Tabac, alcool, cocaïne... Ces substances addictives représentent de véritables fléaux pour la santé. Morgane Besson, chercheuse en neurobiologie, s'efforce de percer les mystères biologiques qui sous-tendent la consommation de ces produits. Ses recherches soulèvent des questions cruciales : Sommes-nous tous égaux face à l’addiction ? Nos comportements modifient-ils durablement la biologie de notre cerveau ?
De l’université à l’étude comportementale des gibbons, en passant par la prestigieuse université de Cambridge, Morgane est animée par une quête essentielle : comment expliquer biologiquement nos pensées et nos prises de décisions, même dans des situations pathologiques ?
Une curiosité insatiable, de l’infiniment grand à l’infiniment petit
Dès son enfance, Morgane s’interroge sur les mystères de l’univers. À peine âgée de dix ans, elle pose des questions à son père sur les limites du cosmos et la nature du néant. Au lycée, son intérêt pour la compréhension du monde se réoriente vers l’infiniment petit, notamment lors d'un cours de biologie sur le cerveau et les synapses. Cette passion l’a conduite à se spécialiser dans la biologie du comportement à l’université. Son stage de master 1, en collaboration avec le Muséum d’histoire naturelle, lui permet d’étudier le comportement des gibbons au parc zoologique de Clères, dans le but d’améliorer leur bien-être. Cependant, sa véritable vocation réside dans la recherche sur le cerveau. Elle poursuit donc sa thèse en neurobiologie à l’Institut Pasteur, avant de passer trois années de post-doctorat à Cambridge.
Un retour à l’Institut Pasteur pour percer les mystères de l’addiction
Morgane s'interroge : pourquoi certaines personnes développent-elles une dépendance alors que d'autres réussissent à contrôler leur consommation ? Elle explore les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent cette disparité.
La dépendance est une maladie du cerveau, comparable à la dépression, marquée par des dysfonctionnements biochimiques et une réorganisation des circuits cérébraux.
Les gènes : des clés pour comprendre l’addiction au tabac
Dans le laboratoire de neurobiologie dirigé par Uwe Maskos, Morgane étudie la piste génétique. En comparant l’ADN de fumeurs dépendants à celui de non-dépendants, une mutation génétique liée au tabagisme a été identifiée. Cette mutation influence la formation des récepteurs nicotiniques dans le cerveau, qui interagissent avec la nicotine.
Les fumeurs porteurs de cette mutation ont deux fois plus de risques de développer une addiction.
Quand les drogues détournent notre cerveau
Les drogues, en provoquant des sensations agréables, agissent sur notre cerveau en activant des récepteurs spécifiques, comme les récepteurs nicotiniques. Ce processus déclenche la libération de dopamine, souvent appelée "molécule du bonheur". Ce "système de récompense" est essentiel à notre survie, car il renforce les comportements bénéfiques tels que manger ou boire. Toutefois, l'usage de drogues usurpe ce circuit, incitant à répéter ces comportements.
La routine : un phénomène chimique à double tranchant
Avec le temps, les drogues modifient également des circuits neuronaux liés à nos routines quotidiennes. Des gestes simples, comme se lever ou prendre un café, deviennent automatisés. Malheureusement, ces habitudes peuvent se transformer en comportements nuisibles, comme la consommation de drogues. Morgane souligne que la question de la santé mentale est souvent négligée en France, où les traitements efficaces pour l’alcool et la nicotine font défaut, et où aucune solution n’existe encore pour la cocaïne.
« La recherche doit continuer, tout comme l’accompagnement des personnes en souffrance. »
L’impact de l’histoire personnelle sur le cerveau
Morgane intègre également les facteurs environnementaux dans ses recherches. L’histoire et le contexte de chaque individu jouent un rôle crucial dans la susceptibilité à l’addiction. En collaboration avec Romain Icick, psychiatre et addictologue, elle collecte des données sur les patients pour établir des liens entre leur génome, leur vécu, leur personnalité et leur consommation de substances. Des états de dérégulation émotionnelle peuvent accroître le risque d’addiction, influencés par des facteurs génétiques et des événements de vie.
La société pense souvent qu’il suffit d’avoir de la volonté pour surmonter une addiction. La recherche révèle que ce sont des phénomènes biologiques complexes qui nécessitent encore d’être éclaircis.
Morgane Besson en quelques dates
2002 : DEA Biologie du comportement, Université Paris 13.
Stage de recherche : Laboratoire de Neurobiologie de l’apprentissage, de la mémoire et de la communication, UMR CNRS 8620, Orsay, France.
Caractérisation des aires cérébrales impliquées dans les comportements de centrophobisme/thigmotactisme chez Drosophila melanogaster.
2001 : Maîtrise de Biologie cellulaire et physiologie, option neurosciences. Université de Rouen.
Stage : Parc zoologique de Clères (76). Caractérisation comportementale de deux familles de gibbons (Hylobates concolor) et impact de l’enrichissement environnemental.
2002-2006 : Doctorat de l’Université Paris VI, spécialité Cerveau-cognition-comportement.
Rôle des récepteurs nicotiniques neuronaux de l'acétylcholine dans la dépendance à la nicotine Unité Récepteurs & Cognition, Institut Pasteur. Sous la direction du Pr. Sylvie Granon et du Pr. Jean-Pierre Changeux.
2007-2010 : Postdoc. Department of Experimental Psychology, Université de Cambridge, Royaume-Uni. Sous la direction des Pr. Trevor Robbins et Barry Everitt
Etude des bases neurales et moléculaires du comportement impulsif et sa relation à la dépendance à la cocaïne.
2010-2013 : postdoc unité de Neurobiologie Intégrative des Systèmes Cholinergiques
Depuis 2013 : Chargée de recherche experte (titulaire ; équivalent CR1). Unité de Neurobiologie Intégrative des Systèmes Cholinergiques, UMR CNRS 3571, Institut Pasteur, Paris.
Etude de l’impact de facteurs génétiques et environnementaux, et de leurs interactions avec le récepteur nicotinique de l’acétylcholine, dans les processus mis en jeu au cours de la dépendance aux drogues et de différents troubles neuropsychiatriques associés. Directeur d’équipe : Dr. Uwe Maskos
2022 : HDR Université Paris 11, Etude de la vulnérabilité à l’addiction aux drogues et à différents troubles psychiatriques associés et caractérisation de ses corrélats neurobiologiques.
Prix
2014 : Obtention du prix Gilbert Lagrue de la Fondation de France (pour les travaux sur la dépendance tabagique)