Depuis sa création en 1972, l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire est un des piliers de la recherche et de la santé publique du pays et de la région. Au cours des 10 dernières années, l’institut a amorcé un virage technologique de grande ampleur pour devenir aujourd’hui un des établissements les plus en pointe de l’Afrique de l’ouest. Entretien avec le Pr. Mireille Dosso, Directrice de l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire.
Qu’est ce qui fait de l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire un acteur incontournable de la recherche et de la santé publique dans le pays ?
Vous avez entrepris une vaste modernisation technologique de l’Institut au cours des dernières années ?
Oui, nous avons commencé ces évolutions il y a près de 10 ans. Nous disposons aujourd’hui d’une plate-forme de biologie moléculaire de trois cent mètres carrés qui nous permet d’effectuer toutes les manipulations de pointe y compris le séquençage. Nous avons un laboratoire de sécurité biologique de niveau 3 pour la tuberculose. Et nous avons construit un centre de ressources biologiques de 1000 m2 avec une station d’encapsulation qui permet de conserver les échantillons d’ADN à température ambiante. C’est la seule de ce type sur tout le continent ! Nous sommes à présent en train de construire une plateforme sur les pathogènes à haut risque infectieux qui comprendra le premier module P4 de la région. Nous cherchons également des financements pour mettre en place des équipements pour l’étude génomique des cancers.
Un pari gagnant ?
Oui sur toute la ligne ! La modernité de nos infrastructures nous a valu d’être désignés par l'organisation ouest africaine de la santé, biobanque régionale des pays de la CEDAO. Cette biobanque régionale sera inaugurée à la fin de l’année. Nous avons également des demandes d’échantillons de la part de biobanques internationales. Ces évolutions technologiques nous permettent d’être plus performants et plus attractifs y compris auprès des jeunes scientifiques. Nous avons accueilli l’année dernière 284 stagiaires dont une trentaine de doctorants, un record ! Ces jeunes chercheurs ne viennent pas uniquement de Côte d'Ivoire, il y en a de France, du Canada des États-Unis mais aussi d'autres pays d'Afrique comme le Tchad ou le Liberia. Nous avons réalisé un peu de nos rêves pour faire avancer la science en Afrique.
L’Institut Pasteur est aujourd’hui un modèle pour la recherche africaine ?
C’est en tout cas l’exemple que les choses peuvent bouger de l’intérieur en Afrique. Les projets de construction de la biobanque et de la plateforme sur les pathogènes à haut risque ont été financés à hauteur de 8 milliards de francs cfa par le gouvernement ivoirien. Nous avions la conviction que ces projets étaient importants et réalisables ici. Nous avons su trouver les arguments pour convaincre les autorités politiques qui nous ont fait confiance. Ça n’était pas gagné d’avance, j’en suis très fière. La modernité de notre institut suscite aujourd’hui l’intérêt de beaucoup de partenaires internationaux. C’est aussi un message positif pour les jeunes, la détermination peut faire aboutir des projets innovants.
Propos recueillis par Olivier Rescaniere
La biobanque la plus moderne du continent africain
En 2009, dans le cadre de l'éradication mondiale de la poliomyélite, l’OMS demande à l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire de confiner des échantillons et des souches de poliovirus. Dans le même temps le CDC en place à Abidjan voulait donner ses collections d'échantillons à l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire. Les biobanques sont alors dans leurs grandes majorités situées dans les pays développés et l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire décide de relever le défi de construction d’une infrastructure aux normes internationales.
Grâce au financement du gouvernement ivoirien, les structures existantes sont réhabilitées et une salle pouvant accueillir à terme 22 cryoconservateurs de 1000 litres chacun est construite. Cette technique de conservation à froid est néanmoins couteuse et ne permet pas de garantir l’intégrité des molécules d’ADN sur le long terme. L’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire s’est donc doté d’une station d’encapsulation. Cette technique entièrement robotisée permet de conserver l’ADN à température ambiante sur le très long terme en condition d’absence totale d’eau et d’air. Il s’agit d’une première sur tout le continent africain. Outre ses propres collections biologiques, l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire accueillera prochainement dans les 1000m2 de son centre de ressources biologiques les échantillons récoltés dans le cadre de la surveillance épidémiologique de tous pays de la CEDEAO en tant que biobanque régionale.
Un P4 pour combattre les pathogènes à haut risque
Mars 2014, l’Institut Pasteur, grâce au laboratoire P4 du Centre national de référence des Fièvres hémorragiques virales confirme la présence de l’espèce Zaïre du virus Ebola (ZEBOV) dans un prélèvement d’un patient en provenance de Guinée. C’est le point de départ d’une mobilisation internationale sans précédent pour endiguer ce qui s’avèrera être l’épidémie d’Ebola la plus grave jamais enregistrée en Afrique de l’Ouest. Deux ans plus tard, en juin 2016, lorsque l’OMS annonce la fin officielle de l’épidémie, le bilan est triste : au moins 28000 cas officiellement déclarés, dont plus de 11000 décès. « Les pays voisins ont été fortement touchés. Nous avons eu 70 patients suspects mais heureusement aucun cas confirmé. Les infrastructures sanitaires mises en place avec le Gouvernement et nos partenaires nous ont permis de faire face rapidement » déclare Mireille Dosso.
Les autorités ivoiriennes prennent la mesure de la menace qui pèse sur le pays et demandent alors à l’Institut Pasteur de mettre en place une structure capable d’effectuer sur place les analyses nécessaires en cas de flambée épidémique de pathogène hautement virulents. « Nous avions dans les tiroirs depuis plusieurs année le projet de création d’un centre doté d’infrastructures aux normes internationales de confinement pour mener des recherches sur ces pathogènes extrêmement dangereux. Le gouvernement nous a tout de suite suivi » explique la Directrice de l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire. La construction du Centre d'études des pathogènes émergents à risques infectieux sévères devrait s’achever fin 2018. Il comportera notamment une animalerie et un insectarium de niveau 3 de confinement et le premier module de laboratoire P4 de l'Afrique de l'ouest permettant de manipuler notamment les virus responsables de fièvres hémorragiques. Une nécessité alors que la Côte d’Ivoire vient de subir une nouvelle épidémie de dengue et qu’un nouveau cas d’infection de fièvre de Lassa a été confirmé au Nigeria il y a peu.