La mise au point de vaccins thérapeutiques efficaces suppose de savoir comment reconnaitre chimiquement les microbes, ainsi que d’exposer ces derniers aux traitements. Capable de muter très vite et de se camoufler à l’intérieur des cellules qu’il infecte, le virus du sida (ou VIH) représente en cela un défi pour les chercheurs.
Cet article est le deuxième de la série consacrée aux espoirs de la recherche sur le VIH-sida, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
Le virus du VIH est minuscule : cent fois plus petit qu’une cellule. Et comme tous les virus, il a besoin d’un hôte pour se multiplier. Mais le VIH ne cible pas n’importe quelles cellules de l’organisme, il vise des cellules du système immunitaire comme les lymphocytes T CD4 et les macrophages. Le virus s’accroche à leur membrane au niveau des protéines CD4 et déverse à l’intérieur une capside renfermant deux brins identiques d’ARN. Ensuite, comme tous les rétrovirus, son ARN doit être rétrotranscrit en ADN pour pouvoir s’intégrer dans le génome de la cellule hôte, se répliquer et coexister avec elle. Dès lors, à chaque division cellulaire, les cellules infectées se multiplient avec le virus, lui offrant un cheval de Troie sans pareil. Voici, dans les grandes lignes, le mode de multiplication du VIH.
Le virus trouve, dans les cellules immunitaires, une sorte de cheval de Troie qui lui permet d’atteindre des environnements dans lesquels se multiplier activement, ou bien persister silencieusement sans avoir besoin de faire quoi que ce soit.
Asier Sáez-Cirión
Responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire
Mais les connaissances sur le VIH ne cessent d’évoluer. Et on s’aperçoit que les mécanismes qui régulent et influencent l’introduction du virus et sa réplication au sein des cellules sont encore mal compris. Or, pour mettre au point des médicaments efficaces, voire élaborer un vaccin, il est essentiel de bien comprendre la pathogenèse du virus, comme Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du VIH, en a eu très vite la conviction. C’est ainsi que les équipes de l’Institut Pasteur poursuivent leurs investigations et multiplient les découvertes. L’équipe d’Elisabeth Menu, responsable du groupe Mucosal Immunity and Sexually Transmitted Infection Control, s’intéresse par exemple aux facteurs qui régulent l’inflammation locale (cycle menstruel, composition du microbiote, coinfections, exposition au liquide séminal, etc.) et influencent la susceptibilité au VIH-1 au niveau des muqueuses de l’appareil reproducteur féminin. De son côté, l’équipe de Francesca Di Nunzio, responsable de l’unité Virologie moléculaire avancée, a démontré très récemment que la capside du VIH se remodèle pour traverser les pores du noyau de la cellule hôte, et que l’ARN qu’il renferme migre lui aussi jusqu’à l’intérieur du noyau.
Au cœur des cellules infectées
« Nous étudions les étapes précoces de l’infection car on s’aperçoit qu’elles sont fondamentales dans l’établissement des réservoirs viraux dont la persistance est un obstacle majeur à la guérison, explique Francesca Di Nunzio. Et aujourd’hui, nous sommes capables d’observer des cellules vivantes renfermant le génome du VIH, directement prélevées sur des souris humanisées infectées provenant du laboratoire de James Di Santo (unité Immunité innée) ». C’est ainsi, grâce à une méthode de microscopie à fluorescence qui a fait l’objet d’un brevet, que l’équipe de Francesca Di Nunzio arrive à suivre in vivo, au sein de différents organes, l’évolution des virus dans les différents compartiments de la cellule. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence que la décapsidation et la transcription inverse se déroulaient dans le noyau, et non dans le cytoplasme comme on pensait jusque-là. « Ce que nous avons pu également observer, c’est que lorsqu’une cellule est envahie par plusieurs virus, l’ARN viral migre dans le noyau et se regroupe dans des “organites sans membrane” (HIV MLOs), très dynamiques », précise Francesca Di Nunzio.
