Pour lutter contre l’asthme allergique, qui touche des millions de personnes à travers le monde, des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’université Toulouse III-Paul Sabatier au sein du laboratoire Infinity1, de l’Institut Pasteur et de l’entreprise française NEOVACS, développent et testent un nouveau vaccin. Dans leur dernière étude, les équipes ont montré que ce vaccin était efficace pour produire des anticorps capables de neutraliser des protéines immunitaires humaines clés dans le déclenchement de l’asthme allergique, les cytokines IL-4 et IL-13. Les résultats, publiés dans la revue Allergy, ouvrent la voie à l’organisation d’un essai clinique.
L’asthme est une maladie chronique qui touche environ 4 millions de personnes en France et 340 millions dans le monde. L’asthme allergique, qui représente environ 50 % des cas d’asthme, se caractérise par une inflammation des bronches et une gêne respiratoire provoquée par l’inhalation d’allergènes, le plus souvent des acariens.
Cette exposition aux acariens et autres allergènes déclenche une surproduction d’anticorps appelés immunoglobulines E (IgE) et de protéines appelées « cytokines de type 2 » (en particulier les interleukines IL-4 et IL-13) dans les voies aériennes. Ce phénomène entraine une cascade de réactions aboutissant à une hyperréactivité des voies respiratoires, une surproduction de mucus et une éosinophilie (un taux trop élevé de globules blancs appelés éosinophiles dans les voies aériennes).
A l’heure actuelle, les corticoïdes inhalés sont les médicaments de référence pour contrôler l’asthme. Cependant, dans le cas d’asthme allergique sévère, ce traitement ne suffit pas toujours. Il faut alors avoir recours à des traitements par anticorps monoclonaux thérapeutiques ciblant justement les IgE ou les voies IL-4 et IL-13. Or ces médicaments sont très onéreux et contraignent les patients à effectuer des injections pendant des années, voire tout au long de leur vie.
Depuis plusieurs années, le directeur de recherche Inserm Laurent Reber et ses collègues au sein du laboratoire toulousain Infinity, avec l’équipe de Pierre Bruhns à l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’entreprise française NEOVACS, travaillent au développement d’un vaccin afin d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients atteints d’asthme allergique sévère.
Un vaccin efficace contre les cytokines humaines
Dans une précédente étude, ils avaient montré l’efficacité chez la souris d’un vaccin conjugué2, appelé Kinoïde® (voir encadré). Les résultats suggéraient que ce vaccin induisait une production durable d’anticorps dirigés spécifiquement contre les l’IL-4 et l’IL-13 murines, ainsi qu’une réduction des symptômes de l’asthme allergique chez les animaux.
Suite à ces premières données encourageantes et afin d’envisager la mise en place d’essais cliniques chez l’humain, il était nécessaire de développer un vaccin capable de neutraliser également les cytokines IL-4 et IL-13 humaines. Afin de pouvoir tester l’efficacité de ce nouveau vaccin, les scientifiques ont eu recours cette fois à un modèle d’asthme allergique aux acariens chez des souris « humanisées », dont les gènes codant pour les cytokines IL-4 et IL-13 murines ont été remplacés par les gènes humains respectifs.
Là encore, les résultats sont prometteurs : la vaccination a induit une réponse anticorps importante, capable de neutraliser les cytokines IL-4 et IL-13 humaines, sans diminution de l’efficacité du vaccin, jusqu’à plus de trois mois après l’injection (temps correspondant à la durée totale de cette étude).
Un effet important sur les symptômes de l’asthme a également été observé : chez les animaux étudiés, la vaccination a été associée à une diminution des taux d’IgE et de l’éosinophilie ainsi qu’à une réduction de production de mucus et de l’hyperréactivité des voies respiratoires.
« Cette étude apporte une preuve de concept de l’efficacité du vaccin pour neutraliser des protéines humaines jouant un rôle clé dans l’asthme allergique. Nous ouvrons ainsi un peu plus la voie à l’organisation d’essais cliniques. Nous sommes actuellement en train de discuter avec tous les partenaires du projet pour mettre en place ces études chez l’humain », conclut Laurent Reber.
« Une vaccination contre l’asthme allergique représente un espoir de traitement à long terme de cette maladie chronique, et au-delà, une perspective de réduction des symptômes d’allergie liés à d’autres facteurs, puisque ce vaccin cible des molécules impliquées dans différentes allergies », souligne Pierre Bruhns, responsable de l’unité Anticorps en thérapie et pathologie à l’Institut Pasteur.
Comment fonctionne le vaccin testé dans cette étude ?
Le vaccin Kinoïde® repose sur une technologie qui combine les cytokines recombinantes IL-4 et IL-13 avec une protéine porteuse appelée CRM197 (la forme mutée non pathogène de la toxine diphtérique, utilisée dans de nombreux vaccins conjugués).
Cette protéine est très immunogène, c’est-à-dire qu’elle est capable de provoquer une réponse immunitaire importante. Exposé à la CRM197 contenue dans le vaccin, le système immunitaire se met à produire des anticorps dirigés contre cette protéine, mais également contre les cytokines IL-4 et IL-13. Cela permet de contrôler la surproduction de ces protéines qui sont clés dans l’asthme allergique, et plus généralement dans toute réaction allergique.
En effet, en plus de l'asthme allergique, l’IL-4 et l’IL-13 sont impliquées dans de nombreuses autres pathologies allergiques, dont la dermatite atopique et l’allergie alimentaire. Des études précliniques en cours dans les laboratoires des différents partenaires visent à démontrer que ce vaccin peut également induire une réponse protectrice contre ces allergies majeures.
[1] Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (Inserm/CNRS/Université Toulouse III)
[2] Un vaccin conjugué est un vaccin contenant un antigène associé à une protéine pour augmenter son efficacité
Source
A vaccine targeting human IL-4 and IL-13 protects against asthma in humanized mice, Allergy, février 2023
Emma Lamanna1,2,† , Eva Conde1,2,3,† , Aurelie Mougel2,4, Jonathan Bonnefoy2, Fabien Colaone2, Ophelie Godon1, Samir Hamdi2, Jasper B.J. Kamphuis4, Beatrice Drouet2, Vincent Serra2,$ , Pierre Bruhns1,$,*, Laurent L. Reber2,4,$,*
1Institut Pasteur, Universite de Paris Cite, Unit of Antibodies in Therapy and Pathology,INSERM UMR1222, F-75015 Paris.
2Neovacs SA, Paris, France.
3Sorbonne Universite, College Doctoral, Paris, France.
4Toulouse Institute for Infectious and Inflammatory Diseases (Infinity), INSERM UMR1291, CNRS UMR5051, University Toulouse III, F-31024 Toulouse.
†These authors contributed equally to this work. §Senior authors.
*Corresponding authors.