Comment notre cerveau forme-t-il et utilise-t-il des souvenirs distincts d’événements se ressemblant ? Des chercheurs de l’Institut Pasteur (Paris) ont associé des techniques d’imagerie et d’enregistrement du comportement pour mesurer l’activité des neurones dans l’hippocampe de souris. Ils ont ainsi observé que la région d’entrée de l’hippocampe décelait les moindres changements d’environnement familier / inconnu, et que la région de sortie, elle, pondérait ensuite ces informations pour guider les décisions comportementales. Leurs découvertes éclairent sur la façon dont le cerveau maintient l’équilibre subtil entre la création de nouveaux souvenirs et la remémoration de souvenirs existants.
La mémorisation et la remémoration de souvenirs distincts relèvent de fonctions cérébrales essentielles qui contribuent à guider notre comportement au quotidien. En déplaçant le lit de notre chambre, par exemple, nous modifions l’aspect de la pièce. Notre cerveau doit pouvoir détecter ce léger changement pour que nous évitions de nous cogner, mais il doit également retenir qu’il s’agit toujours de notre chambre. À l’inverse, une chambre même très semblable à la nôtre doit être considérée par le cerveau comme un nouveau souvenir distinct. « Cette tâche semble relever d’une structure cérébrale appelée hippocampe », explique Christoph Schmidt-Hieber, responsable du laboratoire Circuits neuronaux de la navigation et de la mémoire spatiales (groupe de recherche junior ou G5) à l’Institut Pasteur (Paris). « Cependant, le lieu et le mode de formation, dans l’hippocampe, des souvenirs distincts d’objets ou d’événements similaires restent flous. De même, nous savons étonnamment peu de choses sur la façon dont ces représentations mémorielles sont ensuite utilisées pour guider notre comportement. »
Lien entre performances comportementales et activité des neurones dans l’hippocampe
Pour en savoir plus sur ces aspects fondamentaux, il convient de mesurer l’activité de populations de cellules cérébrales – les neurones – chez des animaux exprimant un comportement. À cette fin, Manuela Allegra, première auteure de l’étude, associe de nouvelles techniques d’imagerie et de comportement : « Nous utilisons l’imagerie biphotonique, une technique de microscopie qui nous permet d’observer l’activité de chaque neurone identifié dans les profondeurs du cerveau pendant que les souris évoluent dans un environnement de réalité virtuelle. » Sur leur trajet virtuel, une récompense sous forme d’eau sucrée incite les souris à s’arrêter, ce qui les entraîne à repérer de légères différences dans l’environnement virtuel, telles qu’une variation de l’angle des bandes recouvrant les murs. « Ces expériences nous permettent d’établir un lien entre les performances comportementales et l’activité des neurones de différentes sous-régions de l’hippocampe. Nous avons constaté que les neurones de la structure d’entrée de l’hippocampe – le gyrus denté – excellaient dans la détection des différences légères comme importantes entre deux environnements. » En revanche, l’activité neuronale dans la région de sortie, appelée CA1, traduit la performance comportementale et se révèle proportionnelle à la différence entre les environnements.
Ces découvertes suggèrent que le gyrus denté effectue un « marquage » des différents environnements en fonction de variables externes et internes, et qu’en aval, le circuit CA1 exploite ces informations pour former un nouveau souvenir si le degré de saillance du nouvel environnement est suffisant. Les souvenirs distincts qui en résultent peuvent ensuite être utilisés pour guider le comportement.
Rôle de l’hippocampe dans la formation de souvenirs distincts
En établissant un lien entre les performances comportementales de l’animal et les réponses neuronales des structures d’entrée et de sortie de l’hippocampe, les travaux des chercheurs offrent un nouvel éclairage sur les processus fondamentaux qui sous-tendent la formation des souvenirs. « Ils viennent clore un long débat en apportant une explication aux résultats controversés d’études antérieures sur le rôle des régions de l’hippocampe dans la formation des souvenirs », conclut Christoph Schmidt-Hieber.
Ces travaux ont reçu le soutien financier de l’ERC (StG 678790 NEWRON pour C. S.-H. et MSCA 800027 FindMEMO pour M. A.), du Conseil Pasteur-Weizmann, de l’École doctorale Cerveau-Cognition-Comportement (ED3C, ED n° 158, contrat doctoral n° 2802/2017 pour R. G.-O.) et du programme d’allocations Pasteur-Roux (pour M. A.).
Source
Differential relation between neuronal and behavioral discrimination during hippocampal memory encoding, Neuron, 16 octobre 2020
Manuela Allegra1, Lorenzo Posani1,*, Ruy Gómez-Ocádiz1,2, Christoph Schmidt-Hieber1,**
1 Department of Neuroscience, Institut Pasteur, 25 Rue du Dr Roux, 75015 Paris, France
2 Sorbonne Université, Collège Doctoral, 75005 Paris, France
* Current address: Center for Theoretical Neuroscience, Mortimer B. Zuckerman Mind Brain
Behavior Institute, Columbia University, New York, NY, USA
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.