Jean-Philippe Chippaux est un homme de terrain. Il a contribué tout au long de sa carrière, dans de multiples pays d’Afrique et d’Amérique Latine, à la prévention et à la prise en charge de nombreuses maladies tropicales négligées. Parallèlement à ces missions qu’il réalise pour l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement, il s’est consacré, pendant plus de quarante ans, à l’étude des serpents et leur envenimation. Si au départ ce sujet était pour lui un hobby, il est devenu avec le temps un axe de recherche à part entière. Détaché de l’IRD, il réalise actuellement une étude * avec l’Institut Pasteur visant à l’amélioration d’un sérum antivenimeux.
Les liens qui unissent Jean-Philippe et l’Institut Pasteur sont singuliers. Ils se sont noués dès l’enfance. Son père (Alain Chippaux) a fait ses classes à l’école de santé militaire de Lyon puis à l’Ecole d’application du Pharo, à Marseille. Il commence sa carrière dans les « Equipes Jamot » luttant contre la maladie du sommeil au Congo. Sa mère (Claude Chippaux-Hyppolite) est également médecin. Ils travailleront tous les deux pour l’Institut Pasteur, dans une Afrique en pleine mutation.
En 1955 alors qu’il est âgé de deux ans, sa famille part pour une première mission au Congo, puis en 1960 en Centrafrique ; c’est ainsi que Jean-Philippe va vivre jusqu’à l’âge de douze ans sur le continent africain. Son père est d’ailleurs à l’origine de la création des instituts Pasteur de Bangui en Centrafrique puis d’Abidjan en Côte d’Ivoire, dont il sera directeur. A son retour en France et après obtention du baccalauréat, Jean-Philippe décide de se diriger, à son tour, vers des études de médecine, sans intention d’exercer son métier en médecine de ville en France. Il souhaite retrouver l’Afrique.
Rencontre avec vipères, cobras et mambas...
Il part travailler à l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire de 1973 à 1979 et rencontre, sur place, un autre passionné de serpents, Bernard Courtois technicien dans le laboratoire de virologie. Ensemble, ils vont créer un serpentarium, composé des espèces endémiques : vipères, cobras et mambas. Parallèlement, il commence ses études de médecine en Côte d’Ivoire et les terminera en France.
En 1980, son doctorat de médecine en poche, il s’inscrit a de nombreuses formations pour se perfectionner et se doter de tous les outils nécessaires à l’expertise en santé publique et en médecine tropicale.
Il effectue son service national, l’année suivante, en Amérique du sud, dans le laboratoire d’entomologie médicale à l’Institut Pasteur de Cayenne en Guyane française.
En 1985, il entre à l’ORSTOM (Ex IRD) et cette première mission le conduit au Bénin à Cotonou.
Des maladies, des pays, des populations
Pendant 25 ans, ses activités professionnelles vont se succéder de pays en pays : Bénin, Cameroun, Niger, Sénégal, Bolivie… Il y fera un état des lieux des maladies qui affectent les populations locales et trouvera les moyens et ressources pour organiser la distribution de médicaments afin de soigner les malades et de déployer des campagnes de prévention à l’échelle d’un village ou d’un département. Dans cette région du monde, développer une médecine préventive contre les maladies vectorielles (maladies transmises par les moustiques ou les parasites) est à la fois une nécessité et un défi.
De 1989 à 1994, il est affecté au Centre Pasteur de Yaoundé au Cameroun au sein duquel il aura la responsabilité du service de parasitologie. Dans ce contexte, il collabore également avec Cassian Bon, responsable du service des anti-venins à l’Institut Pasteur de Paris. Ensemble, ils vont mettre en place les critères utiles pour évaluer les essais cliniques des sérums ; l’un pour l’Afrique, l’autre pour traiter les morsures de vipères en France.
En 1991, il soutient sa thèse, sciences de la vie et santé publique à l’université de Paris 6 et en 1993, il obtient son habilité à diriger des recherches (HDR).
De 1994 à 2000, il se voit confier la direction du CERMES qui est un centre de recherche médicale et sanitaire, situé à Niamey au Niger, dont il va initier le rattachement au Réseau International des Instituts Pasteur.
Et parallèlement à son travail, comme toujours, Jean-Philippe continue de s’intéresser aux serpents. Systématiquement, ils les repères, les identifie, répertorie leur nombre et leurs spécificités sur de nombreux carnets. Ses connaissances ophidiennes (qui à trait aux serpents) le conduisent ainsi à formuler des recommandations ou bonnes pratiques à destination des personnes ou métiers plus exposés, pour éviter autant que possible les risques de morsure.
Ce qu’il faut comprendre, c’est à quel moment et dans quelles circonstances l’homme et le serpent se rencontrent ? Mais aussi, identifier les conditions qui attirent et retiennent certaines espèces de serpents dans un lieu spécifique », explique-t-il. « J’ai été amené à transmettre les bonnes pratiques à tenir, pour des propriétaires d’exploitation agricole. Il y a des saisons pendant lesquelles les serpents se déplacent beaucoup, lors de leur reproduction, ce qui favorise l’exposition aux serpents. Certains métiers, aussi doivent adopter les bonnes pratiques. Par exemple, les ouvriers qui nettoient les plantations de canne à sucre après la récolte doivent être protégés par une tenue vestimentaire adéquate : bottes, gants et chapeau
Cette connaissance du terrain lui a permis de publier plusieurs livres, qui recensent les espèces venimeuses, prodiguent des conseils de prévention et de prise en charge après morsure.
Rattaché à la fin de l’année 2017 au Centre de recherche translationelle de l’Institut Pasteur, Jean-Philippe travaille à présent exclusivement sur les envenimations ophidiennes et scorpionniques. A ce titre, il recueille et analyse les données cliniques de 470 patients volontaires ayant reçu un anti-venin. Cette collaboration avec 14 centres de santé répartis sur l’ensemble du territoire camerounais va permettre de mesurer précisément l’efficacité du sérum existant et de répertorier les évènements indésirables. Un second axe de recherche s’intéresse à trouver de nouveaux traitements post-morsure, car « il ne faut pas négliger que certains venins entraînent parfois de lourdes complications », conclut-il.
Cette réorientation de ses activités lui permet de retourner régulièrement – presque chaque mois – en Afrique, au Cameroun notamment pour le suivi de l’étude clinique, mais aussi dans de nombreux autres pays où il forme le personnel de santé à la prise en charge des envenimations et où il initie de nouvelles études cliniques ou herpétologiques. Un moyen de renouer avec sa trajectoire et de joindre l’utile à l’agréable.
En 2017, les morsures de serpent ont été reconnues par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme une maladie négligée dont l’incidence et la mortalité restent fortement sous-estimées dans les pays du Sud. Plus de 315 000 morsures et 7 000 décès ainsi qu’environ 9 000 amputations sont recensés dans les formations sanitaires d’Afrique subsaharienne, entraînant un coût socioéconomique particulièrement élevé. |
Jean-Philippe Chippaux en quelques dates
2017 : Centre de Recherche Translationnelle, Institut Pasteur de Paris
2017 : Membre du groupe d’experts de l’OMS (Core Adviser) Snakebite Envenoming Working Group
2014 : Officier de l’Ordre national du Bénin
2013 : Élu membre correspondant de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer
1993 : Habilitation à diriger des recherches, spécialité Santé Publique : Paris 6
1991 : Doctorat de l’Université, Sciences de la Vie et de la Santé spécialité Santé Publique : Paris 6
1983 : Lauréat du Prix NOURY-LEMARIE (Société de Pathologie Exotique)
1980 : Doctorat d’État en Médecine : Marseille