Pas d’esprit sain sans un microbiote sain ? Une étude conjointe entre l’Institut Pasteur, le CNRS et l’Inserm démontre que la population bactérienne de l'intestin présente un profil bien particulier chez un modèle de souris utilisé pour étudier la dépression. Lorsque cette population bactérienne est transférée à des souris saines, celles-ci présentent des comportements spécifiques de la dépression quelques jours après le transfert. Par quel mécanisme ? La communauté bactérienne de la souris malade produit très peu de précurseurs nécessaires à la synthèse de sérotonine, rendant ainsi inefficace une famille d’antidépresseurs comme la fluoxetine. Ces travaux sont publiés dans Cell Reports, le 17 mars 2020.
La population bactérienne de l'intestin, ou microbiote intestinal, joue de nombreux rôles vitaux pour notre organisme. Nombre d’études ont établi ces dernières années des liens forts entre le cerveau et le microbiote. Ainsi, le déséquilibre de la population bactérienne de l’intestin serait à l’origine de divers troubles neurologiques ou psychiatriques. Toutefois, les mécanismes sous-jacents restaient mal connus.
Les chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm viennent de découvrir que des manifestations psychologiques liées au microbiote de souris stressées et anxieuses pouvaient être observées chez des souris saines après qu’on leur ait transféré le microbiote des premières. En effet, les souris receveuses montrent en quelques jours tous les symptômes qui accompagnent un état dépressif (diminution de la motivation, perte du plaisir, apathie, etc.). Fait marquant, les souris dont la population bactérienne est déséquilibrée montrent une teneur sanguine en acides aminés très faible, notamment celle du tryptophane. Or cet acide aminé est un précurseur de la synthèse de sérotonine, neurotransmetteur cérébral qui accompagne les humeurs positives. Chez les souris dont la dépression résulte d’un déséquilibre du microbiote intestinal, les chercheurs montrent que l’efficacité d’un antidépresseur comme la fluoxetine[1]est abolie. En revanche, ce même antidépresseur redevient efficace dès lors que l’on complémente leur alimentation par des métabolites que produisent naturellement les bactéries intestinales (comme le 5-Hydroxytryptophane) mais qui font défaut chez les souris receveuses.
Ce travail permet de mettre en lumière que certaines formes de dépression sont transmissibles par un simple transfert de microbiote. Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche CNRS et responsable de l’unité Perception et mémoire olfactive (Institut Pasteur/CNRS), ajoute : « nous avons montré que la disparition de certaines familles de bactéries intestinales porte un préjudice à la teneur sanguine en acides aminés de l’hôte et que le simple déséquilibre du microbiote intestinal suffit à produire un état dépressif qui, de plus, se montre résistant aux actions d’une famille d’antidépresseurs (les ISRS : inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) ». « Enfin, nous sommes parvenus à restaurer l’efficacité des antidépresseurs en complémentant l’alimentation par des métabolites dérivés de l’activité bactérienne», complète Gérard Eberl, responsable de l’unité Microenvironnement et immunité à l’Institut Pasteur.
En révélant le rôle bénéfique de certaines bactéries intestinales sur la santé mentale, cette étude chez l’animal vient d’identifier une famille de bactéries intestinales que l’on pourrait qualifier de « psychobiotiques ». Cette étude pourrait éclairer le fait que 30 % des personnes traitées par des antidépresseurs ne ressentent aucun effet bénéfique du traitement. Reste à tester cette hypothèse chez l’homme.
Sources
Changes in gut microbiota by chronic stress impair the efficacy of fluoxetine, Cell Reports, 17 mars 2020
Siopi Eleni1,2, Chevalier Grégoire3,4, Bigot Mathilde1,2, Katsimpardi Lida1,2, Saha Soham1,2, Moigneu Carine1,2, Eberl Gérard3,4and Lledo Pierre-Marie1,2
- Institut Pasteur, Perception and Memory Unit, F-75015 Paris.
- Centre National de la Recherche Scientifique, Unité Mixte de Recherche 3571, Paris
- Institut Pasteur, Microenvironment and Immunity Unit, 75724 Paris
- INSERM U1224, 75724 Paris, France.
[1]Inhibiteur sélectif de recapture de la sérotonine, qui augmente le niveau de sérotonine dans la synapse.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.