En 1983, le VIH (le virus du sida) est isolé par des virologues de l’Institut Pasteur. 40 ans plus tard, les patients séropositifs vivent avec le virus s’ils sont dépistés à temps et correctement traités. Aujourd’hui encore, les traitements ne cessent d’être améliorés. Que de progrès grâce aux échanges étroits entre patients-soignants-chercheurs. Ils sont le socle de ces 40 ans de lutte contre le VIH. Ce que nous rappelle Marc Dixneuf, directeur général de l’association AIDES.
Cette interview est la quatrième d’une série consacrée aux témoignages de représentants d’associations de patients, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
En 2011 est apparue la notion de « Traitement comme prévention » (TasP). Il a en effet été démontré que les personnes séropositives sous traitement antirétroviral ne transmettaient pas le VIH. Ça a changé leur vie : ça a changé leur rapport aux autres, à leurs proches, ça a fait disparaître la crainte de transmettre le virus lors des relations sexuelles.
Marc DixneufDirecteur général d’AIDES
Qu’est-ce qui a changé, en 40 ans, pour les personnes vivant avec le VIH ?
Marc Dixneuf : De mon point de vue, l’un des grands changements de ces quarante dernières années, c’est la place du traitement dans la prévention.
En 2011 est apparue la notion de « Traitement comme prévention » (TasP). Il a en effet été démontré que les personnes séropositives sous traitement antirétroviral ne transmettaient pas le VIH. Ça a changé leur vie : ça a changé leur rapport aux autres, à leurs proches, ça a fait disparaître la crainte de transmettre le virus lors des relations sexuelles.
Toujours concernant le traitement, la 2e étape a été la « Prophylaxie préexposition » (PrEP). Il a été mis en évidence en 2012 que les traitements antirétroviraux permettaient de prévenir les contaminations pour les personnes très exposées. Cette découverte a permis à ces
personnes de se dire : « Je n'arrive pas à mettre de préservatif, ou pas systématiquement, mais si je prends cette prophylaxie, alors je suis protégé. »
Ces évolutions ont eu des effets à différents de points de vue : cela a eu un effet individuel avec des répercussions sur la vie quotidienne des personnes, cela a eu un effet collectif sur le contrôle et la maîtrise de l’épidémie, mais cela a aussi permis de rééquilibrer les rapports de force entre les soignants et les personnes vivant avec le VIH ou les personnes exposées, ces dernières devenant dès lors autonomes par rapport au choix de leur sexualité, de leur prévention et de leur vie.
Quelles découvertes scientifiques ont été déterminantes ?
M. D. : Après la mise au point des premiers traitements en 1996, la recherche a continué à développer de nouvelles lignes de traitement. Cela a permis d’une part d'intervenir sur les différents moments de la réplication du virus dans l'organisme mais aussi d’offrir des solutions aux personnes sous traitement qui se trouvaient en échappement thérapeutique. En effet, après plusieurs années, certaines personnes sous traitement ne répondaient plus positivement au traitement et finissaient par mourir du sida.
Pour y remédier, sans discontinuer depuis des années, les chercheurs mettent au point de nouvelles stratégies thérapeutiques. C'est presque invisible, parce qu'on sait que les traitements sont arrivés en 1996, mais c’est très important à souligner.
Vous avez apporté une photo d’Yves Yomb. Quelle est son histoire ?
M. D. : Cette photo d’Yves Yomb, prise en 2017 lors de la Conférence internationale sur le sida (IAS), à Paris, représente énormément de choses dans la lutte contre le sida. D'abord, ça marqué un changement dans l’importance accordée par l'État français à la lutte contre le VIH puisque le président de la République n’a pas jugé nécessaire de venir à cette conférence mondiale.
L'autre changement majeur, c’est que Yves Yomb – un homme gay camerounais, militant de lutte contre le VIH – a pris la parole à la première personne pour raconter son expérience, ce que représente la vie au Cameroun d’un homme homosexuel vivant avec le VIH. À travers cette prise de parole, il sortait du silence.
C’est malgré tout ce silence qui l’a tué deux plus tard, alors qu’il était en France pour la Conférence de restitution du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et qu’il a dû être hospitalisé. Il a en effet fallu de trop nombreuses semaines pour identifier le cancer qui était en train de le tuer.
Pourquoi j’en parle ? C’est parce que quand bien même on a des traitements à disposition, quand bien même on peut parler publiquement, quand bien même on est une figure de la lutte contre le sida… le silence, l'incapacité à dire sa maladie (du fait de la famille, de la pression sociale…), ça peut vous tuer car vous avez du retard au dépistage. Et ce qui a tué Yves, c’est le Papillomavirus humain (HPV), un virus qui tue massivement les personnes vivant avec le VIH.
Quel message voulez-vous adresser aux chercheurs ?
M. D. : Leur dire qu’il ne faut pas hésiter à venir nous parler. Le savoir, le laboratoire, le monde de la recherche, qui est extrêmement compétitif et exigeant pour les chercheurs, peut isoler. Dans la lutte contre le VIH, l’un des premiers grands succès des chercheurs c’est d’avoir su parler aux malades, aux associations… Et c’est vraiment le message que j’ai envie de faire passer aux jeunes chercheurs : n’hésitez pas à venir à la rencontre des associations, à ouvrir vos laboratoires comme vos prédécesseurs ou Françoise Barré-Sinoussi l’on fait, parce que c’est ensemble que l’on arrive à trouver des solutions.