ComCor : résultats et analyse critique sur l'étude sur les lieux et les circonstances de transmission du SARS-CoV-2
ComCor est une vaste étude qui inclut plus de 160 000 participants* avec infection aiguë par le SARS-CoV-2. Elle permet de décrire les lieux et les circonstances de contamination par ce virus. Retour sur l’intérêt et les limites de l’étude ComCor, ou ce que l’on peut retenir de ses résultats.
*19 avril 2021
Présentation de l’étude ComCor
L’étude ComCor, qui a débuté en octobre 2020, inclut à ce jour 161 685 participants avec infection aiguë par le SARS-CoV-2, dont 28 881 personnels soignants. L’étude permet de décrire les lieux et les circonstances de contamination par le SARS-CoV-2, et comporte deux volets :
- Un volet descriptif des contaminations par le SARS-CoV-2. Dans cette première partie de l’étude, les chercheurs s’intéressent aux caractéristiques démographiques des personnes infectées, à leurs pratiques des gestes barrières, des tests diagnostiques, de l’isolement, et aux circonstances de contamination, notamment lorsque ces personnes savent qui les a infectées ou pensent savoir à quelle occasion elles ont été contaminées. Ces informations ont été obtenues par l’envoi d’un mail par la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) aux personnes récemment diagnostiquées positives pour le SARS-CoV-2 et répertoriées dans la base Contact Covid, avec un lien vers un questionnaire en ligne.
- Un volet analytique, appelé étude cas-témoin, sur les facteurs associés avec l’infection par le SARS-CoV-2. Pour cette deuxième partie de l’étude, les chercheurs comparent les « expositions », c’est-à-dire les caractéristiques socio-démographiques, pratiques, comportements, ou lieux visités des personnes infectées (les cas) avec celles d’un groupe non infecté (les témoins). Les témoins pour cette étude ont été recrutés par IPSOS (entreprise de sondages française), et ont été « appariés », c’est-à-dire choisis pour avoir le même âge, le même sexe, et le même lieu de résidence que les cas. Cas et témoins ont répondu au même questionnaire portant pour les cas sur les 10 jours précédant le début des symptômes (ou la date du test pour ceux qui se sont fait dépister pour un autre motif), et pour les témoins sur les dix jours précédant le remplissage du questionnaire. Une exposition apparaissant plus fréquemment dans les réponses des cas comparées aux témoins est associée à un sur-risque d’infection. Cette augmentation du risque est présentée sous la forme d’un risque relatif, qui est le ratio du risque d’être infecté pour les exposés comparés aux non-exposés (appelé odds-ratio dans les études cas-témoins).
Les deux volets de l’étude sont complémentaires. Le premier volet apporte des informations détaillées sur les lieux et circonstances de transmission quand la personne source de l’infection est connue, ou quand l’évènement à l’origine de la contamination est suspecté. Il s’agira avant tout du milieu familial, amical, ou professionnel. Le deuxième volet permet de couvrir l’ensemble des lieux et circonstances de contamination, qu’ils aient été identifiés par le participant ou non.
Principaux résultats de l’étude ComCor
Principaux résultats de l’étude ComCor
Cette étude a déjà apporté beaucoup d’enseignements, que vous pouvez retrouver dans les rapports intermédiaires publiés les 17 décembre 2020 et 9 mars 2021 sur le site pasteur.fr.
Volet descriptif des contaminations par le SARS-CoV-2
Pour la première étude sur la description des contaminations, on mentionnera que près de la moitié des répondants infectés connaissent la personne qui les a infectés, et qu’il s’agit dans ce cas avant tout d’une source intra-domiciliaire (42%), puis d’une source extra-domiciliaire qui relève de la famille élargie (21%), d’une source professionnelle (15%), d’amis (11%) ou autre (11%). Les réunions privées, avec famille élargie et amis, et le travail en bureaux partagés, constituent les circonstances de transmission du virus les mieux identifiées. Les repas, aussi bien en milieu privé que professionnel, sont les circonstances les plus fréquemment rapportées à l’origine de ces transmissions. Les patients s’isolent vis-à-vis des personnes vivant hors de leur foyer, mais attendent le plus souvent le retour du résultat du test pour s’isoler au détriment d’un isolement dès le début des symptômes. Encore trop souvent également (37% des cas pour les transmissions hors du domicile), la personne source de l’infection était symptomatique au moment du contact infectant. C’est particulièrement vrai en milieu professionnel (46% des cas). L’analyse de plus de 10.000 contacts uniques extra-domiciliaires à l’origine d’une infection montre que ce contact a eu lieu à l’intérieur fenêtres fermées dans 80% des cas, à l’intérieur fenêtres ouvertes dans 15% des cas, et à l’extérieur dans 5% des cas.
