Legionella pneumophila est un pathogène humain opportuniste dont le rôle dans l’acquisition de pneumonies communautaires et nosocomiales (maladie du légionnaire ou légionellose) est de plus en plus établi à l’échelle mondiale. Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont essayé de comprendre comment une bactérie environnementale inoffensive peut devenir un pathogène humain redouté.
Cette maladie humaine représente jusqu’à 5 % des pneumonies communautaires associées à un taux de mortalité élevé (11 % à 33 %), en particulier chez les personnes âgées et immunodéprimées. Les facteurs de risque de développement de la légionellose sont notamment le tabagisme, les maladies cardiaques et pulmonaires chroniques, le diabète, les transplantations d’organe, l’immunosuppression, le cancer et l’âge (à partir de 50 ans). Nombre de ces facteurs de risque sont en hausse dans les pays développés, tout comme le nombre de cas de légionellose au cours des dernières années (données de l’ECDC). Des épidémies touchant des centaines de personnes sont souvent signalées.
Des voies d’évolution surprenantes
L. pneumophila appartient à un genre comptant plus de 60 espèces. Il s’agit exclusivement de bactéries environnementales se multipliant au sein de protozoaires aquatiques (organismes unicellulaires) dans les rivières et étangs d’eau douce. Pour comprendre comment une bactérie environnementale inoffensive peut devenir un pathogène humain redouté, les chercheurs de l’unité Biologie des bactéries intracellulaires de l’Institut Pasteur ont utilisé la génomique fonctionnelle et comparative pour déconstruire l’ensemble d’un genre bactérien et révéler, pour la première fois, les voies d’évolution parallèles surprenantes qui ont mené à l’émergence de l’agent pathogène humain majeur Legionella pneumophila.
Leurs recherches ont mis au jour un ensemble incroyablement étendu de protéines effectrices (protéines secrétées dans la cellule hôte, où elles établissent leur activité), prouvant que les espèces Legionella ont acquis des protéines issues de tous les domaines du vivant (plantes, animaux, champignons, archées) et les ont intégrées dans leurs génomes bactériens. Les bactéries ont transformé ces protéines et les ont utilisées comme « moyen d’oppression » pour détourner les fonctions cellulaires, en ciblant principalement la transduction des signaux, le renouvellement des protéines (équilibre entre la synthèse et la dégradation protéiques) et les voies de modification de la chromatine.
Une piste à explorer
« Pour la première fois, on démontre l’existence d’un transfert de gènes horizontal d’une ampleur inédite entre les protozoaires et leurs parasites bactériens, menant à l’émergence de nouveaux pathogènes humains d’origine environnementale », explique Carmen Buchrieser, de l’unité Biologie des bactéries intracellulaires ; un concept intéressant en matière d’évolution, qui pourra être appliqué à d’autres bactéries. Il existe de nombreuses bactéries associées aux amibes dans l’environnement. Il est donc possible que d’autres espèces bactériennes développent des stratégies similaires et infectent les humains.
Source
More than 18,000 effectors in the Legionella genus genome provide multiple, independent combinations for replication in human cells, PNAS, Janvier 2019
Laura Gomez-Valero1,2, Christophe Rusniok1,2, Danielle Carson3, Sonia Mondino1,2, Ana Elena Pérez-Cobas1,2, Monica Rolando1,2, Shivani Pasricha4, Sandra Reuter5, Jasmin Demirtas1,2, Johannes Crumbach1,2, Stephane Descorps-Declere6, Elizabeth L. Hartland4,7,8, Sophie Jarraud9,10, Gordon Dougan5, Gunnar N. Schroeder3,11, Gad Frankel3, Carmen Buchrieser1,2
1 Institut Pasteur, Biologie des Bactéries Intracellulaires, Paris, France
2 CNRS UMR 3525, Paris, France
3 Medical Research Council Centre for Molecular Bacteriology and Infection, Department of Life Sciences, Imperial College London, United Kingdom
4 Department of Microbiology and Immunology, the Peter Doherty Institute for Infection and Immunity, University of Melbourne, Melbourne, Australia
5 Wellcome Trust Sanger Institute, Hinxton, Cambridge, United Kingdom
6 Institut Pasteur, Center of Bioinformatics, Biostatistics and Integrative Biology, Paris, France
7 Centre for Innate Immunity and Infectious Diseases, Hudson Institute of Medical Research, Clayton, Australia
8 Department of Molecular and Translational Science, Monash University, Clayton, Australia
9 International Center for Infectiology Research, INSERM, U1111, CNRS, UMR 5308, Université Lyon 1, Lyon, France
10 National Reference Centre of Legionella, Hospices Civils de Lyon, France
11 Centre for Experimental Medicine, Queen’s University Belfast, United Kingdom
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.