Thomas Gregor, biophysicien nommé membre de l’EMBO, a aménagé au sein de l’Institut Pasteur (à Paris) son unité Physique des fonctions biologiques et publié trois articles dans de prestigieuses revues en l’espace de douze mois (en 2018-2019). Nous l’avons rencontré autour d’une tasse de thé pour en savoir plus sur sa passion pour la science.
En octobre 2023, Thomas Gregor a reçu un prestigieux financement européen, un ERC Synergy Grant pour le projet DynaTrans qui concerne : Transcription in 4D: the dynamic interplay between chromatin architecture and gene expression in developing pseudo-embryos.
D’origine allemande, il a dirigé un laboratoire et enseigné à l’université de Princeton, avant d’arriver en France. Son travail consiste à « expliquer les processus complexes de la matière vivante en s’appuyant sur les principes de la physique et à les décrire via les mathématiques ». Dans cette quête, il a exploré différentes disciplines – mathématiques, physique, chimie et biologie – et séjourné dans plusieurs pays, dont le Japon et les États-Unis. Il s’est installé à Paris fin 2017 afin de faire progresser ses recherches dans le département Biologie du développement et des cellules souches.
De par sa compréhension approfondie de la caractérisation du destin cellulaire via l’étude de drosophiles et son expérience à la tête d’un laboratoire à Princeton pendant dix ans, Thomas Gregor apporte à l’Institut toute l’expertise d’un chercheur chevronné à la carrière particulièrement riche. Il entend désormais appliquer les technologies qu’il a développées à des systèmes plus complexes, comme les mammifères et les organoïdes. L’Institut Pasteur promet d’être pour lui un environnement propice à cette nouvelle étape de son travail.
« Ma carrière a connu récemment trois moments forts, avec la publication successive de trois articles scientifiques, fruits d’un travail de longue haleine », révèle Thomas Gregor. Ces articles traitent de plusieurs aspects de la caractérisation du destin cellulaire chez l’embryon précoce de la mouche, à savoir :
- la précision avec laquelle l’ADN lit l’information émanant d’un réseau génétique,
- le mode de transmission de cette information à un gène cible à longue distance, puis, au niveau du promoteur d’un tel gène,
- la manière dont cette information est transformée en produit transcriptionnel.
Rédigés et publiés dans l’année suivant l’arrivée de Thomas Gregor à Paris, ses articles se fondent sur les résultats de nombreuses années de travail avec ses collaborateurs, principalement basées à Princeton.
Le recrutement du chercheur au sein de l’Institut Pasteur marque une nouvelle escale dans son parcours international. Thomas affirme que ses proches ont bien accueilli ce changement, qualifiant la France de « formidable pays pour la recherche et la vie de famille ».
Faisant écho à sa mobilité géographique, les recherches de Thomas Gregor transcendent les frontières disciplinaires. À la croisée de la physique et de la biologie, elles s’appuient sur ses études en mathématiques avancées et en chimie. « D’une certaine façon, je manque de racines, ce qui peut parfois paraître une faiblesse », indique-t-il. Mais les interconnexions qu’il a établies entre ces disciplines – comme le développement par son équipe de modèles mathématiques de description de processus de vie – témoignent en réalité des évolutions de la biologie moderne, où les mathématiques jouent un rôle important (on parle de biologie quantitative), et se révèlent un atout formidable dans un domaine où le besoin d’interdisciplinarité est un fait établi.
Et ces forces ont été largement reconnues, notamment dans un article de Quanta magazine citant une de ses études récemment publiée dans Cell. Cette étude démontrait que les processus précoces de différenciation cellulaire sont bien plus efficaces qu’on ne le pensait. Cette conclusion est l’aboutissement de recherches sur l’une des questions clés auxquelles son équipe tente de répondre : comment la cellule d’un organisme en développement parvient-elle à se situer et à savoir quel type de fonction elle doit remplir ?