Etude cas-témoins sur les facteurs associés à l’infection par le SARS-CoV-2
L’étude des facteurs associés à l’infection par le SARS-CoV-2 a montré que le risque d’infection augmente avec le nombre de personnes vivant dans le foyer, et qu’avoir un enfant scolarisé représente un sur-risque d’infection pour les adultes, notamment ceux gardés par une assistante maternelle (+39%), et ceux qui vont au collège (+27%) et au lycée (+29%). Avec une exception toutefois : avoir un enfant scolarisé en primaire n’a pas été associé à un sur-risque d’infection pour les adultes vivant dans le même foyer. Le risque d’infection varie selon les catégories professionnelles, mais le télétravail protège (-24% pour le télétravail partiel, -30% pour le télétravail total par rapport à des personnes effectuant le même travail en bureau). Les transports en commun n’ont pas été associés à un sur-risque d’infection, mais le partage d’une voiture pour ses déplacements l’a été (+58%). Les déplacements à l’étranger ont été associés à un sur-risque d’infection (+53%). Les cours en amphithéâtre ou en salle pour la formation continue, le sport en extérieur, et la fréquentation des lieux de culte, des commerces, et des salons de coiffure, n’ont pas été associés à un sur-risque d’infection. Certains lieux ont pu être étudiés alors qu’ils étaient encore ouverts en octobre : on a retrouvé un sur-risque d’infection pour la fréquentation des bars, des restaurants, et des salles de sport en intérieur, mais pas pour la fréquentation des lieux culturels.
Interprétation de l’étude ComCor
Comme pour toute étude épidémiologique, avant de tirer des conclusions et proposer des recommandations, il faut réaliser une analyse critique des résultats en répondant aux questions suivantes :
-
Quel est le rôle possible des fluctuations d’échantillonnage à l’origine des résultats ?
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Quels sont les biais potentiels de l’étude ?
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Les résultats sont-ils en accord avec ce que nous savons de la physiopathologie de la transmission du virus ?
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Les résultats sont-ils retrouvés dans d’autres études nationales et internationales ?
1. Quel est le rôle possible des fluctuations d’échantillonnage à l’origine de ces résultats ?
Toute étude épidémiologique repose sur l’analyse d’échantillons d’individus. Il y a donc une part d’aléatoire dans le recrutement des participants, et on peut s’interroger sur l’impact que cet alea peut avoir sur les résultats de l’étude. Pour répondre à cette interrogation, les chercheurs ont utilisé dans la communication des résultats les intervalles de confiance à 95%. Prenons par exemple l’estimation du sur-risque associé au fait d’avoir un enfant au lycée comparé à des adultes qui n’ont pas d’enfant au lycée : 1,29, soit une augmentation de risque de 29% (page 35 du rapport d’analyse de mars 2021). L’intervalle de confiance à 95% est 1,19-1,40. De façon simplifiée, on peut dire que l’on est à 95% confiants que cet intervalle contient la valeur réelle de l’augmentation du risque d’être infecté si on a un enfant au lycée, augmentation du risque qui se situe donc quelque part entre +19% et +40%. Si l’intervalle ne contient pas 1, ce qui est le cas ici (la borne inférieure, 1,19, est supérieure à 1), on considère que le résultat est statistiquement significatif. Cela veut dire que l’augmentation que l’on a observée n’est vraisemblablement pas le résultat de fluctuations aléatoires d’échantillonnage. D’une façon générale, on peut dire que les effectifs de l’étude ComCor sont maintenant élevés, et que cette étude a une bonne puissance statistique : elle est capable de montrer une différence de risque d’intérêt épidémiologique entre deux groupes quand cette différence existe.
2. Quels sont les biais potentiels de l’étude ?
Ils sont nombreux, comme pour toute étude épidémiologique observationnelle. Il est donc important de les analyser, et de voir jusqu’à quel point ils peuvent invalider ou non les résultats de l’étude. Il existe typiquement trois types de biais dans les études épidémiologiques :
a) Biais de sélection ;
b) Biais de classement ;
c) Biais de confusion.
a) Biais de sélection
Le biais de sélection intervient quand la population étudiée n’est pas représentative de la population que l’on a voulu échantillonner. C’est probablement le biais le plus important de l’étude ComCor. Voici les étapes entre l’éligibilité pour l’étude, et la participation à l’étude.
