Une récente étude issue d’une collaboration internationale, incluant plusieurs chercheurs de l’Institut Pasteur, modélise la dynamique spatiale et l’évolution de Bordetella pertussis, la bactérie responsable de la coqueluche.
Comment suivre la dynamique d’une maladie, en particulier face aux vaccins ? Une étude, parue dans Science Translational Medicine, fournit des informations essentielles sur la transmission et la dynamique de Bordetella pertussis, l’agent de la coqueluche. Elle représente l'aboutissement de cinq années de collecte de données génomiques. Au-delà de cet agent pathogène spécifique, ce travail apporte également des développements méthodologiques reposant sur des modélisations mathématiques. Ces outils représentent une avancée significative dans l'utilisation de l'information génétique des pathogènes pour décrire leur dynamique spatiale. Les chercheurs ont également étudié les avantages sélectifs induits par les vaccins pour les différents génotypes de l’agent pathogène.
La coqueluche est une infection respiratoire très contagieuse causée principalement par la bactérie B. pertussis, qui se transmet par voie aérienne. La transmission se fait essentiellement parmi les enfants dans les régions où ils ne sont pas vaccinés, et maintenant d’adultes ou adolescents à nourrissons dans les pays comme la France où ils sont vaccinés depuis des décennies. La coqueluche ne confère pas une immunité à vie, et il est donc possible de la contracter plusieurs fois. Malgré la disponibilité de vaccins, il s’agit d’une maladie qui réapparaît dans plusieurs régions du monde.
Une expérimentation à grande échelle grâce à des différences de stratégie vaccinale
Le rôle de l'immunité des populations humaines dans l’évolution des agents pathogènes en circulation est une question fondamentale en écologie des maladies infectieuses, rarement étudiée en dehors des laboratoires. En effet, son étude nécessite des données génétiques précises sur les pathogènes en circulation, ainsi que des perturbations dans l'immunité locale apportées par exemple par les campagnes de vaccination. B. pertussis offre exactement cette opportunité puisqu’à travers le monde, les campagnes de vaccinations ont été très hétérogènes : différents types de vaccins ont été implémentés, et de manière asynchrone. Depuis quelques décennies, les pays à revenu élevé utilisent des vaccins acellulaires qui ont des profils immunogènes radicalement différents des vaccins à bactéries inactivées, utilisés dans d’autres pays. Cette situation offre la possibilité de tester l'effet des changements de pression immunitaire induits par les vaccins dans des contextes uniques.
« Cette étude a été rendue possible grâce à la création d’un consortium de laboratoires nationaux de référence de 12 pays à travers l'Europe », explique Sylvain Brisse, responsable du CNR de la coqueluche à l’Institut Pasteur. Cela a permis l’analyse de données issues de plus de 3 000 génomes provenant de 23 pays du monde et couvrant une période de 85 ans. Cet ensemble de données permet de caractériser la façon dont B. pertussis se propage à l'intérieur et entre les pays. « En combinant des informations sur le lieu et le moment de l’infection et la séquence génétique de la bactérie infectante, nous avons pu identifier la rapidité avec laquelle la coqueluche se propage au sein d’un pays, entre les pays et à travers les continents », explique Henrik Salje, de l’Université de Cambridge. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence que plus de 95 % des cas détectés au sein d'une communauté proviennent de différentes chaînes de transmission, ce qui suggère un rôle essentiel de la transmission asymptomatique. Pour la première fois, cette étude estime également la vitesse à laquelle les lignées de B. pertussis se diffusent géographiquement. Les auteurs ont par exemple estimé que 5 à 10 ans étaient nécessaires pour que les souches européennes soient distribuées de façon homogène.
Évaluer l’adaptation des différentes souches à la vaccination
Les scientifiques ont aussi développé un cadre analytique qui estime l’avantage sélectif des différents génotypes du pathogène, c’est-à-dire leur capacité d’adaptation en fonction des vaccins utilisés. Un résultat important auquel parvient l’étude est la quantification de la valeur sélective d'un sous-ensemble de génotypes. Les chercheurs ont en particulier étudié les souches déficientes en pertactine, une protéine qui permet à la bactérie d’adhérer aux cellules et donc d’infecter efficacement l’hôte. « Bien que ces génotypes aient une valeur sélective normalement réduite, la mise en place de vaccins acellulaires, qui visent entre autre la pertactine, leur fournit un avantage », explique Valérie Bouchez, ingénieure de recherche à l’Institut Pasteur. Ce résultat est d'un grand intérêt pour la communauté scientifique.