Avant de se questionner sur le destin des cellules, le jeune Thomas s’était déjà questionné sur son propre parcours de vie. Né en Rhénanie dans l’ouest de l’Allemagne et issu d’une famille allemande classique, passionnée de cuisine et de football, mais d’une curiosité intellectuelle modeste, rien ne prédestinait Thomas à rejoindre la sphère académique. « J’étais une véritable boule d’énergie à la maison. Je ne m’intégrais pas vraiment », se souvient-il.
Il ne faut pas hésiter à saisir et provoquer des opportunités faites de rencontres et de coups de cœur scientifiques.
Il se passionne pour les sciences et les maths dès ses premiers apprentissages scolaires. Il aime en relever les défis et apprécie d’en résoudre les énigmes en toute autonomie. Son enthousiasme et son autodiscipline se sont révélés très tôt. « Je ne pouvais pas retourner en classe tant que mes devoirs n’étaient pas parfaits. C’était impensable », ajoute-t-il.
Il saisit la moindre occasion pour enrichir ses connaissances. Sa soif d’apprendre est insatiable. Il prend également les devants en cherchant d’autres moyens de parfaire son instruction. Son professeur de mathématiques le laisse régulièrement expliquer lui-même le cours à ses camarades de classe en difficulté, ce qui permet à ces derniers de progresser et, à lui, d’avancer dans le programme. « Mais cela ne m’a pas toujours rendu populaire », confesse-t-il avec le recul.
Thomas Gregor se rend compte, en parcourant les références bibliographiques de ses manuels scolaires préférés, qu’il peut faire carrière dans les mathématiques et les sciences. Il a une véritable révélation lors d’un cours de religion portant sur la notion catholique de sainteté, pendant lequel il interpelle poliment son enseignant sur la question. Ce dernier, pour sa propre tranquillité et celle de son cours, a préféré laisser Thomas lire et faire des maths pendant les séances.
Cet événement marque un formidable tournant, offrant au jeune garçon plus de temps pour découvrir ses manuels scolaires. La vie étant courte, il est judicieux de bien exploiter son temps, ce qui le fait réfléchir.
« Pour quiconque souhaite contribuer à l’humanité, la médecine semble être une bonne voie », se dit-il en songeant à l’emprunter. D’un autre côté, en optant pour une carrière dans la recherche scientifique, il « pourrait potentiellement aider un plus grand nombre de personnes, car les progrès de la science peuvent avoir des applications pratiques dans d’autres domaines, dont la médecine ». En effet, les découvertes actuelles peuvent offrir aux médecins de nouveaux outils au service de la santé future de l’humanité.
Thomas Gregor a aussi été beaucoup inspiré par Einstein, dont la théorie de la gravitation a été corroborée un siècle plus tard, illustrant parfaitement ce qu’un scientifique passionné peut apporter à la société. Il se dit alors que la recherche est un moyen utile de mettre son talent et son temps au service des autres.
Cette conviction et la passion viscérale qu’il voue au travail le mettent sur cette voie. Il passe par des moments de doute, comme lorsqu’il entre à l’université de Genève pour son master de physique : il constate qu’il compte une bonne année de retard sur les autres étudiants en raison des différences de programmes entre l’Allemagne et la Suisse et il doit délaisser l’allemand au profit du français. Il y vit une première année difficile, mais rattrape progressivement les meilleurs, un groupe d’étudiants particulièrement doués emmené par un futur lauréat de la médaille Fields. Il renforce sa confiance en ses capacités et son choix s’affirme, mais une fois diplômé, il ne veut pas s’arrêter là. Son deuxième master le fait quitter la Suisse pour les États-Unis afin d’étudier la chimie à Princeton. Il emboîte le pas de l’un de ses professeurs avec qui il partage des affinités intellectuelles.
