La rage est encore aujourd’hui responsable d'environ 60000 décès humains par an, principalement dans les populations démunies en Afrique et en Asie. Pourtant, depuis le développement du premier vaccin par Louis Pasteur, il y a 130 ans, les mesures prophylactiques se sont considérablement améliorées. Elles sont désormais composées du vaccin associé à des immunoglobulines antirabiques d’origine équine ou humaine purifiées. Mais ces immunoglobulines sont chères et peu accessibles dans les pays en voie de développement. Des chercheurs de l’unité de Virologie structurale à l’Institut Pasteur, en collaboration avec les unités Immunité et virus et Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie, ont décrit avec une très haute résolution la structure d’un puissant anticorps monoclonal en complexe avec la glycoprotéine rabique. Cette avancée offre de nouvelles pistes, à la fois prophylactiques et thérapeutiques, dans la lutte contre la rage.
La rage est une encéphalite mortelle due à un lyssavirus principalement transmis à l'homme par la morsure ou les griffures de carnivores terrestres (principalement les chiens domestiques). L'apparition des symptômes et de la mort peut être évitée à 100% par une prophylaxie post-exposition (PPE) adéquate, comprenant l’injection de plusieurs doses vaccins et une immunisation passive utilisant des immunoglobulines antirabiques (lire la fiche maladie). Aujourd’hui, 15 à 29 millions de patients exposés à la rage reçoivent un PPE chaque année. Les modalités de cette prophylaxie ont été validées en 2018 par l’Organisation mondiale de la santé grâce à l’expertise pasteurienne.
« Si les solutions de prévention existent donc aujourd’hui pour lutter contre la rage, l’offre et la demande sont incohérentes dans les pays en voie de développement. Les agents prophylactiques proposés ne sont pas produits, ou pas disponibles sur place », explique Félix Rey, responsable de l’unité Virologie structurale à l’Institut Pasteur.
L’anticorps monoclonal RVC20 : un atout essentiel dans la compréhension du virus
Le virus de la rage expose une seule glycoprotéine (nommée G) à sa surface. Cette protéine G est responsable de l’entrée du virus dans les cellules, et est la seule cible des anticorps neutralisants. Malgré sa pertinence médicale, aucune donnée structurale de cette protéine virale n'est aujourd’hui disponible.
« Nous avons récemment isolé et cloné des anticorps monoclonaux (appelés mAbs) humains dirigés contre le virus de la rage. Parmi ceux-ci, le mAb RVC20 est l’un des plus puissants et a un très large spectre de neutralisation », explique Hervé Bourhy, responsable de l’unité Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie à l’Institut Pasteur. Les chercheurs ont donc décrit la structure cristalline de l’anticorps RVC20 en complexe avec une partie spécifique qui constitue le site antigénique majeur de la protéine G du virus de la rage. Cette structure révèle que RVC20 se lie à une partie de la surface de la protéine G qui est hautement conservée parmi les différentes souches du virus de la rage, expliquant la large réactivité de l’anticorps.
« Nous montrons en outre le mode d’action de RVC20. Celui-ci bloque une étape cruciale pour l’entrée du virus, c’est-à-dire le changement de conformation de la protéine G qui conduit à la fusion de la membrane virale avec la membrane cellulaire », poursuit Hervé Bourhy. L’anticorps RVC20 bloque ainsi l'entrée du virus dans la cellule et donc sa propagation dans l’organisme.
De nouvelles perspectives pour la prévention et le traitement
« Notre étude a mis en évidence un site majeur de vulnérabilité à la surface du virus, et permet de comprendre le mécanisme de neutralisation du virus de la rage par l'anticorps monoclonal RVC20 », résume Félix Rey. Les connaissances dérivées de cette étude ont le potentiel d’être utilisées non seulement pour la prophylaxie de la rage à base d'anticorps monoclonaux, mais également pour de futures applications thérapeutiques dans les cas où le virus est déjà entré dans le système nerveux et pour lesquels il n’existe aujourd’hui aucune thérapie active. « L'objectif final est d’être en mesure de fournir un substitut à la prophylaxie post-exposition actuellement utilisée », conclut Félix Rey.
Les résultats de cette étude ont été réalisés grâce à la collaboration de deux plateformes du Centre de ressources et recherches technologiques de l’Institut Pasteur : la plateforme de cristallographie et la plateforme de biophysique moléculaire.
Source
Structure of the prefusion-locking broadly neutralizing antibody RVC20 bound to the rabies virus glycoprotein, Nature Communications, 30 Janvier 2020
Jan Hellert1, Julian Buchrieser2, Florence Larrous3, Andrea Minola4, Guilherme Dias de Melo3, Leah Soriaga5, Patrick England6, Ahmed Haouz7, Amalio Telenti5, Olivier Schwartz2,Davide Corti4, Hervé Bourhy3, Félix A. Rey1
1 Structural Virology Unit, Institut Pasteur, CNRS UMR 3569, 25-28 rue du Docteur Roux, 75724, Paris, Cedex 15, France
2 Virus and Immunity Unit, Institut Pasteur, CNRS UMR 3569, 25-28 rue du Docteur Roux, 75724, Paris, Cedex 15, France
3 Lyssavirus Epidemiology and Neuropathology Unit, Institut Pasteur, 25-28 rue du Docteur Roux, 75724, Paris, Cedex 15, France
4 Humabs BioMed SA, a subsidiary of Vir Biotechnology Inc., Via dei Gaggini 3, 6500, Bellinzona, Switzerland
5 Vir Biotechnology Inc., San Francisco, CA 9415822
6 Molecular Biophysics Platform C2RT, Institut Pasteur, CNRS UMR 3528, 25-28 rue du Docteur Roux, 75724, Paris, Cedex 15, France
7 Crystallography Platform C2RT, Institut Pasteur, CNRS UMR 3528, 25-28 rue du Dr. Roux, 75724, Paris, Cedex 15, France