier de PasteurInnov TETRHIS.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Low CCR5 expression protects HIV-specific CD4+ T cells of elite controllers from viral entry, Nature Communications, 26 janvier 2022
Mathieu Claireaux1,2, Rémy Robinot1,2, Jérôme Kervevan1,2, Mandar Patgaonkar1,2,
Isabelle Staropoli1,2, Anne Brelot1,2, Alexandre Nouël1,2, Stacy Gellenoncourt1,2, Xian Tang1,2, Mélanie Héry1,2, Stevenn Volant3, Emeline Perthame3, Véronique Avettand-Fenoël4,5, Julian Buchrieser1,2, Thomas Cokelaer3,6, Christiane Bouchier6, Laurence Ma6, Faroudy Boufassa7, Samia Hendou7, Valentina Libri8, Milena Hasan8, David Zucman9, Pierre de Truchis10, Olivier Schwartz1,2, Olivier Lambotte11,12, Lisa A. Chakrabarti1,2
1 - Unité Virus et immunité, Institut Pasteur, Université de Paris, Paris, France.
2 - CNRS UMR3569, Paris, France.
3 - Hub de Bioinformatique et biostatistique, département Biologie computationnelle, Institut Pasteur, Université de Paris, Paris, France.
4 - AP-HP Hôpital Necker-Enfants malades, Laboratoire de microbiologie clinique, Paris, France.
5 - CNRS 8104, INSERM U1016, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Faculté de médecine, Paris, France.
6 - Plateforme Biomics, C2RT, Institut Pasteur, Université de Paris, Paris, France.
7 - INSERM U1018, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), Le Kremlin-Bicêtre, France.
8 - Cytométrie et biomarqueurs (UTechS CB), Centre de recherche translationnelle, Institut Pasteur, Université de Paris, Paris, France.
9 - Unité VIH, Hôpital Foch, Suresnes, France.
10 - AP-HP, service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Raymond Poincaré, Garches, France.
11 - INSERM U1184, Université Paris-Sud, CEA, service Immunologie des infections virales et des maladies auto-immunes, Le Kremlin-Bicêtre, France.
12 - AP-HP, service Médecine Interne et immunologie clinique, Hôpitaux universitaires Paris-Sud, Le Kremlin-Bicêtre, France.