Les centres fer-soufre (ou Fe-S) sont des co-facteurs protéiques essentiels à la vie. Une proposition communément admise est que les machineries cellulaires permettant de fabriquer les Fe-S sont apparues en réponse à l'augmentation de l'oxygène sur Terre. Or, les résultats d’une récente étude indiquent que les machineries dédiées à la synthèse des centres Fe-S sont en fait plus anciennes. Leur origine remonte au dernier ancêtre commun universel, bien avant l’oxygénation de l’atmosphère.
Les centres fer-soufre (ou Fe-S) sont des co-facteurs protéiques essentiels à la vie. Avant que la vie n’apparaisse, ils ont pu se former de façon spontanée dans un environnement sans oxygène et riche en fer et soufre. Dans les organismes actuels, ils sont biosynthétisés par trois types de machineries moléculaires. Il est communément admis que ces machineries sont apparues en réponse à l’oxygénation progressive de la Terre il y a 2,4 milliards d'années. Toutefois, une nouvelle étude propose un scénario très diffèrent. Des équipes de l’Institut Pasteur et du CEA-CNRS de Grenoble ont identifié et caractérisé deux nouvelles machineries de synthèse des centres Fe-S. Celles-ci sont présentes chez des nombreuses bactéries et archées, et existaient déjà chez le dernier ancêtre commun universel (LUCA).
Les clusters Fe-S, des assemblages atomiques anciens
Les clusters Fe-S sont des assemblages d’atomes de fer et de soufre. Présents au sein de très nombreuses protéines dans l’ensemble du monde vivant, ils interviennent dans une myriade de processus cellulaires. Dans la Terre ancienne, la synthèse des centres Fe-S a pu apparaitre de façon spontanée grâce à une atmosphère sans oxygène et au sol riche en fer et en soufre. Mais, il y a environ 2,4 milliards d’années, la concentration en oxygène a augmenté de façon spectaculaire. Des formes actives de l’oxygène qui déstabilisent les centres Fe-S sont apparues, et le fer biodisponible, en s’oxydant, s’est fait de plus en plus rare. Ces bouleversements environnementaux ont constitué autant de difficultés pour la formation et l’utilisation des centres Fe-S par les cellules. Une hypothèse largement répandue est donc que les organismes se sont adaptés, en élaborant des machineries protéiques capables de catalyser la synthèse des centres Fe-S et de les protéger. Jusqu’à aujourd’hui, trois machineries Fe-S avaient été identifiés dans l’ensemble des êtres vivants.
La génomique et la biochimie pour étudier l'origine des machineries Fe-S
Les équipes de Frédéric Barras et Simonetta Gribaldo (Institut Pasteur) et de Sandrine Ollagnier (CEA-CNRS Grenoble) ont réuni leurs expertises pour étudier l’histoire évolutive des machineries de biogénèse des centres Fe-S. Après avoir analysé plus de 10 000 génomes, ils ont découvert et caractérisé deux nouvelles machineries. Nommées MIS et SMS, celles-ci sont présentes chez de nombreux procaryotes et datent du dernier ancêtre commun universel (LUCA). Très anciennes, elles sont restées proches de la configuration ancestrale chez les archées, mais ont progressivement évolué chez les bactéries pour donner naissance aux trois autres machineries protéiques connues jusque-là.
L’apparition des centres Fe-S est antérieure à l’oxygénation de l’atmosphère terrestre
L’oxygénation de l’atmosphère terrestre est le résultat de l’activité photosynthétique des cyanobactéries, des procaryotes apparus bien après le LUCA. La présence de MIS et SMS chez le LUCA, indique donc que la synthèse des centres Fe-S a toujours nécessité l’assistance d'une machinerie cellulaire. Et ce, même lorsqu’elle se faisait dans des conditions favorables : elle n’est donc pas apparue en conséquence de l’oxygénation de la Terre. De tels résultats conduisent à une nouvelle vision de la diversité, de l’évolution, et de la biologie des centres Fe-S. Ce travail ouvre aussi de nouvelles perspectives pour la compréhension des tout premiers métabolismes en lien avec l’origine de la vie.
Source
An early origin of Iron-Sulfur cluster biosynthesis machineries before Earth oxygenation, Nature Ecology & Evolution, September 15, 2022
Pierre Simon Garcia1,2, Francesca D’Angelo*1, Sandrine Ollagnier-de Choudens*3, Macha Dussouchaud1, Emmanuelle Bouveret1, Simonetta Gribaldo2 #, Frédéric Barras1#
1 Institut Pasteur, Department of Microbiology, Unit Stress, Adaptation and Metabolism in enterobacteria, Université Paris Cité, UMR CNRS 6047, Paris, France
2 Institut Pasteur, Department of Microbiology, Unit Evolutionary Biology of the Microbial Cell, Université Paris Cité, UMR CNRS 6047, Paris, France
3 Univ. Grenoble Alpes, CNRS, CEA, Laboratoire de Chimie et Biologie des Métaux, F-38000 Grenoble, France