Laure Bally-Cuif dirige l’unité Neurogénétique du poisson zébré à l’Institut Pasteur. Ses recherches ont pour modèle un petit poisson dont certains peuvent être transparents jusqu’à l’âge adulte, un atout important pour l’observation du développement cérébral et des nombreuses cellules qui y participent.
Laure Bally Cuif est née à Lyon, issue d’une famille modeste. A l’école, c’est une élève douée et qui se montre curieuse dans toutes les disciplines. A cette époque elle découvre un intérêt particulier pour les langues et les écritures. Elle s’interroge sur leur évolution, leur transformation dans le temps, au fils des civilisations. Adolescente, pour son anniversaire elle rêve de se voir offrir la « Grammaire de Champollion » illustrée. Ce livre qu’elle a reçu, elle le conserve encore aujourd’hui et l’attrait pour cet ouvrage reste intact.
A la fin du lycée les professeurs lui conseillent de se diriger vers une classe « prépa ». Suite à cela, elle opte pour une formation qui lui ouvrira « le plus de portes possibles », elle postule à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Paris où elle se trouve reçue. Laure effectue sa thèse à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, puis à l’ENS. Elle cherche à identifier les gènes et les mécanismes à l’origine de la formation des différentes régions du cerveau chez l’embryon d’oiseau et de mammifère.
Car pour elle, qu’il s’agisse d’une langue, d’une écriture ou du vivant, comprendre les mécanismes de l’évolution est un sujet tout aussi captivant.
En 1995, elle décide de partir pour un premier post-doctorat aux États-Unis, à l’université de Princeton, dans le laboratoire du Dr Robert Ho.
« La recherche est une compétition internationale, il est crucial d’aller voir comment travaillent d’autres chercheurs et notamment à l’étranger. Ces deux années à l’université de Princeton m’ont permis de découvrir de nouvelles techniques, de nouveaux modes de fonctionnement d’un laboratoire, et de travailler dans un environnement très stimulant » nous explique-t-elle.
A Princeton, ses recherches s’orientent vers un nouveau modèle d’étude, novateur pour l’époque, qui permet d’associer l’étude de l’embryologie et de la génétique : il s’agit d’un petit poisson d’eaux douces appelé zebrafish ou poisson zébré.
Ce poisson possède un double avantage pour notre chercheuse : tout au long de sa vie il produit des neurones en grande quantité grâce à la persistence de cellules progénitrices (les cellules souches neurales), et par ailleurs, sa transparence permet d’observer le développement de cette population de cellules in vivo, sous la focale du microscope, jour après jour.
Laure Bally-Cuif
Étudier le développement des cellules in vivo, en interaction avec leur milieu d’origine, est très différent d’une observation de cellules en boite de culture, coupées de leur environnement.
De retour en France, en 1996 elle est recrutée par le CNRS. Elle effectue ensuite un second post-doctorat au Centre de recherches Helmholtz à Munich, où elle obtient en 2000 la possibilité de monter son propre groupe. Elle y consacre ses recherches pendant dix ans. Laure nous raconte :
« Toutes les conditions pour mes recherches étaient excellentes en Allemagne, en revanche c’était extrêmement compliqué de concilier vie professionnelle et vie familiale. Dans cette région de l’Allemagne, il n’y avait pas de crèches pour la petite enfance et plus tard pas de cantine, ni d’école l’après-midi. C’est grâce à des associations que j’arrivais à m’organiser. Après plusieurs années, j’ai donc décidé de rentrer en France. »
En 2010 elle installe son équipe à l’Institut NeuroPSI (Gif-sur-Yvette) et rejoint finalement en 2016 l’Institut Pasteur.
« A l’Institut Pasteur, il existe une diversité de recherches et cette multidisciplinarité est une chance. Pour répondre à certains questionnements, je peux collaborer, par exemple, avec des spécialistes de physique ou des technologies d’imagerie de pointe. »
A ce jour, l’équipe de Laure Bally Cuif cherche à comprendre les mécanismes moléculaires qui permettent la mise en place, le maintien et l’utilisation des cellules souches neurales chez le poisson zébré.
Laure nous explique :
" Il y a une vingtaine d’années, on pensait que les neurones se formaient de l’embryogenèse jusqu’à la naissance et que par la suite, en vieillissant, leur nombre ne faisait que diminuer. Mais au début des années 1990, des chercheurs ont pu mettre en évidence le renouvellement des cellules du cerveau et en comprendre l’origine. Ici dans mon unité nous cherchons à définir quels sont les mécanismes qui régissent l’activité des cellules souches : comment le cerveau adulte maintient-il ces cellules ? A quel moment le cerveau choisit-il de s’en servir ? Peut-on stimuler les cellules souches ? "
Depuis plusieurs années les cellules souches sont porteuses de grands espoirs thérapeutiques. Actuellement, certaines sont déjà utilisées pour des greffes de peau chez les grands brûlés. Mais grâce à elles réparer et soigner le cerveau sera peut-être un jour envisageable. Ces cellules, transformées, sont également retrouvées dans certains cancers notamment cérébraux. Comprendre le contrôle de leur activité pourra donc également apporter des informations importantes dans ce domaine.
Si Laure est actuellement très occupée par ses recherches, elle garde toujours un vif intérêt pour la linguistique. Lors de ses années d’étude, nous confie-t-elle, il lui arrivait de « sécher » certains cours de chimie organique pour apprendre les liens entre les écritures japonaises et chinoises. Un jour, quand elle retrouvera un peu plus de temps, Laure se voit bien retourner sur les bancs de l’université, poursuivre ce vaste sujet d’étude.
Laure Bally Cuif en quelques dates :
1987-1991 : École normale supérieure (Paris)
1990-1994 : Chercheuse doctorante au sein des laboratoires de C. Sotelo (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) et d’A. Prochiantz (ENS), sous la direction de M. Wassef
1994 : Thèse de doctorat de 3e cycle en biologie moléculaire et cellulaire
1995-1997 : Chercheuse post-doctorante au sein du laboratoire de R. K. Ho, biologie moléculaire, université de Princeton, États-Unis
1998-1999 : Chercheuse post-doctorante dans le laboratoire de W. Wurst, centre de recherche GSF, Munich, Allemagne
2000-2010 : Chef d’équipe, puis directrice de département, Centre de recherche Helmholtz, Munich, Allemagne
2006 : Prix d'Excellence Heinz Maier-Leibniz
2010-2016 : Responsable d’équipe de recherche, Institut NeuroPSI, Gif-sur-Yvette, France
2008 : Grand Prix de la Fondation Schlumberger pour l’éducation et la recherche
2010-2013 : Prime d’excellence scientifique du CNRS
Depuis 2016 : Responsable de l’unité Neurogénétique du poisson zébré dans le département Biologie du développement et cellules souches, Institut Pasteur, Paris, France
2016 : Membre élue EMBO
2017 : Médaille d’argent du CNRS
2018 : Membre élue de l’Academia Europaea
2019 : Prix François Jacob