Le vieillissement en question
La quête de la fontaine de jouvence n’est plus un mythe. Aujourd’hui dans les laboratoires de recherche, les résultats, encore expérimentaux, laissent réellement entrevoir des possibilités de ralentir le vieillissement, voire de rajeunir certains tissus. L’enjeu est considérable face à la mutation démographique en cours : la proportion des 60 ans et plus dans la population mondiale va presque doubler d’ici 2050. En France, 18 % de la population avait 65 ans ou plus en 2013, une proportion qui atteindrait 26 % en 2040, et le nombre de personnes de plus de 85 ans pourrait quadrupler d’ici 2070…
L’ère de la « géroscience »
Cette évolution fait de la santé des seniors une préoccupation croissante. Nous sommes entrés dans l’ère de la « géroscience », qui offre l’espoir d’agir sur ce processus aujourd’hui inéluctable qu’est le vieillissement et d’augmenter « l’espérance de vie en bonne santé ».
Les effets de l’âge nous touchent de façon très inégale et il n’existe pas de personne âgée « type ». « Certains possèdent, à 80 ans, des capacités physiques et mentales comparables à nombre de personnes dans la vingtaine. D’autres les voient décliner fortement alors qu’ils sont bien plus jeunes », souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Un groupe « vieillissement » à l’Institut Pasteur
Depuis janvier 2016, un groupe de travail réunissant des chercheurs qui étudient les mécanismes du vieillissement à travers plusieurs disciplines s’est formé à l’Institut Pasteur, à l’initiative du Centre de Recherche Translationnelle. « Echanger régulièrement sur nos approches et nos techniques avec d’autres chercheurs, qui travaillent sur différents aspects du vieillissement, est très enrichissant», témoigne Elisa Gomez-Perdiguero, responsable d’un groupe à 5 ans (équipe de recherche dirigée par de jeunes scientifiques à fort potentiel, et créée pour une durée de cinq ans). « Cela nous permet d’avoir une vision intégrée du vieillissement. » Tous visent une meilleure compréhension des mécanismes en jeu, étape cruciale pour permettre in fine de nous donner des moyens de vieillir en meilleure santé.
De mystérieuses cellules nichées dans nos tissus
En 2012, Elisa Gomez-Perdiguero, responsable du groupe à 5 ans (G5) Macrophages et cellules endothéliales à l’Institut Pasteur, a fait une découverte très remarquée à propos de certaines cellules nichées dans nos tissus : des macrophages. Les macrophages présents dans notre sang sont bien connus : il s’agit de cellules du système immunitaire, chargées notamment « d’avaler » des débris ou des pathogènes. Ces « éboueurs » de l’organisme sont régulièrement renouvelés et fabriqués dans la moelle osseuse. Or Elisa a montré que les macrophages présents dans les tissus ne proviennent pas, eux, de la moelle osseuse. « Ils sont hérités de l’embryon, explique-t-elle. Ils sont en place dans les tissus depuis les débuts du développement de notre organisme et semblent importants pour leur bon maintien. Si on les supprime, la régénération des tissus est empêchée. Notre hypothèse est que l’on perd ces "macrophages résidents" pendant le vieillissement, ce qui expliquerait en partie que les tissus se réparent moins bien, qu’il y ait plus de fibrose. D’où notre idée, à l’étude, d’aider la réparation tissulaire en stimulant ces macrophages ».
Un risque accru de maladies
Toujours est-il que, statistiquement, le risque d’être atteint de certains déficits ou maladies augmente avec l’âge. Déficit auditif, cataracte, lombalgies, arthrose, broncho-pneumopathie chronique obstructive, diabète, dépression et démence sont des problèmes de santé courants chez les personnes âgées, également plus exposées à la survenue de maladies cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux ou de cancers.
La liste est malheureusement longue ! Face à ce constat, une partie des recherches se focalise sur les maladies liées au vieillissement, des surdités tardives (lire encadré ci-dessous) aux maladies neurodégénératives. Mais de plus en plus d’études visent à comprendre de façon plus fondamentale « comment » on vieillit, avec à la clé l’espoir de freiner le vieillissement.
Prévenir la surdité liée à l’âge ?
