Depuis dix ans, les efforts de la communauté internationale dans la lutte contre le paludisme ont réussi à réduire le nombre de décès liés à cette maladie. L'apparition de résistances aux traitements standards menace toute l'Asie du Sud-Est, et, les nouveaux travaux conduits par l'équipe de Françoise Benoit-Vical directrice de recherche Inserm au sein du Laboratoire de chimie de coordination du CNRS, en collaboration avec l’Institut Pasteur et l’Inserm, ne sont pas rassurants. L'examen in vitro d’une souche de parasites pourtant uniquement exposée à l'artémisinine (le composé de base du traitement standard) montre le développement d'une résistance généralisée à la plupart des autres médicaments antipaludiques. Cette nouvelle résistance n'est pas détectable par les tests utilisés actuellement et constitue une menace supplémentaire pour les traitements antipaludiques sur le terrain. Ces travaux sont publiés dans la revue Emerging Infectious Diseases.
Le paludisme est dû à un parasite véhiculé par les piqûres de moustiques infectés du genre Anopheles. Cette maladie sévit majoritairement en zone tropicale et, s'il est encore responsable de plus de 600 000 morts chaque année, les politiques de lutte contre cette pathologie ont permis une diminution de 60 % de la mortalité en 15 ans. Or, le composé pharmaceutique de base des thérapies antipaludiques, l'artémisinine, rencontre de plus en plus d'échecs cliniques en raison de l'émergence de résistances dans toute l'Asie du Sud-Est. Pour le moment, celles-ci n'ont pas été observées sur le continent africain.
L'artémisinine est la substance active d'une plante chinoise dont les vertus sont connues depuis plus de 2 000 ans. Elle est utilisée en association avec d'autres antipaludiques. L'intérêt de ces associations thérapeutiques réside dans l'assurance que le parasite, même s'il développe une résistance à l'une des deux molécules, a moins de chance de développer une résistance simultanée aux deux molécules.
Néanmoins, face au développement récent et rapide des résistances à l'artémisinine, les scientifiques se doivent de conserver une longueur d'avance sur le parasite. C’est dans ce contexte que l’équipe de Françoise Benoit-Vical, directrice de recherche Inserm au sein du Laboratoire de chimie de coordination du CNRS à Toulouse, en collaboration avec l’Inserm à Toulouse et l’Institut Pasteur à Paris, étudie les mécanismes de résistance développés par Plasmodium falciparum, le parasite responsable du paludisme, et cherche de nouveaux médicaments à visée antipaludique.
Les chercheurs viennent de montrer que les parasites qui subissent in-vitro cinq années de pression médicamenteuse à la seule artémisinine, développent une résistance généralisée à la plupart des autres antipaludiques dérivés ou non de l'artémisinine, y compris aux molécules partenaires présentes dans les combinaisons thérapeutiques utilisées en zone d'endémie.
Les scientifiques ont démontré que ces parasites ne présentent pas de mutation dans un des gènes de résistance connus mais qu'ils échappent à l’effet toxique des médicaments par un phénomène d'endormissement (quiescence). En effet, les parasites sont capables de suspendre leur développement durant toute la durée de l'exposition aux antipaludiques. Dès qu'ils ne sont plus soumis au traitement antipaludique, ils se "réveillent" et prolifèrent à nouveau.
Cette nouvelle multi-résistance basée sur ce phénomène de quiescence n’est pas détectable par les tests actuellement réalisés pour analyser les résistances parasitaires. " Les tests in vitro effectués à partir du sang du patient prédisent une bonne sensibilité et donc l’efficacité du traitement, alors que les parasites sont résistants parce qu'ils sont quiescents. Il est donc indispensable de rechercher sur le terrain avec des tests pertinents et adaptés si le phénomène de multi-résistance que nous avons identifié in vitro est également présent afin de pouvoir concevoir les politiques thérapeutiques en conséquence." explique Françoise Benoit-Vical.
La capacité qu'ont les parasites déjà résistants aux artémisinines de développer une tolérance aux médicaments partenaires est une menace dramatique pour les combinaisons thérapeutiques.
Source
Induction of Multidrug Tolerance in Plasmodium falciparum by Extended Artemisinin Pressure, Emerging Infectious Diseases, 16 septembre 2015
Sandie Ménard, Tanila Ben Haddou, Arba Pramundita Ramadani, Frédéric Ariey, Xavier Iriart, Johann Beghain, Christiane Bouchier, Benoit Witkowski, Antoine Berry, Odile Mercereau-Puijalon, Françoise Benoit-Vical