Sarah Bonnet est ticologue ! C’est le terme consacré pour désigner une spécialiste des tiques. Enseignante, chercheuse et femme de terrain, elle est plus largement entomologiste vétérinaire et médicale. Ses recherches sont focalisées sur la tique et ses nombreuses espèces, si mal connues. Enthousiaste et pédagogue, c’est avec plaisir qu’elle partage son expertise et ses projets d’avenir. Les bouleversements actuels, qu’ils soient climatiques, environnementaux ou sociétaux, laissent présager la nécessité de s’intéresser de près aux tiques, vectrices de multiples agents pathogènes.
De retour à la « maison »
Après avoir soutenu sa thèse et réalisé un post-doctorat à l’Institut Pasteur, puis travaillé presque vingt ans pour l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), la voici de retour sur le campus parisien. C’est dans le cadre d’un partenariat Institut Pasteur-Inrae, d’envergure internationale, qu’elle poursuit ses recherches sur l’acarien hématophage (qui se gorge de sang).
Ses premières rencontres scientifiques ont été décisives et inspirantes. Lors de son DEA et de sa thèse à l’Institut Pasteur dans l’unité de François Rodhain, Sarah a rencontré des entomologistes qui possédaient une expertise en écologie des systèmes vectoriels. Sarah revendique aujourd’hui cet héritage.
Légende : En 1997, lors de sa thèse, prospection paludisme à Nkolbeck (100kms Est de Yaoundé), Sarah Bonnet (chercheur épidémiologiste), Orstom.© IRD - Jean-Yves Meunier
Mes mentors partaient sur le terrain, relevaient des données et collectaient des échantillons. De retour au laboratoire, ils travaillaient avec ce matériel. Ils examinaient une problématique dans son ensemble.
Les tiques, la maladie de Lyme, mais pas que….
Ils existent environ 900 espèces de tiques recensées dans le monde et plus de 40 espèces, juste en France. Ces acariens, ectoparasites (parasite externe) et hématophages, sont en général mal connus du grand public. Si la plupart des tiques sont inoffensives pour l’être humain, plusieurs espèces peuvent transmettre des agents pathogènes zoonotiques ; les plus importantes appartiennent aux genres Ixodes et Dermacentor pour la France. Sarah connait bien celles présentes sur notre territoire et celles qui sévissent dans d’autres régions du monde.
« Les moustiques, vecteurs de nombreux agents pathogènes dans l’hémisphère sud, sont très étudiés. En revanche, les tiques qui représentent pourtant le premier vecteur d’agents pathogènes pour les animaux et les êtres humains dans l’hémisphère nord, restent peu étudiées : il reste beaucoup à faire ! »
L’homme est un hôte accidentel. Dans leur milieu naturel, les tiques se nourrissent et se reproduisent en parasitant des animaux domestiques, de rente et/ou sauvages. Mais certains changements, climatiques, environnementaux et/ou socio-économiques conduisent les scientifiques à s’intéresser de plus près aux tiques. Face à cet intérêt et pour répondre à une demande croissante, Sarah a mis en place et coordonne avec des collègues des hôpitaux Henri Mondor et Intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges et de l’Ecole Vétérinaire d’Alfort, un enseignement universitaire (DU-UPEC) sur « Zoonoses liées aux tiques : Impact pour l'Homme et l'animal dans une approche One Health ».
Anticiper les risques liés aux changements globaux
Le changement et le réchauffement climatique bouleversent les écosystèmes. Si les espèces de tiques qui vivent en France apprécient un climat humide, d’autres espèces telle que Hyalomma marginatum qui aiment les longs étés chauds, ont été recensées sous des latitudes inhabituelles. Récemment installée dans le sud de la France, cette espèce appartient à un genre endémique en Afrique, dans les Balkans, au Moyen-Orient et en Asie, qui peut transmettre le virus de la fièvre hémorragique de Crimée Congo. Cette maladie zoonotique est létale pour 10 % à 40 % des êtres humains infectés. Il n’existe aucun vaccin pour le moment. Des cas sont rapportés annuellement en Espagne depuis 2016, quand des épidémies sont récurrentes en Turquie depuis très longtemps.
Avec des températures avoisinant les 40°C dans les grandes villes l’été, l’urbanisme d’aujourd’hui s’oriente vers une végétalisation des espaces urbains avec notamment la création de coulées vertes reliant les zones rurales aux zones urbaines. C’est une très bonne idée pour de nombreuses raisons, mais attention ! Il faut le faire en connaissance de cause. Il ne faudrait pas, par exemple, créer en ville des gîtes propices aux moustiques, ou encore des accès pour la faune sauvage porteuse de tiques.