« Au-delà des résultats obtenus sur B. pertussis, cette approche méthodologique peut aussi aider à l’étude de la transmission d’autres maladies infectieuses », explique Noémie Lefrancq, de l’Université de Cambridge. Cette publication souligne l'importance des collaborations internationales pour comprendre la propagation des maladies infectieuses, et démontre le potentiel des méthodes phylogéographiques pour l’étude de l’évolution des pathogènes. Cette étude apporte de plus des résultats pertinents pour la stratégie de vaccination contre la coqueluche, qui touche actuellement plus de 24 millions de personnes par an. Elle offre un éclairage transversal sur la dissémination des pathogènes et les pressions évolutives exercées par des vaccins, thématique particulièrement d’actualité avec la pandémie de covid-19.
Source :
Global spatial dynamics and vaccine-induced fitness changes of Bordetella pertussis, Science Translational Medicine, 27 avril 2022
Noémie Lefrancq1,2, Valérie Bouchez3,4, Nadia Fernandes3, Alex-Mikael Barkoff5, Thijs Bosch6, Tine Dalby7, Thomas Åkerlund8, Jessica Darenberg8, Katerina Fabianova9, Didrik F. Vestrheim10, Norman K. Fry11,12, Juan José González-López13, Karolina Gullsby15, Adele Habington16, Qiushui He5,17, David Litt11, Helena Martini18, Denis Piérard18, Paola Stefanelli19, Marc Stegger7, Jana Zavadilova20, Nathalie Armatys3,4, Annie Landier3,4, Sophie Guillot3,4, Samuel L. Hong21, Philippe Lemey21, Julian Parkhill22, Julie Toubiana3,4,23, Simon Cauchemez1, Henrik Salje1,2, Sylvain Brisse3,4
1 - Institut Pasteur, Mathematical Modelling of Infectious Diseases Unit, UMR2000, CNRS, France
2 - Department of Genetics, University of Cambridge, Cambridge, UK
3 - Institut Pasteur, Biodiversity and Epidemiology of Bacterial Pathogens, Paris, France
4 - National Reference Center for Whooping Cough and Other Bordetella Infections, Paris, France
5 - University of Turku UTU, Institute of Biomedicine, Research Center for Infections and Immunity, Turku, Finland
6 - Centre for Infectious Disease Control, National Institute for Public Health and the Environment (RIVM), Bilthoven, The Netherlands
7 - Statens Serum Institut, Bacteria, Parasites and Fungi / Infectious Disease Preparedness, Copenhagen, Denmark
8 - The Public Health Agency of Sweden, Unit for laboratory surveillance of bacterial pathogens, Solna, Sweden
9 - National Institute of Public Health, Department of Infectious Diseases Epidemiology, Prague, Czech Republic
10 - Norwegian Institute of Public Health, Department of Infectious Disease Control and Vaccine, Oslo, Norway
11 - Respiratory and Vaccine Preventable Bacteria Reference Unit, Public Health England – National Infection Service, London, UK
12 - Immunisation and Countermeasures Division, Public Health England – National Infection Service, London, UK
13 - University Hospital Vall d'Hebron, Microbiology Department, Barcelona, Spain
14 - Universitat Autònoma de Barcelona,Department of Genetics and Microbiology, Barcelona, Spain
15 - Centre for Research and Development, Uppsala University/Region Gävleborg, Gävle, Sweden
16 - Molecular Microbiology Laboratory, Children’s Health Ireland, Crumlin, Ireland
17 - InFLAMES Research Flagship Center, University of Turku, Turku, Finland
18 - Department of Microbiology, National Reference Centre for Bordetella pertussis, Universitair Ziekenhuis Brussel, Vrije Universiteit Brussel (VUB), Brussels, Belgium
19 - Department of Infectious Diseases, Istituto Superiore di Sanità, Rome, Italy
20 - National Institute of Public Health, National Reference Laboratory for Pertussis and Diphtheria, Prague, Czech Republic
21 - Department of Microbiology, Immunology and Transplantation, Rega Institute, KU Leuven, Leuven, Belgium
22 - Department of Veterinary Medicine, University of Cambridge, Cambridge, UK
23 - Université de Paris, Department of general paediatrics and paediatric infectious diseases, Paris, France