Lluis Quintana-Murci étudie la génétique humaine en général et la génétique des populations en particulier. Ses travaux fascinants retracent une incroyable histoire, notre histoire : celle de l’humanité à travers le temps et dans toute sa diversité. C’est avec passion et enthousiasme que Lluis accepte de raconter son parcours.
Lluis est né en 1970 à Palma de Majorque en Espagne. Enfant, il se souvient être d’un tempérament plutôt rêveur, qui se plait à imaginer des voyages, de nouveaux horizons. A l’adolescence, il va jusqu’à se rendre à l’aéroport, pour le seul et unique plaisir d’entendre les voyageurs arrivant des quatre coins du monde, s’exprimant dans des langues variées. Ce que Lluis ne sait pas encore, c’est que cet attrait pour la diversité des uns et des autres, va le poursuivre tout au long de son parcours.
De l’insularité, au voyage
Durant ses années de lycée, il envisage de devenir biologiste marin. Lorsque l’heure des choix arrive, Lluis opte pour des études de biologie (option microbiologie ), et quitte son île natale pour l’université de Barcelone. Puis, souhaitant voyager et réaliser une thèse, il part pour l’Italie à l’université de Pavie. C’est dans le département de génétique, dont l’école de génétique de populations a été fondée par le célèbre Luigi Luca Cavalli-Sforza, que Lluis trouve son sujet de prédilection : étudier l’évolution de populations humaines et leur diversité génétique.
Sur les traces de l’Humanité
En 1999, il arrive à l’Institut Pasteur à Paris, dans l’unité d'Immunogénétique humaine, dirigée par Marc Fellous. Cette même année, il publie ses premiers résultats qui retracent les chemins empruntés par l’Homme, lors de sa sortie d’Afrique, il y a plus de 60 000 ans. (1)
En 2005, il obtient son habilité à diriger des recherches (HDR) qui lui permet en 2007 d’ouvrir sa propre unité : Génétique évolutive humaine.
A ce jour Lluis a publié plus de 200 articles scientifiques. Ses multiples travaux mettent en lumière, à travers l’étude de la diversité génomique, la capacité de notre espèce à s’adapter à son milieu (2). En migrant d’Afrique vers toutes les régions du globe, l’être humain a connu, au fil des millénaires, des mutations face aux différences climatiques, aux ressources nutritionnelles à sa disposition ou encore aux agents pathogènes qu’il a rencontrés.
Lluis remonte le cours de l’Histoire et nous explique :
Lluis Quintana-Murci
A l’échelle de la naissance de la vie sur Terre, notre espèce est extrêmement récente, elle serait apparue qu’il y a environ 200 000 ans. Ainsi, nous sommes une espèce très peu diversifiée d’un point de vue génétique, nous appartenons tous à la même et unique espèce : Homo sapiens, avec bien sûr des subtilités génétiques dus à l’adaptation à notre milieu.
Adaptations et immunité
Ces différences génétiques ont aussi une incidence sur notre santé et sur la façon dont nous faisons face aux agents infectieux. L’étude de notre patrimoine génétique, entre individus et populations humaines, nous aide à l’identification des gènes qui sont impliqués, pas seulement dans notre survie face aux infections virales ou bactériennes, mais aussi dans nos différences face au traitements thérapeutiques…
« Parmi nos recherches actuelles, le projet Milieu Intérieur, dont je suis un des coordinateurs, s’intéresse aux différents facteurs (génétiques, épigénétiques, environnementaux, …) qui participent à la variabilité de notre système immunitaire. Ces recherches ont pour but d’envisager des traitements de précision, une médecine personnalisée, que l’on pourrait adapter en fonction de notre réponse à un traitement donné », explique-t-il.
Associés à des projets de recherche nationaux et internationaux, Lluis et ses équipes sont à la croisée de multiples disciplines scientifiques associant géographie, histoire, anthropologie, génétique, immunologie et même de la virologie. Certains de ces travaux ont, par exemple, remis en question la datation de l’apparition du paludisme en Afrique (3) ou encore ont pu démontrer que le métissage de nos ancêtres avec l’homme de Néandertal a principalement affecté la réponse immunitaire face aux virus (4) et récemment une étude a permis de retracer les migrations des peuples bantous à travers l’Afrique et de mettre en évidence leur adaptation à l’environnement (5)
Lluis avoue être parfois un peu « accro » au travail, il s’explique :
« Je ne mets pas de barrière entre mon activité de chercheur et mon temps libre, car tout fait partie d’une même et unique vie et cette vie, elle me plaît ! Ce qui m’anime chaque jour, c’est lire, écrire et apprendre. Mon travail est une grande chance, il me donne la possibilité d’être libre, tout simplement ! »
Pour Lluis, qui a choisi d’avoir la nationalité française, c’est un vrai bonheur de vivre à Paris et de pouvoir admirer, chaque matin, par la fenêtre de son laboratoire, la tour Eiffel.
(1) Genetic evidence of an early exit of Homo sapiens sapiens from Africa through eastern Africa – Nature Genetics, décembre 1999
(2)Natural selection has driven population differentiation in modern humans – Nature Genetics, mars 2008
(3) Recent Adaptive Acquisition by African Rainforest Hunter-Gatherers of the Late Pleistocene Sickle-Cell Mutation Suggests Past Differences in Malaria Exposure, The American Journal of Human Genetics, février 2019
(4) Genetic Adaptation and Neandertal Admixture Shaped the Immune System of Human Populations. Cell, octobre 2016
(5) Dispersals and genetic adaptation of Bantu-speaking populations in Africa and North America. Science, mai 2017.
Lluis en quelques dates
1970 : Naissance à Palma de Majorque, Espagne
1993 : Maitrise/DEA en Biologie (Microbiologie) à l’université de Barcelone
1994-1999 : Thèse sur « La variabilité du chromosome Y et de l’ADN mitochondrial dans les populations humaines. », Université de Pavie
1999 : Post-doctorant dans l’unité d’Immunogénétique humaine, dirigée par Marc Fellous, à l’Institut Pasteur
2005 : Obtention de son habilité à diriger des recherches (HDR), Université Pierre et Marie Curie
2007 : Responsable de l’unité Génétique évolutive humaine
2008 : Médaille de bronze du CNRS
2013 : Médaille d’argent du CNRS
2014 : Membre de EMBO et l’Academia Europaea
2014 : Grand Prix Jean Hamburger de Médicine et Recherche Biomédicale, Ville de Paris
2015 : Prix Mergier-Bourdeix, Académie des Sciences
2016-2017 : Directeur Scientifique de l’Institut Pasteur, Paris
2018 : Médaille d’Or des Iles Baléares