Les cas
- Les cas éligibles sont les adultes infectés par le SARS-CoV-2 sur le sol français. Pour être recruté dans ComCor, il faut avoir été dépisté, être répertorié dans la base Contact Covid, et répondre au mail d’invitation à l’étude en remplissant le questionnaire. Il y a eu beaucoup de « pertes » à chacune des étapes. On sait par exemple que seulement 7,3% des personnes ayant reçu le mail de la Cnam ont répondu. Pour les deux premiers mois de l’étude (octobre et novembre), une analyse des répondants, comparés à l’ensemble des cas diagnostiqués sur le sol français pendant la même période (base SIDEP), a montré qu’ils étaient plus volontiers des femmes (65% contre 55%), de l’est de la France (29% contre 14%), et du groupe d’âge 39-59 ans (48% contre 34%). Les personnes de plus de 69 ans sont en revanche moins représentées (4% contre 18%).
- Par ailleurs, n’ont pu être contactées que les personnes ayant fourni une adresse électronique à l’Assurance maladie via leur compte ameli. De fait, certains professionnels affiliés à d’autres régimes de couverture sociale (ex : enseignants, militaires, agriculteurs) n’ont reçu le mail que s’ils étaient couverts par le régime de leur conjoint si ce dernier était affilié à la Cnam.
Les témoins
Le même processus « d’auto-sélection » a opéré pour les témoins. Toujours pour la période d’octobre-novembre, 10% des témoins contactés par IPSOS ont répondu. Ce chiffre relativement bas s’explique par le fait que nous leur demandions de répondre dans les 48 heures pour rester sur la même période de temps couverte par le questionnaire des cas auxquels ils étaient appariés. L’analyse des catégories professionnelles des témoins, comparés aux statistiques nationales Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), a montré qu’ils étaient plus volontiers des cadres supérieurs (34% contre 20%), et moins souvent des professions intermédiaires (22% contre 26%), ou des ouvriers (11% contre 19%).
L’important est de savoir dans quelle mesure ces biais de sélection ont pu influencer les résultats de l’étude. La sélection d’une population plus jeune, plus féminine, de niveau socio-économique plus élevé, et vraisemblablement plus sensible aux questions relatives à la santé, a sans doute influencé les résultats sur les pratiques tels que le respect des gestes barrières, la rapidité du recours au test diagnostique ou à l’isolement. Pour l’étude cas-témoin, on peut penser que ce biais de sélection lié au remplissage du questionnaire a vraisemblablement opéré de la même façon pour les cas et les témoins. Dès lors, les résultats de l’étude cas-témoins ne seront pas biaisés si l’augmentation du risque d’être infecté associée aux pratiques, comportements, et lieux visités ne varie pas selon les catégories d’âge, de sexe, ou de niveau socio-économique. Cette hypothèse a été explorée dans l’analyse par des tests dits d’interaction et aucune différence n’a été trouvée, ce qui permet de penser que ces biais n’ont pas eu beaucoup d’influence sur les résultats de l’étude. En revanche, les biais de sélection qui s’appliquent seulement à un groupe (cas ou témoins) et pas à l’autre, peuvent avoir une influence sur les résultats. Il s’agit par exemple de l’exclusion de certaines catégories professionnelles des envois de mail par la Cnam, qui font que les analyses de risque associé aux catégories professionnelles couvertes par des régimes spéciaux ne sont pas valides.
b) Biais de classement
Le biais de classement se rapporte aux erreurs de classification / mesure de la maladie ou des expositions étudiées. Dans le cas de ComCor, ce biais se rapporte aux erreurs sur le statut infecté / non infecté des cas ou des témoins, et aux erreurs sur la mesure des expositions, c’est-à-dire comportements, pratiques ou lieux visités par les participants à l’étude.
Statut infecté ou non des cas et des témoins
Les cas sont des personnes ayant un résultat positif lors d’un test diagnostique ou de dépistage par RT-PCR ou test antigénique. Les résultats de RT-PCR et de tests antigéniques comportent très peu de faux-positifs en phase aiguë de l’infection. On peut néanmoins garder un résultat de RT-PCR positif plusieurs semaines, alors que l’on excrète des fragments de génome de virus et non plus du virus infectant, et il n’est pas exclu que certaines personnes testées positives aient en fait été infectées plusieurs semaines auparavant : les comportements mesurés pendant la période couverte par le questionnaire ne correspondront pas à la période où la contamination a eu lieu. Cela n’impactera pas l’interprétation des résultats pour des expositions, pratiques, ou comportements étalés dans le temps (ex : avoir un enfant au lycée ; prendre le métro), mais pourra impacter les résultats pour les expositions de courte durée (lieux visités récemment par exemple).
