Dans le but à terme de contrer les résistances aux antibiotiques acquises par les bactéries au cours de leur évolution, les chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS sont parvenus à élucider un des mécanismes de recombinaison de l’ADN bactérien.
Le transfert de gènes de résistance entre les bactéries pathogènes peut emprunter différentes voies, mais prend toujours la forme d’un seul brin d’ADN. Parmi les principaux acteurs de ces transferts figurent les intégrons, éléments génétiques qui permettent aux bactéries d’acquérir de nouveaux gènes et ainsi de s’adapter rapidement à un stress environnemental. Les nouveaux gènes sont localisés dans une structure que l’on appelle « cassette » pour être intégrés dans le génome de la bactérie. Les réactions d’intégration des cassettes sont menées par une recombinase – l’intégrase – synthétisée par l’intégron. Ces réactions sont très atypiques d’un point de vue de la recombinaison d’ADN car le site dans les cassettes est structurellement différent des sites classiques d’autres systèmes de recombinaison.
Les intégrases se sont différenciées des autres recombinases il y a 300 millions d’années. Elles ont développé une voie de résolution inédite permettant l’intégration de nouveaux gènes sous la forme d’ADN simple brin. Sur le plan évolutif, cette voie de recombinaison est tellement différente qu’elle est plus considérée comme une innovation fonctionnelle que comme une adaptation. L’équipe de Didier Mazel, responsable de l’unité de Plasticité du Génome bactérien (Institut Pasteur / CNRS), a cherché à savoir si l’intégrase était uniquement spécialisée pour réaliser la recombinaison par cette nouvelle voie ou si elle était tout de même encore capable d’effectuer la recombinaison « à l’ancienne », c’est-à-dire de conserver son activité ancestrale.
Dans cette étude, les chercheurs ont observé que l’intégrase avait, en effet, conservé son activité ancestrale sur l’ADN double brin malgré le domaine protéique qu’elle possède pour l’éviter lors de la recombinaison d’ADN simple brin. Cela signifie que les intégrases des intégrons opèrent un changement de voies de recombinaison en fonction du substrat, un phénomène inédit chez les recombinases d’ADN. Par ailleurs, cet article publié dans Nature Communications montre que le processus d’innovation ici s’est fait « en douceur » car l’activité ancestrale et la nouvelle activité coexistent. Les exemples de transitions aussi transparentes au cours d’une innovation fonctionnelle sont extrêmement rares.
« Afin de bloquer la dispersion des gènes de résistance aux antibiotiques, il est en effet essentiel de comprendre les mécanismes qui sous-tendent ce transfert de matériel génétique d’une bactérie à une autre », explique José Escudero (CNRS / Institut Pasteur), premier auteur de cette étude.
Source
Unmasking the ancestral activity of integron integrases reveals a smooth evolutionary transition during functional innovation, Nature Communications, 10 mars 2016
Jose Antonio Escudero (1,2), Celine Loot (1,2), Vincent Parissi (3), Aleksandra Nivina (1,2,4), Christiane Bouchier (5), Didier Mazel (1,2)
(1) Institut Pasteur, Unité de Plasticité du Génome Bactérien, Département Génomes et Génétique, 28 Rue du Dr Roux, 75015, Paris, France.
(2) CNRS, UMR3525, 28 Rue du Dr Roux, 75015, Paris, France.
(3) Laboratoire de Microbiologie Fondamentale et Pathogénicité UMR-CNRS 5234. Bat. 3A 3e étage, 146 rue Léo Saignat, 33076, Bordeaux Cedex.
(4) Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, 75006, Paris, France.
(5) Institut Pasteur, Genomics platform, 28 Rue du Dr Roux, 75015, Paris, France.
Mis à jour le 10/03/2016