Près de 70 nationalités différentes se côtoient sur le campus parisien de l’Institut Pasteur, et Anna-Bella, nous vient des antipodes. Elle est née et a vécu jusqu’à ses 18 ans à Papeete en Polynésie Française. Un petit paradis qui évoque de douces images de carte postale mais troublé par la présence de moustiques. Peut-être est-ce pour cela qu’Anna-Bella est devenue entomologiste médicale et spécialiste des moustiques vecteurs.
Anna-Bella Failloux est l’aînée d’une famille qui compte cinq filles. Ses parents sont issus de la 3e génération de chinois arrivés en Polynésie à la fin du 19e siècle ; ils tenaient un petit commerce en centre-ville et ils ne comptaient pas leurs heures de travail. C’est dans ce contexte de « bosseurs » dit-elle, qu’elle s’est investie dans ses études. Elle effectue toute sa scolarité dans les institutions catholiques à Papeete. Mais une fois son baccalauréat en poche, il lui a fallu quitter son île pour poursuivre sa formation.
Elle obtient une bourse et part seule pour la première fois de Tahiti, destination l’université Paul-Sabatier à Toulouse étudier la physiologie végétale. « Je garde un excellent souvenir de ces années à Toulouse, de la cité universitaire, mais quel froid l’hiver ! »
Cinq ans plus tard, elle valide un DEA consacré aux phytophages, les ravageurs de plantes dont les insectes font partie. Sa bourse terminée, retour en Polynésie où elle trouve un poste d’entomologiste à l’Institut Malardé de Papeete. Parallèlement à ce travail, elle se consacre à une thèse sur Wuchereria bancrofti, un ver parasite qui est transmis par le moustique Aedes polynesiensis et provoque une maladie appelée filariose de Bancroft. Cette maladie peut évoluer vers une forme grave, l’éléphantiasis. A l’époque, elle affectait 8% de la population Tahitienne dont 40% était porteuse du parasite.
Un post-doctorat à Paris
Elle connaissait déjà l’Institut Pasteur pour y avoir passé trois mois en 1988 à l’occasion du cours d’entomologie médicale assuré par le Professeur François Rodhain. C’est donc tout naturellement que quelques années plus tard, elle le contacte pour poursuivre des recherches en entomologie. Elle postule alors pour un post-doctorat dans son unité. Ces deux années n’étaient alors pas rémunérées, mais heureusement, en 1996 elle y obtient un poste de chercheuse. Elle travaille sur la dengue et pour enrichir ses connaissances en virologie, elle suit une formation de virologie fondamentale au centre d’enseignement de l’institut.
Connaître et reconnaître ses ennemis
Depuis, Anna-Bella dirige sa propre unité, Arbovirus et insectes vecteurs. Sa spécialité : les moustiques bien sûr, en particulier ceux qui piquent l’homme.
Aedes albopictus, moustique vecteur de la dengue et du Chikungunya
S’il existe plus de 3500 espèces à travers le monde, seuls 15% d’entre eux ont besoin de notre sang , les autres peuvent étancher leur soif sur les chiens, les bœufs, les serpents, et même sur les crocodiles !
Deux espèces dites « urbaines » vivent en contact avec nous : Aedes aegypti et Aedes albopictus, plus connu sous le nom de moustique tigre. D’ordinaire, ils butinent gentiment pour se nourrir de jus sucré, mais lors de la reproduction, la femelle a besoin de protéines. Pour cela, elle pique et prélève son repas de sang. Sa salive entre en contact avec notre organisme et c’est là que les ennuis commencent.
Travailler en réseau et être sur le terrain
Anna-Bella connait bien ces deux espèces, vecteurs de maladies telles que la dengue, le chikungunya, Zika ou encore la fièvre jaune.
Dans son laboratoire, en lien avec le Réseau international des instituts Pasteur, elle reçoit régulièrement des échantillons d’insectes qui sévissent à travers le monde et qui sont à l’origine, parfois, d’épidémies redoutables. Avec son équipe, elle étudie les mécanismes de transmission du virus et comment celui-ci se développe et se multiplie dans son hôte.
Son unité a souvent été impliquée au cours des dernières années sur de nombreux foyers épidémiques. Notre chercheuse est aussi à l’aise dans les laboratoires parisiens que sur le terrain à travers le monde. Ses différentes missions l’ont menée sur les atolls polynésiens à la recherche de moustiques dans les terriers de crabe, en Asie du Sud-Est pour récolter des larves dans les gîtes domestiques comme les récipients abandonnés ou dans des pneus remplis d'eau de pluie. « J’ai même eu à étudier une population de moustiques dans le temple de Ta Prohm à Angkor au Cambodge ou encore au Brésil, dans la forêt de Tijuca où j’ai accompagné une équipe de surveillance des vecteurs de la fièvre jaune…»
Les causes d’une épidémie sont multiples, et toujours étroitement liées aux activités humaines. Il faut donc se rendre sur place pour en étudier les causes : déforestation, urbanisation anarchique ou mauvaise gestion de l’eau.
« Pour se poser les bonnes questions en science, il est nécessaire de prendre connaissance et d’observer de multiples phénomènes. Cela prend du temps... Si on veut aller trop vite et obtenir à tout prix des résultats, on risque de passer à côté de l’essentiel » conclut-elle.
Anna-Bella Failloux en quelques dates
2008 - aujourd’hui : responsable du groupe puis unité Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur
1998 – 2007 : chargée de recherche (département Infection et épidémiologie puis département de virologie)
2000 : habilitation à diriger la recherche (HDR), université Paris XII, France
1996 – 1997 : assistante de recherche, dans l’unité d’Ecologie des systèmes vectoriels
1994 – 1996 : post-doctorat, dans l’unité d’Écologie des systèmes vectoriels dirigée par le professeur François Rodhain, à l’Institut Pasteur
Fièvre jaune au Brésil en 2016 : le moustique tigre peut lui aussi transmettre le virus !