Pour les témoins, ils ne doivent pas avoir été infectés par le SARS-CoV-2 pour être éligibles pour l’analyse. Il est demandé aux témoins de déclarer s’ils ont été infectés par le passé, et les excluons si c’est le cas des analyses en première intention. Mais les personnes qui ont fait des infections asymptomatiques, ou qui ne se sont pas fait tester, pourront donc être considérées à tort comme non-infectées dans le passé.
Ces biais de classement pour les cas comme pour les témoins sont vraisemblablement non différentiels : ils affectent de la même façon les cas et les témoins qu’ils soient exposés ou non. En cas de biais de classement non différentiel, l’amplitude de l’association entre exposition et maladie est diminuée, mais l’association conserve la même direction. De fait, tout résultat « statistiquement significatif » dans l’étude le resterait si le biais n’avait pas existé.
Statut exposé ou non des cas et des témoins
Le biais de classement de l’exposition peut résulter d’une erreur de mémoire des participants à qui on demande de relater ce qu’ils ont fait sur une période de dix jours, ou d’une réponse erronée en relation avec le statut infecté ou non du répondant.
Dans le premier cas, il s’agit d’une erreur non différentielle, et cette erreur va diminuer l’amplitude de l’association entre exposition et maladie, mais ne pas l’inverser.
Dans le second cas, il peut s’agir par exemple d’une sous-déclaration plus ou moins volontaire d’un comportement jugé inopportun. Par exemple, une campagne d’information a été menée depuis décembre dernier pour rappeler les risques associés aux réunions privées, et notamment aux repas, en période de Noël. Des cas pourraient être gênés de révéler qu’ils se sont infectés en participant à une réunion privée alors que l’on sait qu’elles étaient déconseillées. Le fait que les réunions privées soient apparues comme des facteurs associés à l’infection en octobre et novembre, mais pas en décembre et janvier, pourrait relever soit d’une diminution des pratiques à risque lors des réunions privées en lien avec les campagnes de prévention, soit d’une sous-déclaration des réunions privées par les cas à partir de décembre, car ils seraient gênés de révéler qu’ils se sont infectés en participant à une réunion privée. Ce biais de classement d’exposition est dit différentiel, car il concerne les cas et non les témoins, et peut inverser la direction d’une association. Il est donc beaucoup plus préjudiciable à la validité des résultats de l’étude que ne l’est un biais non différentiel.
c) Biais de confusion
Les biais de confusion sont liés à une variable associée à l’exposition et à la maladie, qui peut ainsi créer une fausse association, ou la faire disparaître. Par exemple, le risque plus élevé d’infection chez les personnes fréquentant bars et restaurants en octobre pourrait avoir été dû au fait que les personnes fréquentant bars et restaurants ont également plus souvent participé à des réunions privées que celles ne fréquentant pas les bars et les restaurants. Et ce serait la participation à des réunions privées qui serait à l’origine de leur sur-risque d’infection et non la fréquentation des bars et des restaurants. Pour prendre en compte ces biais de confusion, on effectue un « ajustement » pour les autres expositions grâce à des modèles d’analyse multivariée telle la régression logistique : ce faisant, on rend les sujets fréquentant les bars et les restaurants « identiques » à ceux ne les fréquentant pas pour toutes les variables inclues dans le modèle, y compris la participation à des réunions privées. Le fait que dans notre modèle l’augmentation de risque associé à la fréquentation des bars et des restaurants persiste après ajustement pour la participation à des réunions privées suggère que l’augmentation du risque d’être infecté associée à la fréquentation des bars et des restaurants n’est pas due à la participation à des réunions privées. Les odds-ratios « multivariés » présentés dans les tableaux de résultats correspondent aux augmentations (ou diminutions) de risque associées à une exposition, « toutes choses égales par ailleurs », ou indépendamment des autres variables du modèle.
On peut soupçonner l’existence d’un effet de confusion dit « résiduel » pour certains résultats de l’étude. Par exemple, la diminution du risque d’infection associée à la fréquentation des bus traduit probablement un effet de confusion, selon lequel les personnes qui prennent plus souvent le bus ont d’autres pratiques moins à risque d’infection comparées aux personnes ne prenant pas le bus. La diminution du risque persistant après l’ajustement pour les autres variables dans le modèle, on parle d’effet de confusion résiduel. Cela traduit le fait que les autres pratiques associées à la fréquentation des bus et à moindre risque d’infection n’ont pas été mesurées dans l’étude, et donc ne peuvent pas être ajustées dans l’analyse. C’est pour cette raison que l’on ne parle pas d’effet protecteur de la fréquentation des bus, mais que l’on se contente d’évoquer le fait que la fréquentation des bus n’est pas associée à une augmentation du risque d’infection.
