La bactérie Listeria monocytogenes peut être pathogène pour les humains et provoquer la listériose, une infection potentiellement mortelle. Jusqu’à présent, la variabilité de son pouvoir pathogène était mal comprise. Une équipe de l’Institut Pasteur apporte un éclairage inédit sur le mécanisme qui détermine le niveau de sa virulence, par la régulation de l’expression de ses gènes…
Listeria monocytogenes contamine surtout les aliments d’origine animale, principalement les produits laitiers, et les légumes mal lavés, peu cuits ou mal conservés. Chez les humains consommant ces produits, elle peut déclencher une infection grave et parfois mortelle, la listériose. En France, plus de 500 personnes par an sont touchées par la maladie appelée listériose – essentiellement des femmes enceintes, nouveau-nés, personnes âgées ou immunodéprimées (cancer, diabète, VIH, traitement immunosuppresseurs…).
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Pour autant, « toutes les souches n’ont pas le même pouvoir pathogène, et la diversité de la virulence au sein de cette espèce bactérienne est considérable, souligne Marc Lecuit, responsable de l’unité de Biologie des infections à l’Institut Pasteur (unité également affiliée à l'Inserm - U1117), du Centre National de Référence (CNR) et du Centre Collaborateur de l’OMS (CCOMS) Listeria et coordonnateur de l’étude. Listeria monocytogenes est présente dans un grand nombre de niches écologiques et s’adapte à ces différents environnements. L’hôte animal est une niche principale de cette espèce bactérienne. » Au sein de l’unité, Lukas Hafner, microbiologiste, a étudié dans le cadre de sa thèse les mécanismes de cette virulence « à géométrie variable ». On la savait liée à des facteurs génétiques – elle dépend de ce qu’on appelle ses « gènes de virulence ». Mais on l’attribuait à la présence, ou non, de ces gènes. Il a démontré que c’était plus compliqué…
Plus sensible, plus forte
« Ce qui rend principalement compte de l’hétérogénéité de la virulence au sein de l’espèce Listeria monocytogenes n’est pas la présence ou l’absence des gènes de virulence –car ils sont en fait extrêmement conservés et présents dans quasiment tous les génomes de Listeria monocytogenes–, mais leur niveau d’expression », explique Lukas Hafner. Ces gènes sont en effet plus ou moins « actifs » : leur niveau d’expression peut être bas ou, à l’inverse, élevé. Et c’est cette variation d’une souche à l’autre du niveau d’expression des gènes de virulence qui explique l’importante hétérogénéité du pouvoir pathogène de la bactérie, même entre des isolats bactériens extrêmement proches au plan génétique.
Mais alors… de quoi dépend cette expression différentielle des gènes de virulence ? Pour comprendre la régulation différentielle de l’expression des gènes de virulence, il faut remonter d’un cran dans le mécanisme : « Elle dépend de la sensibilité au stress de la bactérie. » Une température plus élevée, une acidité ou une salinité importante… constituent des facteurs de stress pour Listeria. « Or, plus elle est sensible à ces changements, plus elle y répond rapidement. Cela conduit, in fine, les gènes de virulence à s’exprimer plus rapidement et fortement (voir infographie ci-dessous). » Listeria peut alors, grâce à ses facteurs de virulence, traverser plus efficacement la barrière intestinale de l’hôte et mieux disséminer dans l’organisme, en échappant au système immunitaire.
Le caractère novateur de cette étude est illustré par la découverte d'un mécanisme général expliquant l’hétérogénéité de la virulence au sein d'une espèce bactérienne à une résolution inédite. Elle devrait permettre d’identifier plus précisément les environnements (niches écologiques) qui sélectionnent la virulence, notamment chez les animaux d’élevage, et donc de renforcer la prévention. Au sein du CNR Listeria, hébergé à l’Institut Pasteur, elles permettront de caractériser plus finement les souches de Listeria collectées dans le cadre de la surveillance nationale. Dès qu’une souche de Listeria arrive au CNR, son génome est séquencé, ce qui permet une première estimation de sa dangerosité. « En étudiant le niveau d’expression des gènes de virulence, nous pourrons bientôt affiner leur caractérisation et ainsi aider à la prévention de cette infection grave » conclut Marc Lecuit. Grâce à cette étude, un nouveau test visant à mesurer le niveau d’expression des gènes de virulence est à l’étude.
Source :
Differential stress responsiveness determines intraspecies virulence heterogeneity and host adaptation in Listeria monocytogenes, Nature Microbiology, 9 décembre 2024
doi: 10.1038/s41564-024-01859-8.