Récit de Charles Nicolle
« Comme tous ceux qui, depuis de longues années, fréquentaient l’hôpital musulman de Tunis, je voyais, chaque jour, dans ses salles, des typhiques couchés auprès de malades atteints des affections les plus diverses. Comme mes devanciers, j’étais le témoin quotidien et insoucieux de cette circonstance étrange qu’une promiscuité, aussi condamnable dans le cas d’une maladie éminemment contagieuse, n’était cependant point suivie de contaminations. Les voisins de lit d’un typhique ne contractaient pas son mal. Et, presque journellement, d’autre part, au moment des poussées épidémiques, je constatais la contagion dans les douanes, dans les quartiers de la ville et jusque chez les employés de l’hôpital, préposés à la réception des malades entrants.
Les médecins, les infirmiers se contaminaient dans les campagnes, dans Tunis et point dans les salles de médecine. Un jour, un jour comme les autres, un matin, pénétré sans doute de l’énigme du mode de contagion du typhus, n’y pensant pas consciemment toutefois (de cela, je suis bien sûr), j’allais franchir la porte de l’hôpital lorsqu’un corps humain, couché au ras des marches, m’arrêta. C’était un spectacle coutumier de voir de pauvres indigènes, atteints de typhus, délirants et fébriles, gagner, d’une marche démente, les abords du refuge et tomber, exténués, aux derniers pas. Comme d’ordinaire, j’enjambais le corps étendu. C’est à ce moment précis que je fus touché par la lumière.
Lorsque, l’instant d’après, je pénétrais dans l’hôpital, je tenais la solution du problème. Je savais, sans qu’il me fût possible d’en douter, qu’il n’y en avait pas d’autre, que c’était celle-là. Ce corps étendu, la porte devant laquelle il gisait, m’avaient brusquement montré la barrière à laquelle le typhus s’arrêtait. Pour qu’il s’y arrêtât, pour que, contagieux dans toute l’étendue du pays, à Tunis même, le typhique devînt inoffensif, le bureau des entrées passé, il fallait que l’agent de contagion ne franchît pas ce point. Or, que se passait-il en ce point ? Le malade y était dépouillé de ses vêtements, de son linge, rasé, lavé.
C’était donc quelque chose d’étranger à lui, qu’il portait sur lui, dans son linge, sur sa peau, qui causait la contagion. Ce ne pouvait être que le pou. Ce que j’ignorais la veille, ce que nul de ceux qui avaient observé le typhus depuis le début de l’histoire - car il remonte aux âges anciens de l’humanité - n’avait remarqué, la solution indiscutable, immédiatement féconde, du mode de transmission, venait de m’être révélée. »