La surdité neurosensorielle liée à l’âge ou « presbyacousie » touche une personne sur deux après 75 ans en France et un tiers de la population au-delà de 55 ans. Elle débute par une atteinte de la perception des hautes fréquences, et une difficulté à entendre dans des environnements bruyants et à localiser les sources sonores. Avec le temps, d’autres fréquences deviennent inaudibles et les conversations difficiles à suivre même dans le calme. L’interaction sociale des personnes affectées diminue ; leur isolement est source de mal-être voire de dépression, et contribue au déclin cognitif. Prothèses auditives ou implants cochléaires sont très bénéfiques, mais d’efficacité limitée dans les environnements bruyants.
A l’Institut Pasteur, le Pr Christine Petit, responsable de l’unité de Génétique et Physiologie de l'Audition – laboratoire pionnier dans l’identification des gènes responsables de surdités et la découverte de leurs mécanismes – fait porter ses efforts sur la presbyacousie : « Notre objectif est de comprendre les processus défectueux dans la surdité tardive pour en prévenir la survenue et la progression. On sait que l’atteinte de certains gènes prédispose à la presbyacousie, et aux atteintes auditives liées à une surexposition au bruit. La plupart d’entre eux restent à découvrir. C’est une étape incontournable, pour caractériser les processus pathogéniques en cause. Nous identifions par exemple un nombre croissant d’atteintes auditives liées à des perturbations du métabolisme antioxydant que l’on pourrait vraisemblablement prévenir par des médicaments existants ».
Notre objectif est de comprendre les processus défectueux dans la surdité tardive pour en prévenir la survenue et la progression.
Pr Christine PetitResponsable de l’unité de Génétique et Physiologie de l'Audition
Christine Petit a créé un réseau comportant plusieurs services d’ORL afin de regrouper et d’analyser des familles atteintes de presbyacousie pour rechercher les gènes en cause. A la clé : l’espoir de nouvelles thérapies pour prévenir la presbyacousie, qui pourrait toucher un demi-milliard d’individus dans le monde à l’horizon 2050.
Des dommages cellulaires et moléculaires
Rien n’est simple. Car il n’y a pas un processus unique : le vieillissement, du point de vue biologique, serait le produit de l’accumulation d’un vaste éventail de dommages moléculaires et cellulaires au fil du temps. Pour le comprendre, il nous faut plonger dans l’intimité de nos cellules.
Au cœur de chacune d’entre elles, dans le noyau, siège notre molécule d’ADN, support de notre information génétique (le génome). Un dénominateur commun du vieillissement est l’instabilité de ce génome, liée à l’accumulation au fil des ans de lésions de l’ADN - mutations et autres - dues à des agressions de l’environnement (UV, molécules chimiques...) ou intrinsèques (erreurs de réplication, radicaux libres…). Or nos cellules sont équipées d’un réseau de mécanismes complexes chargé en permanence de réparer ces lésions. Une des pistes « anti-âge » vise donc à renforcer ce système naturel de maintenance et de réparation de notre ADN.
Autre atteinte : le raccourcissement avec l’âge, de morceaux d’ADN nommés « télomères » situés à l’extrémité de nos chromosomes (formes que prend l’ADN lorsque les cellules se divisent - voir image ci-dessous) et servant à les protéger. Une forte association a été établie chez l’homme entre des télomères courts et le risque de mortalité, ainsi qu’avec le développement prématuré de certaines maladies. De nombreuses recherches visent par exemple à stimuler une enzyme, la télomérase, impliquée dans leur maintien.
Les centrales énergétiques de nos cellules affaiblies
Les centrales énergétiques de nos cellules, de petits organites appelés mitochondries, pâtissent elles aussi des effets de l’âge. Or si l’énergie manque ou est produite de façon irrégulière, une cellule musculaire ne peut pas se contracter, un neurone ne peut pas générer d’influx nerveux. Le dysfonctionnement des mitochondries est associé à une accélération du vieillissement. Restaurer leur efficacité est une autre option en cours d’investigation.
Un autre phénomène très étudié est la « sénescence cellulaire » : les cellules sénescentes sont des cellules qui arrêtent de se diviser puis secrètent, entre autres, des facteurs pro-inflammatoires. Leur nombre augmentent avec l’âge, ce qui semble contribuer au vieillissement : dans des modèles expérimentaux, la suppression des cellules sénescentes retarde en effet l’apparition des maladies liées à l’âge et peut accroitre de 30% la vie moyenne d’après une étude américaine parue en février 2016. Mais paradoxalement, le premier objectif de la sénescence cellulaire est de prévenir la propagation de cellules endommagées et de stimuler leur élimination par le système immunitaire. Les cellules sénescentes semblent donc avoir de bons comme de mauvais effets qui doivent être compris plus précisément avant d’envisager leur contrôle chez l’Homme (voir encadré ci-dessous).
