La résistance aux antibiotiques est considérée par l’OMS comme « l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement ». Au Cambodge, le mauvais usage des antibiotiques est un phénomène connu mais on dispose de peu de données sur la résistance microbienne, en l’absence de système de surveillance. Une étude de l'Institut Pasteur du Cambodge a permis d’évaluer la fréquence et les caractéristiques des entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE1) sur une période de quatre ans.
« Quand je suis arrivée au Cambodge en 2012, se souvient le Dr Alexandra Kerléguer, de l’unité de Biologie Médicale de l’Institut Pasteur du Cambodge, j’ai été surprise de voir dans les urines des patients cambodgiens énormément de bactéries résistantes, avec une fréquence nettement plus élevée que celle observée en France ». L’Institut Pasteur du Cambodge décide alors de mettre en place une surveillance des entérobactéries résistantes : une étude a été réalisée à partir des données de tous les prélèvements (sanguins, pulmonaires, selles, pus, génito-urinaires et autres fluides corporels) collectés dans les hôpitaux Calmette et Choy Ray ou chez des patients référés directement et testés entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2015, dans l'unité de microbiologie. Au total, plus de 10.000 échantillons ont pu être analysés.
Les résultats, publiés par l’International Journal of infectious Diseases montrent des taux de BLSE en hausse au Cambodge : la proportion d'entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu a augmenté progressivement de 23,8% à 38,4% au cours de la période d'étude. Les BLSE ont été détectées chez 42,7% des souches Escherichia coli et chez 33,7% de toutes les souches de Klebsiella pneumoniae isolées. La proportion de BLSE-E. coli a augmenté de manière significative de 28,9% en 2012 à 48,2% en 2015.
« L’augmentation de ces bactéries résistantes peut aboutir à une impasse thérapeutique », s’inquiète la biologiste Alexandra Kerléguer qui ajoute que « depuis sont apparues des bactéries résistantes aux carbapénèmes, antibiotiques utilisés contre certaines bactéries résistantes, qu’on ne voyait pas en 2012 ».
Autre sujet d’inquiétude selon la biologiste coordinatrice de l’étude, « parmi ces bactéries productrices de BSLE, pour les E.coli, beaucoup de patients étaient des patients communautaires, des patients de ville. Comme il s’agit de bactéries prédominantes dans le tube digestif, cela veut dire qu’elles peuvent disséminer partout dans la population ».
L’enjeu est donc de faire prendre conscience du problème à la fois aux médecins, aux pharmaciens et aux patients, dans un pays où les antibiotiques sont très souvent utilisés de façon automatique, disponibles sans ordonnance et parfois contrefaits. Ces résultats plaident pour la mise en place d’un système complet de prévention de l'émergence et de la transmission de la BLSE, en particulier dans les pays en développement tels que le Cambodge.
1 Les premiers germes producteurs de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE) sont apparus dans les années 80. Il s’agit d’enzymes qui rendent les bactéries insensibles à l'action des antibiotiques de la famille des bêta-lactamines comme les pénicillines et les céphalosporines de première, deuxième et troisième générations. Les BLSE sont produites par des entérobactéries, des microbes présents pour l'essentiel au niveau du tube digestif.
Source: Beta-lactam resistance among Enterobacteriaceae in Cambodia: The four-year itch. Caron Y, Chheang R, Puthea N, Soda M, Boyer S, Tarantola A, Kerléguer A. Int J Infect Dis. 2017 Nov 11;66:74-79. doi: 10.1016/j.ijid.2017.10.025.