Les parasites du genre Plasmodium, responsables du paludisme, sont transmis à l’homme par des piqûres de moustiques infectés. Et pour s’acclimater à ces deux hôtes complètement différents, le parasite va se transformer grâce à la plasticité de lecture de son génome. C’est justement les mécanismes épigénétiques à l’origine de cette plasticité, et plus précisément la méthylation de l’ADN, que des scientifiques de l’Institut Pasteur et du CNRS ont décidé de cibler. Ils ont ainsi identifié des molécules capables d’inhiber la méthylation de l’ADN et de tuer efficacement le parasite Plasmodium falciparum, même les plus résistants. Les résultats de ces travaux ont été publiés le 27 novembre 2019 dans la revue ACS Central Science.
Le paludisme touche plus de 200 millions de personnes chaque année dans le monde et les résistances aux traitements antipaludiques ne cessent d’augmenter. A l’origine de cette maladie infectieuse, des parasites, les Plasmodies, capables de s’adapter à des environnements variés. En effet, au cours de son cycle, le parasite va vivre dans les glandes salivaires du moustique, son vecteur, puis infecter le foie puis le sang de l’homme, son hôte. « A chaque étape du cycle, des mécanismes épigénétiques – via la modification des histones[1] ou de l’ADN –, régulent l’expression des gènes du parasite, ce qui va permettre l’expression spécifique de certains gènes dans la cellule, à un moment donné, et l’adaptation du parasite à son environnement », explique Flore Nardella, chercheuse contractuelle du laboratoire de Biologie des interactions hôtes-parasites (Institut Pasteur / CNRS / Inserm).
En 2019[2], son laboratoire, dirigé par Artur Scherf, chercheur CNRS, mettait en évidence l’importance des modifications épigénétiques de l’ADN dans le cycle de vie du parasite. De son côté, le laboratoire Chimie biologique épigénétique de l’Institut Pasteur possédait une expertise inégalée dans le domaine des inhibiteurs de méthyltransférases de l’ADN. Une collaboration s’est donc naturellement imposée entre les chercheurs afin d’identifier des molécules capables de bloquer la méthylation de l’ADN et de tuer les parasites. « L’équipe d’Artur avait une bonne connaissance des mécanismes épigénétiques dans le paludisme, et nous, une chimiothèque originale avec des inhibiteurs déjà optimisés pour ces modifications », résume Paola B. Arimondo, chimiste, directrice de recherche CNRS, responsable de l’Unité chimie biologique épigénétique (Institut Pasteur / CNRS).
Les scientifiques décident donc de travailler sur le parasite Plasmodium falciparum, et notamment sur des souches de parasites résistances à l’artémisinine[3] fournies par l’Institut Pasteur du Cambodge. Lors d’une première série d’expériences, in vitro, les parasites Plasmodium falciparum sont mis en présence de globules rouges humains afin qu’ils puissent les infecter et s’y développer. Plus de 70 molécules inhibitrices de la méthylation sont alors testées pour évaluer leur efficacité et leur spécificité – les molécules devant agir sur les parasites. « Dès les premières molécules testées, on a vu des activités très importantes, comparables à celles de médicaments comme la chloroquine, se remémore Flore Nardella. Phénomène très rare quand on teste une nouvelle librairie de molécules ». « Les molécules inhibitrices étaient très efficaces et certaines d’entre elles tuaient les Plasmodium falciparum du sang en seulement 6 heures de temps », rajoute Paola B. Arimondo.
Les scientifiques poursuivent alors leurs recherches. Dans une deuxième série d’expériences, les molécules les plus efficaces sont testées sur des isolats résistants et, là encore, les résultats sont sans appel : les parasites sanguins sont tués efficacement. « Cette étude montre, pour la première fois, que l’on peut tuer rapidement les parasites dans le sang en ciblant la méthylation de l’ADN, y compris les souches résistantes à l’artémisinine », souligne Paola B. Arimondo. « Face à l’échec thérapeutique rencontré en Asie du Sud-Est notamment, il est important de trouver de nouvelles cibles thérapeutiques. Et la méthylation pourrait ouvrir la voie à de nouveaux médicaments susceptibles de vaincre, en association avec l’artémisinine, les parasites résistants », ajoute Flore Nardella.
Dans une dernière étape, l’équipe scientifique teste les inhibiteurs, in vivo, chez des souris infectées par le parasite Plasmodium berghei. Et, une nouvelle fois, l’approche fait ses preuves : le traitement tue les parasites du sang et les souris survivent au paludisme cérébral. Prochaines étapes pour ces deux équipes de recherche : continuer à optimiser la sélectivité et l’efficacité des molécules les prometteuses (étapes indispensables pour utiliser ces molécules chez l’homme), et identifier des molécules susceptibles d’agir sur d’autres stades de développement du parasite impliqué dans la transmission.
[1] Protéines permettant à l’ADN de se compacter de façon plus ou moins importante.
[2] Discovery of a new predominant cytosine DNA modification that is linked to gene expression in malaria parasites, Nucleic Acids Res, 2019 doi.org/10.1093/nar/gkz1093
[3] Médicament antipaludique actuellement le plus efficace, mais qui montre des résistances en Asie du Sud-Est.
Source
DNA Methylation Bisubstrate Inhibitors Are Fast-Acting Drugs Active against Artemisinin-Resistant Plasmodium falciparum Parasites, ACS Central Science, 27 novembre 2019
Flore Nardella,† Ludovic Halby,‡ Elie Hammam,†,§ Diane Erdmann,‡,∥ Veronique Cadet-Daniel, ‡ Roger Peronet,† Didier Menard,†,⊥ Benoit Witkowski,⊥ Salah Mecheri,† Artur Scherf,*,† and Paola B. Arimondo*,‡
† Unité Biologie des Interactions Hôte-Parasite, Departement de Parasites et Insectes Vecteurs, Institut Pasteur, CNRS ERL 9195, INSERM Unit U1201, 25-28 Rue du Dr Roux, Paris 75015, France
‡ Epigenetic Chemical Biology, Department of Structural Biology and Chemistry, Institut Pasteur, UMR n°3523, CNRS, 28 Rue du Dr Roux, Paris 75015, France
§ Ecole Doctorale Complexité du Vivant ED515, Sorbonne Universites, Paris 6, Paris 75005, France
∥ Ecole Doctorale MTCI ED563, Université de Paris, Sorbonne Paris Cite, Paris 75006, France
⊥Malaria Molecular Epidemiology Unit, Pasteur Institute in Cambodia, Phnom Penh, Cambodia