Règles douloureuses, menstruation, endométriose, errance médicale, Camille Berthelot s’est emparée sans tabou de ces sujets qui touchent une grande partie de la population mondiale. Spécialisée dans l’étude comparative génomique des espèces, elle dirige aujourd’hui son propre groupe à l’Institut Pasteur. Son équipe et elle travaillent actuellement à trouver un marqueur biologique qui permettrait de dépister précocement et facilement l’endométriose. Une autre question plus large préoccupe cette généticienne : comment et pourquoi les menstruations sont apparues chez les primates au cours de l’évolution ?
Une exploratrice du génome humain
Ses collaborateurs disent de Camille qu’elle est une cheffe de groupe de recherche pleine de bonne humeur, posée, consciencieuse, déterminée et disponible. Quand on demande à Camille quels ont été ses mentors et sources d’inspiration en recherche, sa réponse est immédiate et un large sourire apparait : « Je souhaitais être l’Indiana Jones de la
biologie ! »
Indiana Jones, Indy pour les intimes, a marqué ses jeunes années et a suscité chez Camille un certain goût pour l’aventure et une fascination pour les vestiges de notre civilisation. Dans « Les aventuriers de l’arche perdue », le personnage interprété par Harrison Ford est professeur à l’université et archéologue. Pour Camille, comprendre et renouer avec des temps immémoriaux, c’est étudier les mystérieuses caractéristiques humaines et génétiques qui sont apparues au cours d’une très longue évolution.
Je devais avoir 7 ou 8 ans, c'était à la télévision. Ma maman était fan de cette saga ! J'étais fascinée par les fouilles archéologiques et l'idée de comprendre le passé par des objets anciens. Un peu plus tard, j'avais adoré Jurassic Park, pour les mêmes raisons.
En finissant ses études de biologie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, elle a opté pour l’option Génomique et évolution. Si la diversité des enseignements en biologie lui plaisait énormément, c’est cette discipline, en particulier, qu’elle a retenue pour mener sa thèse en bio-informatique sur l’évolution comparative des génomes des poissons.
Pour son post-doctorat, elle poursuit ce travail à Cambridge, en Angleterre, à l’Institut Européen de Bio-informatique (EMBL-EBI). Elle y affine ses connaissances en biologie computationnelle et crée ses propres programmes sous R ou Python pour analyser et comparer l’évolution des gènes.
Utérus, menstruations, endométriose
Après son post-doctorat, elle réfléchit à un sujet novateur dans lequel elle souhaiterait s’investir.
Au détour d’une conversation avec une amie qui souffrait d’endométriose, Camille commence à se pencher sur la littérature scientifique concernant cette maladie.
Ce fut une véritable révélation !
« D’un point de vue sociétal et médical, il y a beaucoup à faire : une femme sur dix souffre de différentes formes de cette maladie gynécologique, parfois extrêmement invalidante. Et le diagnostic est très long puisqu’il prend en moyenne sept ans. »
Une errance médicale où la douleur n’est pas toujours prise au sérieux. C’est souvent lors d’un désir de grossesse que les médecins diagnostiquent ces patientes infertiles. Dans 50 % des cas, l’endométriose entrainerait des difficultés de reproduction.
Á ce jour, il n’existe aucun dépistage pour prévenir cette maladie chronique.
Camille se lance donc le défi de mettre au point un marqueur biologique pour dépister cette pathologie. Son équipe et elle ont lancé une étude sur une petite cohorte de femmes volontaires, malades ou saines. Ces volontaires vont transmettre des échantillons de leurs flux menstruels. Les tissus utérins qu’ils contiennent permettront de recueillir puis de comparer les ARN messagers de ces deux typologies de population.
Dans l’idéal, Camille souhaiterait que les femmes puissent se rendre dans n’importe quel laboratoire d’analyse médicale en ville pour y déposer un échantillon biologique. Cette technique non invasive pourrait prévenir l’endométriose ou encore certains cancers de l’utérus. Une étude est en cours, en collaboration avec l’hôpital Cochin et le Centre de recherche sur le cancer à Heidelberg en Allemagne.
