Mathieu Picardeau est responsable de l’unité Biologie des spirochètes et du centre national de référence de la leptospirose à l’Institut Pasteur. Chaleureux, érudit et amateur d’art contemporain à ses heures libres, Mathieu est intarissable sur une famille de bactéries bien singulières, dont certaines peuvent s’avérer mortelles pour l’être humain. Malgré ses prérogatives de chef d'équipes, il continue à maintenir son activité à la paillasse dès qu’il le peut. Ses déplacements professionnels à travers le monde lui ont fait prendre conscience, à quel point, la leptospirose est une maladie « hyper » négligée.
Arts ou sciences ?
Baccalauréat en poche, Mathieu hésite pour le choix de son futur parcours. Il s’intéresse aux sciences, mais aussi à la photographie. Après réflexion, il opte pour une licence du vivant à la faculté de Sciences de Tours, dans sa région d’origine. Parmi ses enseignants, certains vont lui transmettre leur passion pour la biologie et renforcer son envie de poursuivre ce cursus scientifique.
Départ pour Paris où il intègre la faculté Pierre et Marie Curie (Paris 6). Pour son DEA (diplôme d’enseignement appliqué), il entre à l’Institut Pasteur dans le Centre national de référence des Mycobactéries dirigé par Véronique Vincent où il va découvrir tout un monde microscopique. Il étudiera des mycobactéries que l’on nomme « atypiques », c’est-à-dire celles qui ne causent ni la tuberculose ni la lèpre, sur lesquelles il travaillera et soutiendra une thèse.
USA, Montana : des ours, des cow-boys et une bactérie pas comme les autres
Pour son post-doctorat, décollage pour les Rocky Mountain Laboratories, Montana, Etats-Unis. Ce campus de haut niveau scientifique est isolé dans une vallée, encaissée entre deux chaînes de montagnes. La première ville est à une heure de route. Au saloon du coin, de vrais cow-boys boivent des bières et jouent au billard. L’été, quand les montagnes sont desséchées, il arrive que des ours affamés descendent en direction du centre de recherche pour y fouiller les poubelles.
Côté laboratoire, il croise régulièrement un certain Willy Burgdorfer, le chercheur qui a identifié l’agent responsable de la maladie de Lyme et à qui on donnera son nom. Mathieu travaille à son tour sur la bactérie Borrelia burgdorferi.
Cette bactérie appartient à la famille des spirochètes, des bactéries bien différentes des autres à bien des égards : elles sont en forme de spirale, très mobiles mais équipées de flagelles internes, contrairement à la plupart des autres bactéries. Son génome est lui aussi atypique car il peut présenter des chromosomes multiples ou de formes linéaires. Une croissance difficile en laboratoire et une manipulation génétique compliquée, bref un ovni biologique sur lequel il reste encore bien des choses à découvrir ! C’est pour ces raisons que ces bactéries m’intéressent !
Dans la famille des spirochètes, il y a des pathogènes graves pour l’être humain qui provoquent :
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La leptospirose : une maladie transmise par l’urine de rat
De retour en France, Mathieu retrouve l’Institut Pasteur de Paris et plus précisément l’unité de Bactériologie moléculaire et médicale. Il étudie un autre spirochète : l’agent de la leptospirose. Puis, après le départ à la retraite de ses responsables, Isabelle Saint Girons et Guy Baranton, il crée l’unité Biologie des Spirochètes.
La leptospirose touche 600 à 700 cas par an en France métropolitaine mais ces chiffres sont probablement sous-estimés. On devrait mieux pouvoir estimer le nombre de cas réels dans un avenir proche car la leptospirose est maintenant une maladie à déclaration obligatoire en France depuis l’année dernière (août 2023). Cette maladie est transmise par l’urine du rat qui héberge la bactérie dans ses reins, puis l’excrète dans ses urines. C’est en nettoyant son grenier, sa cave ou plus fréquemment par contact avec l’eau douce que l’on peut être en contact avec cette bactérie. Les kayakistes et ceux qui pratiquent les sports aquatiques le savent bien.
La leptospirose est une zoonose (maladie qui se transmet de l’animal à l’être humain). Tous les mammifères et en particulier les rongeurs peuvent être exposés à la leptospirose et être plus ou moins malades. Nos animaux domestiques ou d’élevage aussi et pour ces derniers, cela a un coût pour les éleveurs. Asymptomatique, le rat a la particularité d’héberger la très virulente souche Icterohaemorrhagiae qui peut s’avérer mortelle.
Maladie tropicale négligée et des changements climatiques
Lors de colloques, Mathieu a eu l’occasion de voyager dans de nombreux pays, notamment dans les régions tropicales où les incidences de la leptospirose sont 10 à 100 fois plus élevées que sous nos latitudes : Inde, Thaïlande, Malaisie, Brésil, Nouvelle-Calédonie…
« Lors de ces voyages, j’ai pu réaliser à quel point la santé doit être considérée dans son ensemble. Il s’agit d’étudier l’environnement, les animaux et les êtres humains. Les inégalités, le manque d’infrastructures et les changements climatiques ont et vont avoir un impact sur les populations. »
Plusieurs études ont déjà montré une forte association entre années pluvieuses et incidences record, par exemple en lien avec El Nino ou La Nina en Nouvelle-Calédonie.
Nous essayons de sensibiliser la communauté scientifique et médicale sur la maladie pour montrer qu'il s'agit d'une maladie "hyper" négligée.
Nous cherchons à mieux comprendre les mécanismes qui font que certaines souches sont beaucoup plus virulentes que d’autres. Le développement d’un diagnostic sensible, rapide et peu coûteux, accessible au plus grand nombre aurait un effet bénéfique sur les patients, d’autant plus que ces bactéries sont sensibles aux antibiotiques.
Un vaccin qui fut développé par l’Institut Pasteur Dans les années 1970, à la demande des égoutiers de la ville de Paris, l’Institut Pasteur a développé un vaccin contre la leptospirose. Aujourd’hui, ces travailleurs possèdent une combinaison bien étanche qui les protège de toute exposition à l’environnement. Ce vaccin continue à être produit par une petite entreprise française pour protéger les catégories professionnelles à risques. |
Mathieu Picardeau en quelques dates
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1997 : Thèse de doctorat de Microbiologie
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1998 : Stage post-doctoral au Rocky Mountain Laboratories (NIH, NIAID), Hamilton, Etats-Unis
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2001 : Recrutement comme chercheur à l’Institut Pasteur
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2007 : Responsable de l’unité de Biologie des Spirochètes
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2008 : Directeur du Centre National de Référence de la Leptospiroses
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2023 : Directeur du Centre Collaborateur OMS des Leptospiroses