Ces dernières années, les efforts de recherche ont mis en évidence la forte influence que pouvait avoir le sexe – le fait d’être un homme / mâle ou une femme / femelle – sur la réponse des humains / animaux à de nombreux types d’infections. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont ainsi identifié une différence fondée sur le sexe dans la réponse immunitaire précoce à un modèle d’infection urinaire d’animaux mâles et femelles.
Tête à tête avec Molly Ingersoll : l'influence du sexe sur l'immunité. Crédit : Institut Pasteur.
Chez les humains, le sexe – le fait d’être un homme ou une femme – influe sur la réponse à l’infection. On constate, chez les hommes, une prépondérance de nombreux types d’infections, une sensibilité supérieure aux infections et des symptômes plus graves. Il existe toutefois des exceptions à cette généralisation, à l’instar de l’infection urinaire, une maladie extrêmement courante que l’on pense réservée aux femmes. Des comptes rendus montrent, en effet, que les femmes adultes présentent, par rapport aux hommes, un risque 20 à 40 fois supérieur d’être touchées par une infection urinaire. Chez les hommes, cette infection est toujours considérée comme compliquée et associée à un pronostic plus mauvais, un traitement plus long et un risque de complications, telles qu’une infection de la prostate. Bien que les raisons de l’inégalité face à cette infection restent floues, une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur a identifié une différence liée au sexe dans la réponse immunitaire précoce à un modèle d’infection urinaire d’animaux mâles et femelles.
Lumière sur l’importance des hormones sexuelles
Par le passé, on a émis l’hypothèse que les différences de prévalence de l’infection étaient liées à l’anatomie distincte des voies urinaires des hommes et des femmes, par exemple s’agissant de la longueur de l’urètre. Cette hypothèse ne tient, cependant, pas compte du fait que l’infection urinaire touche un nombre quasi équivalent de jeunes et de personnes âgées, tous sexes confondus. Les auteurs de cette étude sont partis du postulat que les hormones sexuelles, comme la testostérone, pouvaient être responsables de l’inégalité des hommes et des femmes face à cette infection. En effet, les taux d’hormones sexuelles évoluant avec le temps, une corrélation peut être établie entre la baisse du taux de testostérone, par exemple, et l’augmentation de la prévalence de l’infection urinaire chez les hommes. Par ailleurs, des études antérieures ont montré que les hormones sexuelles – testostérone, œstrogènes, progestérone, etc. – pouvaient influer sur la réponse des humains et animaux à l’infection.
Effet de la testostérone sur une cytokine clé
Dans l’étude menée par le Dr Molly Ingersoll, chercheuse du département d’Immunologie de l’Institut Pasteur, des animaux des deux sexes ont été infectés par E. coli uropathogène, la cause la plus fréquente de cette infection bactérienne. Pour évaluer la réponse immunitaire à l’infection, les cellules et les médiateurs de l’immunité ont été mesurés dans les vessies infectées des animaux mâles et femelles. « Nous avons été surpris de constater que les souris mâles présentaient une réponse immunitaire bien plus faible et développaient une infection chronique, tandis que la réponse immunitaire était assez forte chez les souris femelles, qui ont été capables d’éliminer les bactéries et de se débarrasser de leur infection », déclare Molly Ingersoll. Des recherches approfondies ont révélé qu’une cytokine clé – une molécule qui dirige une réponse immunitaire ou recrute des cellules immunitaires – était présente en plus grande quantité chez les souris femelles. Lorsque les chercheurs ont inhibé cette cytokine chez des souris femelles peu de temps après l’infection ou leur ont donné de la testostérone, l’infection est devenue chronique. « Tous ces travaux démontrent que la testostérone peut atténuer la réponse immunitaire à l’infection urinaire, possiblement en agissant sur une molécule clé en particulier, présente au début de l’infection », poursuit Molly Ingersoll. Un récent financement accordé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) permettra à l'équipe de Molly Ingersoll d'étudier ces mécanismes plus en détails.
Les chercheurs ont longtemps négligé l’étude de l’influence du sexe sur l’immunité, notamment parce qu’ils craignaient que les hormones sexuelles ne faussent les résultats. Des travaux plus récents suggèrent que cette appréhension peut être dépassée voire exploitée pour mieux comprendre la biologie des différences entre les sexes dans l’infection et l’immunologie. En effet, cette étude souligne que considérer le sexe comme un paramètre d’étude peut révéler d’importantes disparités biologiques dans les réponses immunitaires précoces à l’infection entre les hommes et les femmes, allant probablement au-delà de la vessie. Face à la sous-estimation de l’influence du sexe sur la réponse immunitaire, ce type d’étude contribuera à renforcer notre compréhension des différences immunitaires entre les hommes et les femmes et jettera les bases de thérapies affinées les ciblant spécifiquement.
Source
Sex differences in IL-17 contribute to chronicity in male versus female urinary tract infection, JCI Insight, 11 juillet 2019
Anna Zychlinsky Scharff1,2, Matthieu Rousseau1,2, Livia Lacerda Mariano1,2, Tracy Canton1,2, Camila Consiglio1,2, Matthew L Albert1,2,6, Magnus Fontes3,4,5,6, Darragh Duffy1,2, Molly A Ingersoll1,2
1 Unité Immunologie des cellules dendritiques, département d’Immunologie, Institut Pasteur, 75015 Paris, France
2 INSERM U1223, 75015 Paris, France
3 International Group for Data Analysis, Institut Pasteur, 75015 Paris, France
4 The Centre for Mathematical Sciences, université de Lund, 221 00 Lund, Suède
5 The Center for Genomic Medicine, Rigshospitalet et Persimune, Copenhague, Danemark
6 Department of Cancer Immunology, Genentech Inc, South San Francisco, Californie, États-Unis