Depuis près de cent ans, pour les généticiens, plus une cellule se divise plus elle accumule de mutations. Pourtant, des travaux de chercheurs de l’Institut Pasteur montrent que les cellules dites « quiescentes », qui ne se divisent pas, accumulent elles aussi des mutations d’un type particulier : les délétions (mutations par perte de base azotée).
Le terrain de recherche des généticiens est l’hérédité ou la transmission des caractères entre les générations. L’information génétique, responsable de ces caractères, est contenue dans la molécule d’ADN qui est dupliquée à chaque division cellulaire et transmise aux cellules filles. « La machinerie de duplication de l’ADN est suffisamment performante pour transmettre avec une grande fidélité les informations génétique et suffisamment flexible pour la faire évoluer par des variations que l’on nomme mutations », explique Benoît Arcangioli, responsable de l’unité Dynamique du génome à l’Institut Pasteur.
Ce que l’on sait des mutations aujourd’hui
La majorité des mutations ont des effets neutres, et les impacts positifs ou négatifs sur les caractères des cellules, des individus et des espèces sont rares. Cependant, leurs accumulations, sous l’influence de la sélection naturelle, participent à l’évolution des espèces.
Dans ce contexte et depuis près de cent ans, les généticiens expriment les mutations en fonction du nombre de division cellulaire : « Pour faire simple plus une cellule se divise plus elle accumule de mutations », résume Benoît Arcangioli. Toutefois, dans les conditions naturelles, les cellules passent assez peu de temps à se diviser et sont souvent à l’arrêt, ou en quiescence, comme par exemple dans les organismes adultes. Se pose donc la question de savoir si des mutations apparaissent dans ces cellules quiescentes.
Les cellules quiescentes mutent aussi
L’équipe de Benoît Arcangioli à l’Institut Pasteur a montré que l’ADN des cellules quiescentes accumule aussi des mutations. « Ces mutations apparaissent linéairement en fonction du temps et sont différentes de celles qui apparaissant en croissance. » En croissance, les mutations ont tendance à augmenter le nombre des bases A/T (adénine/thymine) au dépend des bases C/G (cytosine/guanine) et les insertions sont plus fréquentes que de délétions. La situation s’inverse en quiescence dans le sens où les changements entre les bases A/T et G/C semblent équilibrés et les délétions dominent les insertions. En conséquence, « l’alternance entre de deux régimes mutateurs permet un équilibre dynamique de la composition et de la taille des génomes dans une espèce donnée ». Il en découle aussi que la quiescence, comme la croissance, est soumise à la sélection naturelle et optimisera la survie des cellules en absence de division.
Un rôle dans le dimorphisme des gamètes mâles/femelles
« Chez de nombreuses espèces, allant des plantes à l’homme, les gamètes mâles se divisent sans cesse alors que l’inverse est observé pour les gamètes femelles, ajoute Benoît Arcangioli. La conséquence majeure de notre article est donc que les gamètes, mâles et femelles, avec des mutations différentes chacun, vont progressivement impacter différemment leurs matériels génétiques. » La combinaison de deux modes mutateurs pourrait ainsi jouer un rôle important dans le dimorphisme des gamètes mâles et femelles.
De plus, en apportant ici la preuve que ces différents modes de mutations surviennent à des moments distincts dans la vie cellulaire (cellules en croissance ou en quiescence), la notion de temps est introduite dans le mécanisme de mutagénèse. « Cette notion de mutations en fonction du temps a deux vertus, résume le chercheur. D’une part, elle facilite un rapprochement avec l’hypothèse de l’horloge moléculaire utilisé pour l’évolution (et qui s’exprime en années) et, d’autre part, elle redonne une force évolutive aux gamètes femelles. »
Source
Quiescence unveils a novel mutational force in fission yeast, Elife, 18 décembre 2017
Serge Gangloff1,2, Guillaume Achaz3, Stefania Francesconi1,2, Adrien Villain1, Samia Miled1,2, Claire Denis1,2, Benoit Arcangioli1,2*
1. Genomes and Genetics, Institut Pasteur, Paris, France;
2. UMR 3525, CNRS-Institut Pasteur, Paris, France;
3. ISYEB UMR7505 CNRS MNHN UPMC EPHE CIRB UMR 7241 CNRS Collège de France INSERM, UPMC, Paris, France