La menstruation : une énigme évolutive
Un deuxième volet de recherche, à plus long terme, occupe également le groupe de recherche de Camille. Les menstruations sont apparues au cours de l’évolution des primates il y a environ 30 millions d’années. Dans la chaîne de l’évolution, nos ancêtres primates ne menstruaient pas. On le constate aujourd’hui : les petits singes de « l’ancien monde » qui vivent en Amérique du sud tels que les ouistitis ou les singes écureuils ne menstruent pas. Tandis que les grands singes, orang-outangs, gorilles ou chimpanzés menstruent.
Pourquoi cette adaptation est apparue puisqu’elle est si coûteuse énergétiquement pour la femelle ou la femme ? Quels sont les avantages à perdre des tissus et du sang tous les 28 jours ?
L’hypothèse de Camille Berthelot et son équipe, c’est que l’utérus évolue vite car il est à l’interface entre deux individus : la mère et l’embryon. Chacun d’eux s’adapte et optimise les ressources : l’embryon pour sa survie et la mère pour de futures grossesses. Ainsi, les deux individus doivent co-évoluer pour assurer leur bonne interaction mutuelle, tout en préservant chacun ses avantages et intérêts évolutifs.
Les menstruations seraient apparues dans ce contexte de compromis évolutif : elles résultent d'un nouveau mécanisme de différenciation cellulaire de l'endomètre, qui favorise une implantation plus robuste de l'embryon dans l'utérus sous le contrôle des hormones maternelles, mais qui provoque en contrepartie un détachement du tissu si l'implantation n'a pas lieu.
Pour tenter de répondre à cette question, Camille et son équipe travaillent à comparer les génomes de différents primates qui menstruent ou pas à partir de données de patrimoines génétiques à la disposition de la communauté scientifique. Ils étudient également des prélèvements biologiques de primates pour comparer l’expression de leur génome dans l’utérus au cours du cycle menstruel. L’équipe cherche à identifier les nouveaux mécanismes cellulaires qui sont apparus au cours de l’évolution de la menstruation, et qui ont modifié le fonctionnement de l’utérus dans les espèces qui menstruent. Ils s’intéressent ainsi aux conséquences de ces nouveaux mécanismes pour l’implantation de l’embryon et l’établissement du placenta.
L'endométriose est une affection gynécologique chronique dans laquelle le tissu qui tapisse normalement l'utérus, appelé l'endomètre, se développe en dehors de celui-ci. L’endométriose peut entraîner divers symptômes douloureux et des problèmes de fertilité. Normalement, l'endomètre s'épaissit chaque mois en préparation d'une éventuelle grossesse. S'il n'y a pas de fécondation, l'endomètre se détache et provoque les menstruations. Dans le cas de l'endométriose, le tissu endométrial se trouve dans d'autres parties de l'abdomen, telles que les ovaires, les trompes de Fallope, les ligaments qui soutiennent l'utérus, le péritoine (la paroi interne de l'abdomen) ou d'autres organes. L'endométriose est souvent associée à des symptômes tels que des douleurs pelviennes intenses pendant les règles, des douleurs pendant les rapports sexuels, des douleurs lombaires, des saignements menstruels abondants, des troubles digestifs et urinaires, ainsi que des problèmes de fertilité. |
Camille Berthelot en quelques dates
1985 – Naissance à Toulouse
2004 – Entrée à l’ENS de Lyon
2007 – Obtention de l’Agrégation de Sciences de la Vie, de la Terre et de l’Univers
2012 – Soutenance de thèse à l’ENS Paris
2016 – Recrutement en tant que chargée de recherches à l’INSERM
2019 – Obtention d’une bourse ERC Starting Grant du Conseil Européen de la Recherche pour étudier l’évolution de la menstruation chez les primates.
Ces recherches font parties du projet INCEPTION
2021 – Début de l’équipe Génomique Fonctionnelle Comparative à l’Institut Pasteur