L’entomologie médicale et vétérinaire est une science holistique. Très tôt, dans l’histoire des sociétés humaines, l’homme a eu conscience d’un lien entre insectes, maladies et bien-être. Héritiers d’Aristote, les entomologistes du 21e siècle doivent savoir replacer, et même repenser, le « vecteur » dans ses environnements historiques, sanitaires, socio-économiques, environnementaux, et mobiliser de nombreuses disciplines, complémentaires, de la taxonomie à la santé publique.
Cette dimension historique est souvent largement méconnue des entomologistes eux-mêmes. Le chemin n’a été ni rapide, ni droit, ni facile pour arriver à ce qui nous parait aujourd’hui si évident : des arthropodes hématophages peuvent transmettre des agents pathogènes, responsables de maladies animales ou humaines. Puissent les jeunes entomologistes imaginer ce qu’il a fallu de perspicacité, mais aussi d’abnégation et de courage à nos aînés pour nous conduire au corpus actuel. Ils restent un modèle lorsque nous devons aborder une question nouvelle. Le livre d’Erik Orsenna suscitera surement des vocations, même tardives, et qui sait, certains lecteurs verront à leur tour leur nom passer à la postérité grâce à leurs découvertes et à leurs travaux !
L’entomologie médicale et vétérinaire
C’est seulement à la fin du 19e siècle que l’entomologie proprement médicale et vétérinaire s’est développée. C’est donc généralement postérieurement à cette période, qui a permis de comprendre le rôle des vecteurs dans la diffusion des agents pathogènes et donc des maladies, que les historiens ont pu intégrer les maladies à vecteurs comme facteur de l’évolution de nos sociétés. A titre d’exemples significatifs, on cite les conquêtes d’Alexandre le Grand, freinées en moins 323 avant JC par son décès attribué selon les auteurs au paludisme (Anopheles) ou à une fièvre à virus West Nile (Culex) ; les invasions arabes et la diffusion de l’islam en Afrique noire, limitées par la trypanosomose des chevaux (glossines), les pertes humaines majoritairement dues au paludisme durant la « conquête » de Madagascar par les troupes coloniales en 1895 (Anopheles), les trois millions de morts attribués au typhus de la grande guerre (poux), sans parler des grandes pandémies de « peste noire » en Europe à partir du 14e siècle (puces). Depuis le milieu du 19 e siècle ce sont donc des centaines de maladies à transmission vectorielle qui ont été décrites chez les hommes, les animaux domestiques ou de rente ou parmi la faune sauvage. Les agents pathogènes sont des virus, des bactéries, des protozoaires, des filaires. Les vecteurs appartiennent à de nombreux groupes d’Arthropodes. Pourtant, certains arbovirus sont encore orphelins de leurs vecteurs, ou bien orphelins de leur hôte vertébré s’ils ont été isolés uniquement chez des arthropodes. Il reste donc des découvertes à faire pour les entomologistes médicaux et vétérinaires !
D’inévitables nouvelles maladies infectieuses
Charles Nicolle, dans Destin des maladies infectieuses, écrivait déjà en 1933, qu’« il y aura des maladies infectieuses nouvelles. C’est un fait fatal ». Aucun doute que certaines des maladies, qui émergent et émergeront de foyers sauvages, à l’issue de bouleversements (changements environnementaux, climatiques, démographiques, sociétaux, culturels, sanitaires, économiques, etc..) seront à transmission vectorielle. L’évolution des systèmes vectoriels, c’est-à-dire les variations dans la présence, la distribution et l’abondance des hôtes vertébrés, des vecteurs et des agents pathogènes, et leurs relations entre eux, dépend de l’évolution de leur environnement, au sens large.
Ces phénomènes sont multifactoriels. La compréhension et le contrôle des maladies à transmission vectorielle doivent absolument être appréhendés avec une approche globale « une seule santé » (One Health), qui prend en compte les équilibres et les déséquilibres sanitaires non seulement de l’homme ou des animaux domestiques, mais également des autres espèces animales et végétales. Cette complexité ne doit pas rebuter l’entomologiste mais au contraire le stimuler. Quelle satisfaction de préciser un cycle de transmission, d’identifier un vecteur nouveau, de développer une technique de lutte prenant en compte de nouvelles connaissances sur la biologie et la génétique des vecteurs. Chaque événement d’infection à transmission vectorielle est un cas particulier, répondant à ses propres déterminants environnementaux et socio-économiques. Les changements globaux se manifestent de manières multiples et ont des conséquences locales très diverses, n’aboutissant pas nécessairement à des augmentations des risques sanitaires. Le pire n’est jamais sûr. Mais le pire doit être envisagé.
C’est le rôle de l’entomologiste, avec ses partenaires des autres disciplines, de prendre le recul historique nécessaire, d’identifier les paramètres impliqués dans la transmission, d’évaluer l’importance des différents facteurs, sans dramatiser, ni minimiser, et in fine, d’évaluer les risques et de faire des recommandations de surveillance, de protection ou de lutte se basant sur les connaissances et les outils à disposition.
Texte de Didier Fontenille, directeur de recherche IRD, directeur de l’Institut Pasteur du Cambodge, Vincent Robert, directeur de recherche IRD, et Gérard Duvallet, professeur de l’université Montpellier III..
Ce texte illustre le dossier "Géopolitique du moustique" - Aller plus loin avec nos experts, publié à l'occasion de la sortie du livre d'Erik Orsenna Géopolitique du moustique, Ed. Fayard.
Source :
Extrait du livre : Duvallet G., Fontenille D., Robert V., eds, 2017. Entomologie médicale et vétérinaire. Marseille-Versailles, IRD Editions- Quae, 650 p.