On le sait désormais, les maladies neurodégénératives sont dues à l’agrégation dans le cerveau de protéines « mal repliées ». Des protéines toxiques pour les neurones qui peuvent se propager, de cellules en cellules, grâce à de minuscules tunnels : les nanotubes. Après avoir imagé en détail leur structure (1), les chercheurs de l’unité de Trafic membranaire et pathogenèse dirigée par Chiara Zurzolo, à l’Institut Pasteur, s’intéressent aujourd’hui aux mécanismes de formation de ces nanotubes et à la propagation des protéines alpha-synucléine anormales caractéristiques de la maladie de Parkinson. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans les revues European Molecular Biology Organization et Neurobiology of Disease.
Dans le cerveau, les neurones communiquent entre eux grâce à des milliers de connections synaptiques. Mais ils peuvent disposer d’un autre moyen pour s’échanger des informations : il s’agit des nanotubes (tunnelling nanotube ou TNT en anglais). Ces minuscules tunnels – des tentacules de 20 à 500 nanomètres de diamètre et de 100 μm de long pour les plus grands – permettent aux neurones, comme à toutes les cellules de l’organisme, de s’échanger des molécules de signalement, des protéines, des organites telles que des mitochondries mais aussi… des agents pathogènes. Les chercheurs de l’unité de Trafic membranaire et pathogenèse, dirigée par Chiara Zurzolo à l’Institut Pasteur, ont découvert que c’est ainsi que les protéines amyloïdes à l’origine des maladies neurodégénératives circulent entre les cellules pour, au final, les détruire. Concernant la maladie de Parkinson, c’est la protéine alpha-synucléine agrégée qui emprunte ce réseau de nanotubes pour se répandre et s’accumuler au sein même des neurones. « Nous avons proposé qu'il s'agissait d'un mécanisme clé pour la propagation de la pathologie à l'ensemble du cerveau et donc pour la progression de la maladie de Parkinson, explique Chiara Zurzolo. Il est donc crucial de comprendre comment se forment les TNT pour mettre au point des stratégies thérapeutiques visant à enrayer la progression de la maladie. »
Dans une nouvelle étude, l’équipe de Chiara Zurzolo s’est donc intéressée aux mécanismes de formation et de régulation des nanotubes dans les neurones. Son objectif était alors d’identifier, dans des cellules et neurones de souris en culture, les acteurs moléculaires impliqués dans la croissance de ces extensions cellulaires à base d’actine. Premier résultat : la voie de signalisation Wnt/Ca2+, essentielle dans le développement cellulaire, joue également un rôle clé dans la formation des nanotubes et dans leur stabilité chez les neurones. Grâce à la microscopie à super-résolution, qui permet d’accéder à des structures nanoscopiques, les chercheurs ont pu établir que des protéines kinase II (2) se fixaient au cytosquelette d’actine, à la base des nanotubes, contribuant à la stabilité de ces structures en augmentant leur durée de vie. Autre résultat : l’activation de la voie de signalisation Wnt/Ca2+ favorise le transport des agglomérats d’alpha-synucléine d’un neurone à l’autre, cet acheminement étant altéré chez des souris mutantes. Comme si, finalement, la présence d’agrégats d’alpha-synucléine « mal repliées » induisait la formation des tunnels utiles à leur propre dissémination dans le cerveau. « Cette étude renforce notre hypothèse selon laquelle les connexions TNT sont présentes aux premiers stades du développement et peuvent se former plus tard chez l’adulte, dans le cerveau mature, lorsqu'elles sont induites par des stimuli nocifs comme la présence de protéines amyloïdes », avance Chiara Zurzolo.
Dans une seconde étude, les chercheurs ont tenté de savoir ce qui se passait lorsque des cellules souches sont transplantées chez des patients atteints de la maladie de Parkinson, comme approche thérapeutique. En effet, lors de la greffe de cellules souches pluripotentes induites (3), seule la moitié se différencient et donnent naissance aux neurones dopaminergiques susceptibles de combler les lacunes du cerveau malade et d’améliorer les symptômes. Des études antérieures avaient déjà mis en évidence que les protéines alpha-synucléine anormales du cerveau hôte étaient capables de « contaminer » le greffon. Cette fois-ci, l’équipe de Chiara Zurzolo a poussé les investigations et étudié, in vitro, des cellules précurseurs de neurones issues de cellules souches pluripotentes induites. En premier lieu, elle a confirmé que les alpha-synucléine agrégées pouvaient s’introduire chez les cellules neurales humaines. Il a ensuite été démontré que ces cellules pouvaient détruire les protéines toxiques, tout comme peuvent le faire les astrocytes, ces cellules gliales particulièrement efficaces pour la destruction des agents pathogènes, mais aussi de les transmettre aux autres cellules et neurones, grâce aux nanotubes. Conclusion : les cellules précurseurs de neurones, chez lesquelles les nanotubes ont été mis en évidence pour la première fois, peuvent jouer un double rôle dans la progression de la maladie.
Ces recherches offrent ainsi de nouvelles pistes pour mettre au point des traitements susceptibles de bloquer la propagation de l’alpha-synucléine, en ciblant la voie de signalisation Wnt/Ca2+ par exemple, ou encore optimiser le résultat des greffes chez les patients atteints de la maladie de Parkinson.
(1) Lorsque la structure des « tunneling nanotubes » (TNT) remet en question le concept même de cellule
(2) protéines régulées par le complexe Ca2+/calmoduline.
(3) cellule souche pluripotentes obtenues, en laboratoire, à partir de cellules somatiques prélevée chez le patient.
Sources
The Wnt/Ca2+pathway is involved in interneuronal communication mediated by tunneling nanotubes, The EMBO Journal, 18 octobre 2019
Jessica Y Vargas1,†, Frida Loria1,†, Yuan-Ju Wu1,†, Gonzalo Córdova2, Takashi Nonaka3,Se bastien Bellow4, Sylvie Syan1, Masato Hasegawa3, Geeske M van Woerden5,6, Capucine Trollet2 & Chiara Zurzolo1*
1. Unité de Trafic Membranaire et Pathogénèse, Département de Biologie Cellulaire et de l’Infection, Institut Pasteur, Paris, France
2. Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Association Institut de Myologie, Centre de Recherche en Myologie, UMRS974, Sorbonne Université, Paris, France
3. Department of Dementia and Higher Brain Function, Tokyo Metropolitan Institute of Medical Science, Tokyo, Japan
4. BioAxial, Paris, France
5. Department of Neuroscience, Erasmus Medical Center, Rotterdam, The Netherlands
6. ENCORE Expertise Center for Neurodevelopmental Disorders, Erasmus Medical Center, Rotterdam, The Netherlands
†These authors contributed equally to this work
*Corresponding author
Human NPCs can degrade α–syn fibrils and transfer them preferentially in a cell contact-dependent manner possibly through TNT-like structures, Neurobiology of Disease, 5 septembre 2019
Clara Grudina1, Georgia Kouroupi2, Takashi Nonaka3, Masato Hasegawa3, Rebecca Matsas2, Chiara Zurzolo1*
1. Unité de Traffic Membranaire et Pathogénèse, Institut Pasteur, 28 Rue du Dr. Roux, Paris 75015, France
2. Laboratory of Cell and Molecular Neurobiology–Stem Cells, Department of Neurobiology, Hellenic Pasteur Institute, 127 Vassilissis Sofias Avenue, Athens 11521, Greece
3. Dementia Research Project, Tokyo Metropolitan Institute of Medical Science, 2-1-6 Kamikitazawa, Setagaya-ku, Tokyo 156-8585, Japan
*Corresponding author
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.