Sur les images en microscopie, on observe en effet de petites bulles qui renferment les ARN génomiques du virus et qui, au fil du temps, se regroupent pour former des grands clusters dans lesquels l’ADN du virus bourgeonne. « C’est la première fois que l’on démontre que l’ARN arrive jusque dans le noyau, qu’il est embarqué dans des organites sans membrane pour se rétrotranscrire en ADN avant d’aller intégrer le génome de la cellule », s’émerveille Francesca Di Nunzio. Et les images laissent en effet rêveur car elles permettent de voir, dès le début de l’infection et dans le noyau de cellules vivantes de toutes natures, des sphères de quelques centaines de nanomètres renfermant des virus. Ces organites étant par ailleurs particulièrement persistants dans certaines cellules, ils laissent entrevoir la possibilité de s’en servir comme marqueur pour identifier les cellules infectées du réservoir mais aussi comme cible pour des traitements à venir. Car le VIH est en effet un maître du camouflage…
J’ai toujours trouvé ce virus fascinant. C’est l’un des plus « intelligents » pour utiliser une cellule humaine.
Francesca Di Nunzio
Responsable du laboratoire Virologie moléculaire avancée
Les réservoirs du VIH en ligne de mire
Lorsque l’ADN viral est « actif », il prend littéralement le contrôle de la cellule infectée et la pousse à produire des milliers de copies du virus. Les particules virales produites en masse – notamment au début de l’infection – bourgeonnent à la surface de la cellule piratée, puis vont envahir des cellules voisines. Des travaux de l’équipe d’Olivier Schwartz, directeur de l’unité Virus et immunité, ont d’ailleurs mis en évidence que cette dissémination se faisait essentiellement par l’intermédiaire de connexions entre les cellules immunitaires. « Grâce à ces synapses, le virus passe efficacement d’une cellule à l’autre, sans se faire repérer par les anticorps », souligne Olivier Schwartz.
Mais parfois, l’ADN viral reste « endormi ». Ce virus latent demeure ainsi « camouflé » à l’intérieur de certaines cellules immunitaires, sans causer de dégâts mais sans non plus pouvoir être éliminé, ni par le système immunitaire, ni par les traitements antirétroviraux. C’est ainsi l’un des gros enjeux de la recherche au sein de l’Institut Pasteur, comme dans les laboratoires du monde entier : réussir à localiser les réservoirs du VIH, autrement dit identifier les cellules dans lesquelles se cache le virus dormant, afin de pouvoir les détruire et permettre une rémission, voire une guérison de l’infection par le VIH. « On doit encore comprendre les mécanismes de formation, de maintenance du réservoir et de réactivation lors de l’arrêt du traitement, détaille Olivier Schwartz. Les anticorps neutralisants à large spectre représentent une piste prometteuse pour réduire ou éliminer les cellules infectées. Nous avons pu ainsi montrer que les anticorps agissent non seulement en neutralisant les particules virales et en empêchant l’infection de nouvelles cellules, mais aussi en bloquant le relargage des virus produits par les cellules infectées et en facilitant la destruction de celles
Le système immunitaire en actionFace à un agent infectieux, l’organisme possède deux types de mécanisme de défense : l’immunité innée, immédiate, et l’immunité adaptative, plus tardive mais plus durable. L’immunité innée fait intervenir plusieurs types de cellules (macrophages, cellules dendritiques, cellules NK, etc.) et plusieurs types de protéines (cytokines, interférons, etc.). À la suite de l’interaction entre les agents infectieux et l’immunité innée, l’immunité adaptative entre en action dans les organes lymphoïdes. L’agent infectieux est capturé par des cellules spécialisées qui, avec l’aide de lymphocytes CD4, vont stimuler les lymphocytes B et les lymphocytes CD8. Les lymphocytes B vont alors produire des anticorps spécifiques contre cet agent, tandis que les lymphocytes CD8 vont devenir capables de reconnaître et de détruire les cellules infectées par cet agent. |
Une diversité à toutes épreuves
Conséquence : un individu infecté par le VIH doit se défendre contre de très nombreux virus différents même s’il n’est attaqué au départ que par un seul virus. Et si un traitement ne vient pas rapidement contrôler l’infection, la tâche devient vite impossible. En effet, le virus évolue tellement vite que les anticorps ou les cellules anti-VIH produites ne sont au final d’aucune efficacité. Le système immunitaire finit par s’épuiser. C’est également cette très grande variabilité, et la nécessité de contrôler rapidement le virus avant qu’il ne développe des résistances aux médicaments, qui ont conduit à mettre en place des trithérapies. Enfin, c’est cette diversité qui rend la mise au point d’un vaccin si complexe – le virus de la grippe, habile dans l’art de la métamorphose, nécessite déjà l’élaboration d’un nouveau vaccin chaque année.