Pourquoi ne pas combattre le virus de la grippe en bloquant la machinerie cellulaire qu'il utilise pour se répliquer ? Des chercheurs de l'Inserm (Unité 1100 "Centre d’Etude des Pathologies Respiratoires"), de l’Institut Pasteur et du pôle de recherche Pasteur-Université de Hong Kong ont testé cette hypothèse en ciblant spécifiquement les calpaïnes, des protéases impliquées dans les mécanismes inflammatoires. Leurs résultats, obtenus chez l'animal, montrent que l'inhibition de ces enzymes peut réduire les symptômes de la maladie mais aussi prévenir l'infection par les virus de la grippe saisonnière ou pandémique.
Les données de cette étude ont été publiées dans l'American Journal of Physiology, Lung Cellular and Molecular Physiology en janvier 2016.
Coupe de poumons infectés par le virus grippal (avec une inflammation majeure qui se traduit notamment par une infiltration marquée de polynucléaires neutrophiles (cellules foncées)). Crédit photo Mustapha Si-Tahar/Inserm
Les conséquences cliniques de la grippe résultent surtout de l'inflammation dérégulée du tissu pulmonaire, qui peut provoquer des lésions sévères, voire mortelles. Le Centre d’Etude des Pathologies Respiratoires et les équipes associées ont montré que ce processus inflammatoire pouvait être inhibé en bloquant les calpaïnes, des protéases présentes au sein des cellules hôtes. Le blocage de ces enzymes pourrait jouer un rôle-clé dans la lutte antigrippale : chez la souris, l'inhibition des calpaïnes permet de limiter l'infection par un virus de la grippe saisonnière (H3N2) ou pandémique (H5N1).
«Il existe deux calpaïnes exprimées de manière ubiquitaire dans l'organisme, la calpaïne 1 et la calpaïne 2 », précise le directeur de l'Unité Inserm 1100, Mustapha Si-Tahar. « Elles sont très étudiées car elles joueraient un rôle notable dans différents processus physiopathologiques, comme la neuro-dégénérescence, la dystrophie musculaire ou le diabète. Les différents travaux qui ont permis de décrypter leurs fonctions ont montré que ces protéases jouaient aussi un rôle dans la cascade inflammatoire, selon un mécanisme calcium-dépendant. Or, le virus de la grippe accroît le calcium intracellulaire et la réponse inflammatoire.» Les travaux conduits par son équipe montrent que les calpaïnes sont activées au cours de l’infection grippale. A l’inverse, leur inhibition réduit la capacité du virus à se répliquer dans les cellules épithéliales respiratoires– qu'elles soient murines ou humaines. Elle réduit également l'intensité de la réponse inflammatoire néfaste et accroît le taux de survie de l’hôte infecté.
Ces résultats apportent de nouvelles perspectives dans la lutte contre la grippe : le blocage de la machinerie des cellules de l’hôte serait en effet une alternative intéressante car il limiterait la pression sélective des traitements anti-grippaux et donc l'émergence de souches virales résistantes. L'enjeu est de taille : la grippe saisonnière constitue un problème de santé publique avec 2500 à 3500 décès chaque année en France. En outre, certaines épidémies de grippe peuvent conduire à une forte surmortalité comme en 2015 avec plus de 18000 décès enregistrés sur le territoire et les pandémies grippales pourraient avoir des conséquences encore plus graves, à l'image de la grippe espagnole qui tua plus de 50 millions de personnes entre 1918 et 1919.
Les chercheurs souhaitent maintenant approfondir deux aspects : le rôle respectif des deux formes de l'enzyme et la nature précise des mécanismes moléculaires régissant l'interaction calpaïnes – virus grippal. Ces travaux permettront de confirmer le potentiel thérapeutique des calpaïnes.
Source
Targeting host calpain proteases decreases influenza A virus infection, American Journal of Physiology, Lung Cellular and Molecular Physiology, Janvier 2016
Fany Blanc1,2¶, Laetitia Furio1,2¶, Dorothée Moisy3, Hui-Ling Yen4, Michel Chignard1,2,Emmanuel Letavernier5, Nadia Naffakh3, Chris Ka Pun Mok6, Mustapha Si-Tahar1,2,7,8
1 Institut Pasteur, Unité de Défense Innée et Inflammation, Paris, France
2 INSERM U874, Paris, France
3 Institut Pasteur, Unité de Génétique Moléculaire des Virus ARN, Paris, France
4 School of public Health The University of Hong Kong, HongKong SAR, China
5 INSERM UMR-S1155, Paris, France
6 The HKU-Pasteur Research Pole, School of Public Health The University of Hong Kong,
HongKong SAR, China
7 Inserm U1100, Centre d’Etude des Pathologies Respiratoires, Tours, France
8 Université François Rabelais, Tours, France