Des équipes de l’université Paris Descartes, sous la co-direction des Professeurs Raphaël Gaillard (Centre Hospitalier Sainte Anne, Institut Pasteur) et du Professeur Olivier Hermine (Hôpital Necker, centre national de référence des mastocytoses, Institut Imagine) ont mis à jour un mécanisme inflammatoire de la dépression via l’étude d’une maladie rare : la mastocytose. Une étude publiée en 2016 par le Dr Georgin-Lavialle dans la revue Molecular Psychiatry, première revue internationale en psychiatrie.
La dépression est une maladie fréquente touchant 350 millions d’individus dans le monde, dont la sévérité peut engager le pronostic vital du fait du risque suicidaire et qui est à l’origine d’un retentissement social majeur. Environ 30% des patients ne répondent pas de manière satisfaisante aux traitements antidépresseurs malgré plusieurs lignes de traitements bien conduites. Il existe donc un important besoin clinique à combler en matière de nouveaux traitements concernant cette pathologie, et une meilleure compréhension de ses mécanismes est à cette fin indispensable.
Pour étudier la dépression, les équipes de chercheurs ont choisi une démarche novatrice : identifier les mécanismes de la dépression dans une maladie rare, la mastocytose. La mastocytose est caractérisée par une accumulation et auto-activation anormale et excessive de certaines des cellules de l’immunité innée jouant un rôle important dans l’allergie, les mastocytes. Les auteurs de la présente étude avaient déjà montré qu’elle est associée dans 50% des cas à des symptômes dépressifs. Les conclusions de la présente étude établissent un lien clair entre l’hyperactivité des mastocytes, et les symptômes dépressifs.
La synthèse de sérotonine détournée
L'étude a été menée sur 54 adultes atteints de mastocytose qui ont été comparés à 54 adultes sains de même profil (âge, sexe, etc.). L'équipe a mesuré leurs éventuels symptômes dépressifs et a procédé à des analyses sanguines. Une corrélation entre la gravité des symptômes et des concentrations sanguines plus faibles en tryptophane a été mise en évidence. Cela confirme le résultat de précédentes études suspectant une perturbation du métabolisme de cet acide aminé dans les dépressions possiblement induites par une inflammation. En effet, notre organisme métabolise le tryptophane en sérotonine, un neurotransmetteur que les antidépresseurs actuels visent à augmenter dans le cerveau.
L'équipe a ainsi découvert que ces mêmes malades présentaient effectivement des taux sanguins plus faibles de sérotonine par rapport aux sujets sains, mais aussi des taux plus élevés de dérivés neurotoxiques du tryptophane tels que l'acide quinolinique. "Plutôt que de servir à la synthèse de sérotonine, la dégradation du tryptophane semble ainsi détournée pour produire ce type de composés neurotoxiques", analyse le Professeur Raphaël Gaillard.
De nouvelles pistes thérapeutiques
Cette découverte ouvre de nouvelles pistes pour les patients dépressifs réfractaires aux antidépresseurs actuels. Ainsi, le recours à la « kétamine », agent anesthésiant qui est également un puissant inhibiteur de l’acide quinolinique, pourrait être une nouvelle voie thérapeutique intéressante pour ces patients. De fait de multiples études récentes ont mis en évidence un effet antidépresseur spectaculaire de la kétamine, phénomène dont les mécanismes ne sont pas élucidés. . Deuxième grande piste : tester l'effet de molécules capables d'empêcher les mastocytes de relarguer leurs molécules inflammatoires à l’origine du détournement du métabolisme du tryptophane. En effet, ce phénomène déclencherait un détournement de la synthèse de sérotonine... "Mais dans un premier temps, nous allons déterminer si les dépressifs réfractaires aux antidépresseurs actuels ont des signes cliniques traduisant une suractivation des mastocytes même en dehors des mastocytoses", concluent les Professeurs Raphaël Gaillard et Olivier Hermine.
Source
Mast cells' involvement in inflammation pathways linked to depression: evidence in mastocytosis, Molecular Psychiatry, 26 janvier 2016