Cellules sénescentes : de l’ostéoporose au cancer
A l’Institut Pasteur, le groupe d’Oliver Bischof dans l’unité Organisation nucléaire et oncogenèse est spécialisé dans l’étude de la sénescence cellulaire (de même que l’équipe d’Han Li, voir encadré Régénérer le muscle), un phénomène encore mal connu qui provoque l’arrêt de la division cellulaire et qu’il cherche à décrypter à l’échelle moléculaire. « Nous avons déjà mis à jour plusieurs mécanismes mais nous voulons maintenant savoir ce qui se passe réellement chez les malades », souligne le chercheur. « Nous travaillons notamment à partir de biopsies d’os de patients souffrant d’ostéoporose. Nous y prélevons des cellules souches – impliquées dans la formation de l’os – pour voir s’il y a un processus de senescence de ces cellules et s’il est en rapport avec la maladie. Si nous trouvons un dysfonctionnement, nous pourrons intervenir pour inhiber le vieillissement des cellules en cas d’ostéoporose. » Cette perspective est d’autant plus importante qu’il n’existe aujourd’hui aucun traitement contre cette maladie qui fragilise les os, touche 40% des femmes après 65 ans (sans épargner les hommes) et cause plus de 370 000 fractures annuelles en France.
Au-delà du vieillissement, Oliver Bischof explore des pistes thérapeutiques contre le cancer visant à contrôler les cellules sénescentes pour arrêter la tumorigenèse. Il organise le 19 mai 2017 à l’Institut Pasteur le colloque international « Tenants et aboutissants de la sénescence cellulaire : comprendre la biologie pour favoriser le vieillissement en bonne santé et la lutte contre les maladies ». Ce titre évoque bien les perspectives considérables que représente l’étude des cellules sénescentes…
Vieillissement : que sait-on aujourd’hui ? Quelles perspectives pour la lutte contre les maladies liées à l’âge
Vous êtes conviés à une conférence grand public organisée le 19 mai 2017, gratuite sur inscription (obligatoire), sur le thème :Vieillissement : que sait-on aujourd’hui ? Quelles perspectives pour la lutte contre les maladies liées à l’âge? De 17h30 à 19h30, à l’Institut Pasteur, 28 rue du Dr Roux 75015 Paris.
Organisée par Oliver Bischof (Institut Pasteur, Paris) et modérée par Eric Gilson (Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement, Nice).
L’inscription est gratuite mais obligatoire (avant le 16 mai 2017), dans la limite des places disponibles.
L’épuisement des cellules souches
Citons un dernier effet du vieillissement : l’épuisement des cellules souches chargées de régénérer nos tissus. Il est bien connu qu’une personne âgée qui se coupe cicatrise beaucoup moins vite qu’un enfant. En cause notamment : la baisse du nombre des cellules souches de la peau et de leurs capacités à se multiplier et à se différencier en cellules de peau « spécialisées». Cette perte de quantité et d’efficacité des cellules souches - conséquence de nombreux types de dommages, comme ceux cités précédemment - a été démontrée pour différents tissus comme l’os ou le muscle. Les recherches en cours sur ces cellules laissent espérer l’avènement de thérapies permettant la réparation de tissus ou d’organes, d’une médecine « régénérative » (voir encadré ci-dessous).
Régénérer le muscle ?
« Dès l’âge de 35 ans, la masse musculaire diminue, un processus qui s’aggrave avec le vieillissement et conduit à la sarcopénie, une détérioration de la force musculaire et des performances physiques souvent à l’origine de chutes graves, explique le Pr Shahragim Tajbakhsh, responsable de l’unité Cellules souches et développement et spécialiste du muscle squelettique. La régénération des muscles est compromise avec l’âge par plusieurs facteurs touchant les cellules souches : leur nombre diminue, leur capacité à se différencier s’altère, ainsi que leur « niche » dans le muscle : leur microenvironnement. Nos stratégies pour ralentir le vieillissement des muscles voire les rajeunir visent donc à trouver les moyens de restaurer le nombre des cellules souches musculaires et leur qualité. » L’équipe du chercheur travaille notamment, dans des modèles expérimentaux, à comparer l’expression des gènes et les modifications de l’ADN dans des cellules souches musculaires d’organismes âgés et jeunes. D’autres expériences concernent le rôle – parfois bénéfique, parfois délétère - des cellules sénescentes dans la réparation du muscle. Un phénomène également étudié de près, sous un autre angle, par Han Li, responsable du groupe à 5 ans Plasticité cellulaire et modélisation des maladies, avec l’espoir, nous dit-elle, de « trouver des composants clés pour la régénération des muscles qui permettraient de booster la réparation tissulaire ». En attendant, « la meilleure façon aujourd’hui de prévenir la sarcopénie est d’entretenir sa forme », souligne Shahragim Tajbakhsh.
