Le cancer du foie est le deuxième cancer le plus meurtrier à l’échelle mondiale. Si dans la majorité des cas, les malades souffrent d’un carcinome hépatocellulaire, 10 à 20 % des personnes atteintes développent la deuxième forme primitive du cancer : un carcinome des voies biliaires du foie, très invasif (cholangiocarcinome intrahépatique). Bien que certains facteurs de risque soient communs aux deux types de tumeurs, le nombre de patients présentant un cholangiocarcinome intrahépatique a sensiblement augmenté ces dernières années. Une équipe de chercheurs dirigée par le Prof. Lars Zender du CHU de Tübingen (Allemagne), en collaboration avec des chercheurs du National Cancer Institute (Bethesda, États-Unis), de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS, vient à présent de démontrer que l’environnement cellulaire, avec ses cellules hépatiques moribondes, détermine la voie empruntée par les cellules tumorales. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature, le 12 septembre 2018.
Malgré les progrès réalisés dans le dépistage précoce et le traitement de nombreux types de cancers, faisant diminuer leur taux de mortalité, on constate une hausse importante du nombre de décès chez les patients atteints d’un cancer du foie. Ainsi, les cas de stéatose hépatique (syndrome du foie gras) qui se multiplient dans les pays occidentaux se traduisent souvent par des dommages chroniques du foie, lesquels constituent un facteur de risque de cancer du foie. Étonnamment, les patients présentant une prédisposition similaire, ou bien des facteurs de risque de lésions hépatiques, développent indifféremment un carcinome hépatocellulaire (CHC) ou un cholangiocarcinome intrahépatique (CCI). Or, ces deux cancers se distinguent par leur comportement et leur mode de traitement.
L’environnement des cellules cancéreuses, et notamment le type de mort cellulaire qui a lieu dans cet environnement, se révèle décisif dans l’évolution du cancer (CHC ou CCI). En effet, les chercheurs du CHU de Tübingen, du NIH, de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS viennent de démontrer que le type de mort cellulaire est un facteur clé de l’évolution des cellules tumorales en une tumeur hépatique spécifique.
Dans un même environnement cellulaire, lorsque les cellules meurent par apoptose (processus de mort cellulaire classique), les précurseurs des cellules cancéreuses évoluent en carcinome hépatocellulaire (CHC). Par contre, lorsque les cellules meurent par nécroptose (forme de nécrose), les cellules précancéreuses se transforment en cholangiocarcinome intrahépatique (CCI).
Dans le cas de la nécroptose, la membrane cellulaire se dissout et le contenu de la cellule provoque une inflammation dans l’environnement de la cellule cancéreuse. Dans le cas de la mort cellulaire programmée classique, de petites vésicules se forment et sont éliminées par le système immunitaire. Ces résultats ont pu être vérifiés sur des modèles murins et sur des échantillons de tissus humains1.
Quelles sont les conséquences de ces découvertes sur la pratique clinique ?
« De futures recherches devront déterminer si l’environnement cellulaire direct impacte non seulement le type de développement tumoral, mais également la thérapie », déclare le professeur Lars Zender. Dans le traitement du CHC par chimioembolisation, il a déjà été observé qu’une partie du cancer du foie d’origine peut évoluer en carcinome des voies biliaires, expliquant pourquoi la maladie ne répond plus au traitement initial. « Nous sommes peut-être sur la piste d’un mécanisme de résistance thérapeutique du cancer du foie, indique l’oncologue, et nous espérons que nos résultats éclaireront de nouveaux axes thérapeutiques à l’avenir. »
Oliver Bischof2 ajoute : « Cette étude démontre l’importance de la transcriptomique, de l’épigénomique et des analyses bioinformatiques dans l’examen des événements moléculaires et des voies de transduction des signaux à l’origine de différentes entités tumorales. Les futurs travaux sur le cancer, avec l’apport d’analyses “omique”, joueront un rôle précieux dans l’identification de nouvelles pistes d’intervention thérapeutique contre cette maladie. »
1 Xin Wei Wang, chercheur en cancérologie au Laboratory of Human Carcinogenesis (Center for Cancer Research, National Cancer Institute, Bethesda, États-Unis), a apporté des données d’analyse humaines, et Oliver Bischof, directeur de recherche CNRS et épigénéticien à l’Institut Pasteur (unité Organisation nucléaire et oncogenèse), a décrit l’incidence du microenvironnement sur la régulation des gènes de la cellule cancéreuse.
2 Oliver Bischof bénéficie du soutien de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer dans le cadre d’un programme labellisé Fondation ARC.
Source
Necroptosis microenvironment directs lineage commitment in liver cancer, Nature, 12 septembre 2018
Marco Seehawer, Florian Heinzmann, Luana D’Artista, Jule Harbig, Pierre-François Roux, Lisa Hoenicke, Hien Dang, Sabrina Klotz, Lucas Robinson, Grégory Doré, Nir Rozenblum, Tae-Won Kang, Rishabh Chawla, Thorsten Buch, Mihael Vucur, Mareike Roth, Johannes Zuber, Tom Luedde, Bence Sipos, Thomas Longerich, Mathias Heikenwälder, Xin Wei Wang, Oliver Bischof & Lars Zender