Actuellement, Sarah mène avec R. Paul un projet supporté par le Labex IBEID, qui vise à cartographier les risques liés aux tiques selon un gradient d’urbanisation en Île-de-France. Partenaire du projet européen He-farm, Sarah s’intéresse aussi à cette problématique en fonction des pratiques d’élevage pour les animaux de rente.
Mettre en place des réseaux internationaux de surveillance
« Ce partenariat INRAE - Institut Pasteur est une synergie de forces et de compétences essentielles pour l’étude des risques sanitaires liés aux tiques, au niveau international et dans un contexte OneHealth. »
La synergie de ces compétences a permis de créer un collectif de recherche rare sur la thématique des maladies émergentes à tiques. Il allie recherche et développement en lien avec la gestion de ces maladies dans une approche « One Health ». Avec S. Boyer (Institut Pasteur du Cambodge), Sarah réalise des formations au Cambodge afin de développer l’entomologie vétérinaire dans le pays. Avec A-B Failloux (Institut Pasteur de Paris) et Y. M'ghirbi, (Institut Pasteur de Tunis), elle participe à la mise en place d’un réseau au sein du Pasteur Network, afin de créer des liens entre les laboratoires travaillant sur les tiques et maladies associées ou souhaitant le faire.
Un nouveau bâtiment est aussi prévu sur le campus parisien de l’Institut Pasteur qui abritera des recherches sur les « vecteurs » et hébergera différents élevages de tiques. Sarah apporte son expertise dans ce domaine et ces élevages fourniront le matériel biologique nécessaire aux projets développés dans le futur.
Trouver un marqueur biologique fiable pour surveiller les maladies liées aux tiques
Les collectes de terrain sont insuffisantes pour « cartographier » l’exposition des individus aux tiques et aux agents pathogènes qu’elles hébergent. La solution consiste, pour notre chercheuse, à mettre en place des marqueurs fiables pour évaluer ces risques. (Légende photo : Collecte de tique en Ile de France)
« En réalisant une simple prise de sang aux personnes ou animaux exposés, la présence d’anticorps spécifiques permettra de valider ou non un antécédent de piqûre de tique et, nous l’espérons, d’identifier l’espèce en cause. »
Une première étude est en cours pour identifier de tels marqueurs dans le cadre du projet PICREID (Pasteur International Center for Research on Emerging Infectious Diseases) coordonné par A. Sakuntabhai, en collaboration avec l’Institut Pasteur du Cambodge. Une étude est aussi prévue dans le cadre de notre unité internationale avec l’Université de Kyoto au Japon, dans deux sites du pays situés près de Kyoto et sur l’ile d’Hokkaido.
Légende : Cours d'entomologie vétérinaire à l'Institut Pasteur de Phnom Penh, Cambodge
Sarah Bonnet en quelques dates
Depuis 2022 : Cheffe de groupe, "Ecologie et émergence des pathogènes transmis par les arthropodes", USC Institut Pasteur-INRAE dirigée par Anavaj Sakuntabhai.
2015 : Lauréate du prix de biologie Alfred Kastler 2015 décerné par la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences (LFDA)
Depuis 2004 : CR puis DR INRAE, UMR IHPM, INRAE-Ecole vétérinaire de Nantes (2004-2007), UMR BIPAR, INRAE-ANSES-Ecole vétérinaire d’Alfort (2007-2021), « Etude des interactions tiques-agents pathogènes transmis-hôtes : épidémiologie, mise en place d’élevages de tiques, infections expérimentales, analyse de de la salive de tique, essais vaccinaux contre les tiques dans les modèles animaux… »
2000 : Doctorat "Interactions hôtes parasites", Université Pierre et Marie Curie, Paris VI : "La transmission de Plasmodium falciparum de l’Homme au moustique : outils de mesure et mécanismes potentiels de blocage" (Institut Pasteur et IRD Cameroun).
1996 : Diplôme d'Entomologie Médicale de l'Institut Pasteur, Paris.
Depuis 2019 : Présidente du COMETHEA, Comité d’Ethique en Expérimentation Animale du Centre INRA de Jouy-en-Josas et AgroParisTech, et membre nommée au CNREEA (Comité national de réflexion éthique en expérimentation animale)
Depuis 2018 : Membre du groupe de travail (GT) « Vecteur » de l’ANSES, membre du Conseil Scientifique du Centre de Référence des Maladies Vectorielles à Tiques d’Ile-de-France et des Hauts-de-France