Il saura parfaitement s’immerger dans la culture académique américaine qui offre des synergies et des opportunités sans équivalent. Pour lui, l’université de Princeton représentait un lieu idéal pour « converger les bonnes personnes au bon endroit au bon moment », et c’est là qu’il se fait une place. Pour son doctorat, il applique des principes de la physique et le langage des mathématiques à des systèmes biologiques supposés auparavant trop « décousus » pour une telle approche. Il assemblait une équipe de trois professurs autour de lui, deux physiciens (un théoricien et un expérimentaliste) et un biologiste, et ensemble ils ont entamé une collaboration de long terme dont le dernier fruit est l’une des trois publications mentionnées plus haut.
De retour en Europe, à l’Institut Pasteur, il est personnellement et professionnellement prêt à écrire le prochain chapitre de sa vie. Il ne cache pas son bonheur d’élever ses trois enfants en France, avec son épouse, elle-même scientifique, et ne tarit pas non plus d’éloges sur son environnement professionnel, notamment l’équipe qu’il est en train de constituer. Avec eux, il conçoit et installe désormais des microscopes destinés à observer des cellules uniques voire des molécules uniques, mais sur des spécimens plus complexes que les drosophiles qu’il étudiait auparavant. Cette nouvelle étape de sa carrière suscitera, sans aucun doute, de nouvelles questions scientifiques.
Au regard de tout ce qu’il a déjà accompli, Thomas Gregor peut parler avec recul et conviction de son parcours et souhaite en faire profiter les plus jeunes qui démarrent en recherche : « Les parcours atypiques et non linéaires sont souvent les plus riches », résume-t-il. « Il ne faut pas hésiter à saisir et provoquer des opportunités faites de rencontres et de coups de cœur scientifiques ».
Photo credit: François Gardy, Institut Pasteur
Sources
Optimal Decoding of Cellular Identities in a Genetic Network, Cell, February 7, 2019
Petkova MD1, Tkačik G2, Bialek W3, Wieschaus EF4, Gregor T5.
1. Joseph Henry Laboratories of Physics and the Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA; Program in Biophysics, Harvard University, Cambridge, MA 02138, USA.
2. Institute of Science and Technology Austria, Am Campus 1, 3400 Klosterneuburg, Austria.
3. Joseph Henry Laboratories of Physics and the Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA.
4. Department of Molecular Biology and Howard Hughes Medical Institute, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA.
5. Joseph Henry Laboratories of Physics and the Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA; Department of Developmental and Stem Cell Biology, UMR3738, Institut Pasteur, 75015 Paris, France. Electronic address: tg2@princeton.edu.
Dynamic interplay between enhancer-promoter topology and gene activity, Nature Genetics, September, 2018
Chen H1, Levo M1, Barinov L2, Fujioka M3, Jaynes JB3, Gregor T4,5,6.
1. Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ, USA.
2. Department of Molecular Biology, Princeton University, Princeton, NJ, USA.
3. Department of Biochemistry and Molecular Biology, and the Kimmel Cancer Center, Thomas Jefferson University, Philadelphia, PA, USA.
4. Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ, USA. tg2@princeton.edu.
5. Joseph Henry Laboratories of Physics, Princeton University, Princeton, NJ, USA. tg2@princeton.edu.
6. Department of Developmental and Stem Cell Biology, Institut Pasteur, Paris, France. tg2@princeton.edu.
Diverse Spatial Expression Patterns Emerge from Unified Kinetics of Transcriptional Bursting, Cell, October 18, 2018
Zoller B1, Little SC2, Gregor T3.
1. Joseph Henry Laboratories of Physics and the Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA.
2. Department of Molecular Biology and Howard Hughes Medical Institute, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA; Department of Cell and Developmental Biology, Perelman School of Medicine, University of Pennsylvania, Philadelphia, PA 19104, USA.
3. Joseph Henry Laboratories of Physics and the Lewis-Sigler Institute for Integrative Genomics, Princeton University, Princeton, NJ 08544, USA; Department of Developmental and Stem Cell Biology, Institut Pasteur, 75015 Paris, France. Electronic address: tg2@princeton.edu.