Près de 1 850 collaborateurs volontaires de l’Institut Curie, représentatifs d’une population active francilienne, ont participé à Curie-O-SA, une étude sérologique lancée en mai dernier en collaboration avec l’Institut Pasteur. Avec un taux d’infection au virus SRAS-CoV-2 compris entre 11 et 16,6% (dont 21% de personnes asymptomatiques), ces résultats révèlent donc une forte prévalence de l’immunisation et des réponses immunitaires plutôt brèves. Dans 5% des cas, l’infection est prouvée par un test RT-PCR mais ne conduit pas à la production d’anticorps. A la Une du numéro de janvier 2021 de l’European Journal of Immunology, cette étude est prolongée pendant un an.
Si la pandémie de Covid-19 a atteint son point culminant en mars/avril 2020 en France, la prévalence de l'infection, la durée de la réponse et la protection qu’elle confère, sont pourtant encore peu documentées.
Une étude originale menée auprès de 1 847 volontaires de l’Institut Curie en région parisienne
En mai dernier, l’Institut Curie a lancé l’étude sérologique Curie-O-SA auprès de l’ensemble de son personnel (hospitalier et non hospitalier), en collaboration avec l’Institut Pasteur. Son objectif : surveiller la propagation du virus SRAS-CoV-2 et comprendre l’évolution de la séroprévalence dans une population représentative d'adultes actifs en bonne santé vivant en Ile-de-France après cette première vague de l’épidémie.
« Plus de la moitié des personnels de l’Institut Curie a répondu présent à notre appel. Et c’est cette mobilisation collective qui fait aujourd’hui la force et l’originalité de notre étude menée conjointement avec l’Institut Pasteur. Grâce à la taille de notre cohorte, la sensibilité et la puissance de nos méthodes ainsi que la poursuite de nos analyses en octobre et novembre… notre étude nous permet d’obtenir des résultats robustes et exhaustifs », explique le Dr Olivier Lantz, immunologiste clinique à l’Institut Curie, coordinateur de l’étude Curie-O-SA.
1847 personnes travaillant sur l’un des trois sites franciliens de l’Institut Curie (Paris, Saint-Cloud, Orsay) se sont portées volontaires pour y participer. Toutes les personnes inclues dans l’étude ont effectué des prises de sang et rempli un questionnaire sur leurs symptômes, ce qui a permis une corrélation précise entre la réponse immune et les symptômes.
« Au sein des équipes de l’Institut Pasteur et en collaboration avec le laboratoire commun Pasteur – Theravectys, nous avons développé les méthodes sensibles de très haut débit LuLISA et PNT[1] pour quantifier la réponse en anticorps et son activité neutralisante chez les personnes infectées par le SRAS-CoV-2 », explique Thierry Rose, chercheur au sein de l’unité de Biologie cellulaire des lymphocytes à l’Institut Pasteur.
La prévalence de l’infection au SRAS-CoV-2 sous-estimée
Prélevés entre mai et juillet 2020, 11 % des 1847 sérums analysés contenaient des anticorps contre le virus SRAS-CoV-2. Parmi les individus positifs, 21 % étaient asymptomatiques. De plus, chez 5% des participants dont l’infection a été prouvée par des tests de RT-PCR, les analyses n’ont révélé aucun anticorps (de type IgG).
Parmi l'ensemble des participants, la perte de l’odorat et la perte de goût sont apparues chez 52% des individus positifs aux anticorps (IgG) et chez 3% des individus négatifs. En revanche, si l’on considère les personnes ayant perdu le goût et l’odorat, 30% d’entre elles étaient séronégatives (absence d’anticorps dans leur sérum), alors qu’elles avaient présenté au pic de l’épidémie d’autres symptômes liés à l’infection par le SRAS-CoV-2. Ce résultat suggère que la prévalence réelle de l'infection pourrait avoir atteint 16,6%.
Par ailleurs, dans les sérums obtenus 4 à 8 semaines après le premier prélèvement, les analyses ont mis en évidence que la durée de demi-vie (c’est-à-dire le temps pour que la concentration d’anticorps diminue de 50%) des anticorps neutralisants n’était que de 4 semaines. Au cours d'études rétrospectives, ceci pourrait entraîner une sous-estimation de la prévalence réelle de l'infection. Néanmoins, la perte des anticorps spécifiques circulants ne signifie pas nécessairement la perte de protection. En effet la séroconversion s’accompagne d’une persistance des cellules T et B « mémoires » spécifiques prolongeant l’immunité des individus.
Afin de suivre l’évolution de la séroprévalence au cours et après la seconde vague épidémique d’octobre/novembre, l’étude Curie-O-SA va être prolongée pendant un an. Un deuxième prélèvement a été effectué pour plus de 1000 personnes inclues dans l’étude. De plus, un complément d’étude a permis à des volontaires de l’Institut Pasteur de se joindre aux participants en enrichissant les approches avec des prélèvements rhino-pharyngés sur lesquels sera effectuée une combinaison de dosages de marqueurs de l’infection et de réponses immunes et inflammatoires.
[1] LuLISA : Luciferase-linked immuno-sorbent assay désigne une méthode de quantification de biomolécules, ici des IgG spécifiques dans le sérum des individus testés, par la bioluminescence d’une luciférase de crevette des grandes profondeurs marines.
PNT : Pseudo-Neutralization Test désigne une méthode qui quantifie la capacité de neutralisation des anticorps sur la pénétration des pseudo-virus CoV2 dans leurs cellules cibles.
Source
High seroprevalence but short‐lived immune response to SARS‐CoV‐2 infection in Paris, European Journal of immunology, 1er décembre 2020
François Anna, Sophie Goyard, Ana Ines Lalanne, Fabien Nevo, Marion Gransagne, Philippe Souque, Delphine Louis, Véronique Gillon, Isabelle Turbiez, François‐Clément Bidard, Aline Gobillion, Alexia Savignoni, Maude Guillot‐Delost, François Dejardin, Evelyne Dufour, Stéphane Petres, Odile Richard‐Le Goff, Zaineb Choucha, Olivier Helynck, Yves L. Janin, Nicolas Escriou, Pierre Charneau, Franck Perez, Thierry Rose, Olivier Lantz.
https://doi.org/10.1002/eji.202049058
Lire le communiqué de presse du 14 mai 2020 : COVID-19 : L’Institut Curie lance une étude clinique d’envergure sur les sérologies COVID