Les gènes néandertaliens à l’origine de la stimulation immunitaire et des allergies des Hommes modernes

Communiqué de presse
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Lorsque les Hommes modernes et les Hommes de Néandertal se sont rencontrés et croisés en Europe il y a plusieurs millénaires, leur mélange a introduit des variations génétiques qui ont renforcé la capacité de leurs porteurs à se prémunir contre les infections. Mais cet héritage néandertalien en a peut-être également prédisposé certains aux allergies.

Les découvertes relatées dans deux études indépendantes de l’American Journal of Human Genetics le 7 janvier dernier viennent confirmer le rôle majeur des relations inter-espèces dans l’évolution humaine et notamment dans celle du système immunitaire inné, qui sert de première ligne de défense du corps contre les infections.

 

« Nous avons découvert que le croisement avec des humains archaïques – les Hommes de Néandertal et les Dénisoviens – avait influé sur la diversité génétique des génomes actuels au niveau de trois gènes d’immunité innée appartenant à la famille des récepteurs Toll-like humains », indique Janet Kelso de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig, en Allemagne.

 

Lluis Quintana-Murci - Institut Pasteur
 

Lluis Quintana-Murci de l’Institut Pasteur et du CNRS de Paris

Ces gènes, à l’image d’autres gènes d’immunité innée, présentent des niveaux d’ascendance néandertalienne supérieurs à ceux du reste du génome codant. Ces découvertes témoignent de l’importance des cas d’introgression [transfert de gènes entre espèces] dans l’évolution du système immunitaire inné des Hommes.

 

 

Des études avaient précédemment montré que 1 à 6 % des génomes des Eurasiens modernes étaient hérités d’Homininés anciens, tels que les Hommes de Néandertal et les Dénisoviens. Ces deux nouvelles études soulignent l’importance fonctionnelle de cet héritage sur les gènes récepteurs Toll-like (TLR) TLR 1, TLR 6 et TLR 10. Ceux-ci sont exprimés à la surface des cellules, où ils détectent et répondent à des composants de bactéries, champignons et parasites. Ces récepteurs immunitaires sont essentiels au déclenchement de réponses inflammatoires et antimicrobiennes et à l’activation d’une réponse immunitaire adaptative.

Lluis Quintana-Murci et ses collègues se sont lancés dans l’exploration de l’évolution du système immunitaire inné dans le temps. Ils se sont appuyés sur des volumes colossaux de données actuelles issues du projet 1000 génomes, ainsi que sur les séquences de génomes d’Homininés anciens. L’équipe de Lluis Quintana-Murci s’est attachée à une liste de 1500 gènes connus pour jouer un rôle dans le système immunitaire inné. Ils ont ensuite examiné les schémas de variabilité génétique et de changement évolutif de ces régions géniques par rapport au reste du génome en entrant dans un niveau de détail sans précédent. Ils ont enfin daté approximativement la survenue de ces changements dans l’immunité innée et estimé l’ampleur du transfert de cette variation génétique par les Hommes de Néandertal.

Ces recherches ont révélé que certains gènes d’immunité innée avaient peu évolué pendant de longues périodes, démontrant l’existence d’importantes contraintes. D’autres ont subi des balayages sélectifs au cours desquels un nouveau variant s’est rapidement imposé, peut-être en raison d’une mutation environnementale ou d’une épidémie. Les scientifiques rapportent que la plupart des adaptations des gènes codant pour les protéines sont apparues ces 6000 à 13 000 dernières années, avec le passage des populations de la chasse et de la cueillette à l’agriculture.

Mais Lluis Quintana-Murci déclare qu’ils ont été surpris « de découvrir que le groupe de récepteurs TLR 1-TLR 6-TLR 10 figure parmi les gènes présentant la plus grande ascendance néandertalienne chez les Européens et les Asiatiques. »

Janet Kelso et ses collègues sont parvenus à la même conclusion, mais ne se sont pas mis en tête d’étudier le système immunitaire. Ils ont plutôt voulu comprendre plus généralement l’importance fonctionnelle des gènes hérités d’humains archaïques. Ils ont examiné des génomes actuels en quête de régions étendues affichant une grande similitude avec les génomes des Hommes de Néandertal et des Dénisoviens, puis étudié la prévalence de ces régions dans le monde entier. Leurs analyses ont mis en évidence les mêmes trois gènes TLR.

Le groupe de Janet Kelso indique que deux de ces variants géniques se rapprochent du génome des Hommes de Néandertal, et le troisième de celui des Dénisoviens. Son équipe a également démontré que ces variants géniques offraient un avantage sélectif. Les variants de type archaïque sont associés à une augmentation de l’activité des gènes TLR et à une réactivité supérieure aux pathogènes. Bien que cette sensibilité accrue puisse offrir une protection contre les infections, elle peut également accentuer la susceptibilité des Hommes modernes aux allergies.

« Notre étude et d’autres travaux sur l’introgression mettent en évidence les implications fonctionnelles du croisement avec des humains archaïques sur les Hommes modernes et leurs conséquences les plus manifestes, à savoir le façonnage de notre adaptation à notre environnement, améliorant notre mode de résistance aux pathogènes et de métabolisation des aliments nouveaux », souligne Janet Kelso.

Elle ajoute qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, tout cela est en réalité très logique. « Les Hommes de Néandertal, par exemple, vivaient en Europe et en Asie occidentale depuis près de 200 000 ans avant l’arrivée des Hommes modernes. Ils s’étaient probablement bien adaptés au climat, à la nourriture et aux pathogènes locaux. En nous croisant avec ces humains archaïques, nous avons, en tant qu’Hommes modernes, profité des bienfaits de ces adaptations. »

 


Source

Article 1: American Journal of Human Genetics, Deschamps et al.: "Genomic Signatures of Selective Pressures and Introgression from Archaic Hominins at Human Innate Immunity Genes" http://dx.doi.org/10.1016/j.ajhg.2015.11.014

Article 2: American Journal of Human Genetics, Dannemann et al.: "Introgression of Neandertal- and Denisovan-like Haplotypes Contributes to Adaptive Variation in Human Toll-like Receptors" http://dx.doi.org/10.1016/j.ajhg.2015.11.015

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