Ces quelques exemples montrent que l’étude fine des dommages cellulaires ou moléculaires s’accumulant avec le temps apporte autant de pistes pour les prévenir, les contrer ou les réparer, et agir ainsi contre le vieillissement. Parallèlement, des études plus globales ont montré l’intérêt de certains candidats « anti-âge » : la restriction calorique ou bien l’administration de certaines molécules comme l’aspirine, la rapamycine - un immunosuppresseur utilisé dans des cas de greffes – le resvératrol, présent dans le raisin, ou des facteurs naturellement présents dans notre sang comme GDF11 (voir ci-dessous), permettent dans des modèles expérimentaux un ralentissement du vieillissement - voire pour certains un effet rajeunissant. Mais rien n’est encore démontré chez l’homme.
Le sérum de jouvence à l’étude
Un essai clinique pour ralentir le vieillissement
A ce stade, le seul essai clinique sur des effets potentiels contre le vieillissement vise à évaluer sur 3000 personnes âgées un médicament utilisé depuis des années contre le diabète de type 2, la metformine : elle semble ralentir le vieillissement et réduire notamment le risque de maladies cardiovasculaires. Lancé en 2016 aux Etats-Unis, cet essai doit durer six ans.
En attendant les élixirs de jouvence et l’avènement de la médecine régénérative, doit-on rappeler que certaines recettes pour une longévité en bonne santé sont déjà bien connues ? Ne pas fumer, avoir une activité physique régulière et une alimentation équilibrée, notamment moins grasse, moins sucrée, moins abondante… Si demain des médicaments pourront très probablement ralentir le vieillissement et prévenir des maladies liées à l’âge, chacun d’entre nous peut d’ores et déjà agir...
Vieillissement précoce : des cellules de malades réparées
Plusieurs maladies génétiques rares – contre lesquelles aucun traitement n’est disponible à ce jour - provoquent un vieillissement précoce et accéléré. L’une d’elles, le syndrome de Cockayne, est associée à une durée de vie de moins de sept ans pour la forme la plus sévère. Les enfants atteints ont des signes graves de vieillissement précoce comme la perte de poids, de cheveux, de l’audition et de la vue, ainsi que des déformations faciales et une neurodégénérescence.
L’équipe de Miria Ricchetti*, dans l’unité Cellules souches et développement de l’Institut Pasteur, a démontré que les défauts dans les cellules de patients atteints du syndrome de Cockayne étaient majoritairement provoqués par la production excessive d’une molécule – HTRA3. Induite par le stress oxydatif cellulaire (notamment dû aux « radicaux libres »), cette molécule perturbe l’activité des centrales énergétiques des cellules, les mitochondries. Les chercheurs ont réussi à restaurer la fonction mitochondriale dans des cellules de patients en utilisant un inhibiteur de HTRA3 ou un antioxydant qui capture les radicaux libres. « C’est la première fois qu’on entrevoit la possibilité d’intervenir chez les patients atteints du syndrome de Cockayne, et nous avons déposé une demande pour réaliser des tests précliniques et cliniques, souligne Miria Ricchetti. Nous voulons également savoir si ces mécanismes défectueux interviennent dans le vieillissement physiologique normal. Ils pourraient se produire, à une vitesse plus lente, dans les cellules saines. Nous avons donc débuté l’étude de cellules de personnes d’âge différents et allons bientôt travailler sur des cellules de centenaires. »
* En collaboration avec Alain Sarasin (CNRS, Institut Gustave Roussy) et Denis Biard (CEA).
Un rapport sur le vieillissement de l'OMS
Une action globale de santé publique en matière de vieillissement de la population est nécessaire de toute urgence. Cela nécessitera des changements fondamentaux, et pas uniquement dans ce que nous réalisons, mais dans la façon dont nous concevons le vieillissement lui-même.