La dysenterie bacillaire causée par la bactérie intestinale Shigella est un problème sanitaire majeur dans les régions tropicales et les pays en développement. Ses complications sont à l’origine de plusieurs centaines de milliers de morts par an, principalement des enfants en bas âge. Des chercheurs de l’Inserm et de l’Institut Pasteur se sont intéressés aux mécanismes de la virulence de Shigella. Ils ont observé que cette dernière était capable non seulement de consommer l’oxygène des tissus du côlon pour se développer et créer des foyers infectieux, mais également d’adapter son mode de respiration pour continuer de se développer une fois l’oxygène épuisé dans ces foyers. Ces résultats parus dans Nature microbiology ouvrent de nouvelles perspectives pour la mise au point d’antibiotiques ou de vaccins contre cette bactérie classée par l’OMS dans les 12 pathogènes prioritaires.
Shigella est une entérobactérie (bactérie du tube digestif) pathogène responsable de la dysenterie bacillaire ou shigellose. Elle se transmet par voie féco-orale, par exemple via des aliments ou de l’eau souillés par des matières fécales. Elle sévit par conséquent essentiellement dans les régions tropicales, et en particulier dans les pays en développement où le manque d’hygiène et d’infrastructures sanitaires favorise les flambées épidémiques. Après ingestion, Shigella envahit les cellules de la paroi intestinale puis de la muqueuse du côlon, entraînant une inflammation importante associée à une sévère destruction des tissus. Apparaissent alors des symptômes tels que douleurs abdominales, vomissements, diarrhées glairo-sanglantes et fièvre.
En l’absence de vaccin commercialisé (l’infection est actuellement traitée avec des antibiotiques), la shigellose demeure un problème de santé publique majeur provoquant 700 000 morts par an dans le monde − principalement des enfants de moins de 5 ans − suite aux complications aiguës.
L’apparition de nouvelles souches de Shigella multirésistantes aux antibiotiques a justifié son classement par l’OMS parmi les 12 « pathogènes prioritaires » pour lesquels de nouveaux traitements (vaccins ou antibiotiques) doivent être rapidement trouvés.
Dans cet objectif, une équipe dirigée par Benoit Marteyn, chercheur Inserm au sein de l’unité 1202 « Pathogénie microbienne moléculaire » (Institut Pasteur/Inserm) a cherché à mieux comprendre le mécanisme utilisé par Shigella pour infecter les tissus en y modulant les niveaux d’oxygène. Les chercheurs ont utilisé pour ce faire des méthodes d’analyse d’images innovantes développées à l’Imagopole de l’Institut Pasteur, qui permettent d’étudier individuellement chaque cellule (single-cell analysis) et d’observer les variations des taux d’oxygène O2 au sein des tissus intestinaux autour des bactéries isolées et dans les foyers infectieux où les bactéries sont nombreuses.
L’équipe de recherche a ainsi pu observer que les taux d’oxygène au niveau des foyers infectieux de Shigella étaient anormalement bas (on parle alors d’hypoxie). La consommation d’O2 était d’autant plus importante que la population bactérienne était dense. Cette hypoxie ne se retrouvait en revanche pas au niveau des bactéries isolées à l’écart des foyers infectieux.
Shigella est une bactérie dite « anaérobie facultative », c’est-à-dire que si elle privilégie la respiration aérobie (qui utilise l’O2 comme carburant), elle est aussi capable de changer de mode de respiration quand l’oxygène vient à manquer, en utilisant une respiration dite « anaérobie », qui ne nécessite pas de O2. Cette particularité lui permet de continuer de se développer dans des foyers hypoxiques voire anoxiques (privés d’O2) lorsqu’elle a consommé tout l’oxygène des tissus.
Les chercheurs ont ainsi montré que la respiration aérobie de Shigella et sa capacité à moduler l’oxygénation des tissus infectés permettait la formation de foyers infectieux hypoxiques au sein de la muqueuse intestinale, ce qui constitue la première étape dans sa stratégie de colonisation avec plus de 99 % de la population bactérienne évoluant dans ces foyers. Lorsque ces derniers sont épuisés en oxygène, l’adaptabilité de la bactérie aux milieux pauvres en O2 lui offre un avantage crucial qui explique sa virulence et celle des autres entérobactéries anaérobies facultatives.
« Ces résultats revêtent un intérêt important pour la recherche de nouveaux antibiotiques ou de candidat-vaccins permettant de lutter contre les infections à Shigella. Leurs mécanismes d’action devront être confirmés en hypoxie voire en anoxie, reflétant les conditions physiopathologiques dans lesquelles Shigella évolue préférentiellement au sein de la muqueuse colique », conclut Benoit Marteyn.
Sources
Shigella-mediated oxygen depletion is essential for intestinal mucosa colonization, Nature microbiology, 5 août 2019
Jean-Yves Tinevez1,2,11, Ellen T. Arena3,4,9,11, Mark Anderson3,4, Giulia Nigro3,4, Louise Injarabian3,5, Antonin André3,5, Mariana Ferrari3,4, François-Xavier Campbell-Valois3,4,10, Anne Devin5, Spencer L. Shorte1,6, Philippe J. Sansonetti3,4,7,8 and Benoit S. Marteyn3,4,5
1 UTechS Photonic BioImaging (Imagopole), Institut Pasteur, Paris, France.
2 Image Analysis Hub, Institut Pasteur, Paris, France.
3 Unité de Pathogénie Microbienne Moléculaire, Institut Pasteur, Paris, France.
4 INSERM Unité 1202, Paris, France.
5 IBGC, CNRS UMR 5095, Université Bordeaux, Bordeaux, France.
6 Institut Pasteur Korea, Seongnam, Republic of Korea.
7 Collège de France, Paris, France.
8 Department of Biochemistry, Microbiology and Immunology, Faculty of Medicine, University of Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada.
9 Present address: Laboratory for Optical and Computational Instrumentation, University of Wisconsin–Madison, Madison, WI, USA.
10 Present address: Department of Chemistry and Biomolecular Sciences, Faculty of Science, University of Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada.
11 These authors contributed equally