3. Les résultats sont-ils en accord avec ce que l'on sait de la physiopathologie de la transmission du virus ?
Une fois l’analyse des biais complétée, l’étape suivante consiste à s’interroger pour savoir si les résultats de l’étude sont compatibles avec ce que nous savons de la physiopathologie de la transmission du virus. Le virus comme on le sait maintenant se transmet via les postillons à une distance de moins d’un mètre, les surfaces contaminées par ces postillons, le contact physique direct, ou les aérosols en suspension dans les espaces clos. Le fait que les lieux à risque - les réunions privées, les bars, les restaurants, les salles de sport en intérieur, et les voitures partagées - soient des lieux clos où les gestes barrières ne peuvent pas, ou ont pu ne pas, être complètement respectés va dans le sens de ce que l’on sait sur la physiopathologie de la transmission du virus. De la même façon, le fait que les transports en commun, les commerces, les lieux culturels, et les amphithéâtres sont tous des lieux où les gestes barrières peuvent être respectés n’ont pas été associés à des sur-risque d’infection va également dans ce sens.
Les résultats concernant le sur-risque associé au fait d’avoir un enfant au collège et au lycée, mais pas dans le primaire, peut paraître surprenant. Néanmoins, plusieurs études suggèrent que les adolescents sont aussi susceptibles à l’infection par le virus, et contagieux, que ne le sont les adultes, alors que les enfants de moins de dix ans pourraient être moins susceptibles, et peut-être moins contagieux (1-3). Ceci pourrait expliquer pourquoi les adolescents représentent un risque plus important pour leur entourage familial que les enfants du primaire.
Attention, tous ces résultats pourraient être remis en question par l’arrivée de l’ensemble des variants d’intérêt du SARS-CoV-2 sur le territoire français. Le variant anglais est environ 50% plus transmissible que le virus traditionnel. Les modes de transmission semblent être les mêmes, mais la contagiosité est supérieure, et la durée d’excrétion du virus chez les personnes infectées pourrait être plus longue.
4. Les résultats sont-ils retrouvés dans d’autres études nationales et internationales ?
Cette dernière étape de l’analyse critique des résultats d’une étude est importante. On peut imaginer que les biais présents dans une étude ne seront pas présents dans une autre, surtout si elle utilise une méthodologie différente. Dès lors, retrouver les mêmes résultats dans d’autres études renforce la conviction que l’on peut avoir sur la validité des résultats, tandis que des résultats discordants invitent à la prudence.
La majeure partie des informations disponibles sur la transmission du SARS-CoV-2 dans la littérature scientifique vient de l’analyse des clusters, qui retrouvent comme lieux d’infection les bars, restaurants, vols en avion, croisières, trajets longue distance en bus, chorales, salles de sport et cours de danse en intérieur, rassemblements religieux, maisons de retraite, abattoirs, écoles, foyers de personnes en situation de précarité, et dortoirs pour travailleurs sur les chantiers (4-20). Ces études sont utiles pour identifier les lieux à risque et décrire les circonstances de transmission, mais ne donnent pas d’information sur les facteurs augmentant ou diminuant le risque de transmission.
Pour ce dernier type d’analyse, il faut avoir recours aux études type cas-témoins ou cohorte, et elles sont beaucoup moins nombreuses. Une étude cas-témoin aux Etats-Unis a mis en évidence le risque associé à la fréquentation des bars et des restaurants (21), et le rôle protecteur du télétravail (22). Une étude de cohorte a elle retrouvé une grande partie des facteurs associés à la transmission décrits dans l’étude ComCor, avec notamment le nombre de personnes vivant au domicile, la fréquentation des bars et des restaurants, les réunions privées, les lieux de travail, et les salles de sport. Ont également été identifiés la fréquentation des lieux de culte et les trajets en avion (23). La cohorte anglaise OPENSAFELY et deux enquêtes en ligne aux Etats-Unis ont elles retrouvé une augmentation de risque associé à la scolarisation des enfants, avec un risque plus élevé pour les adolescents comparés aux moins de 12 ans (24-25). Enfin, une étude de modélisation a permis de relier les cas de Covid-19 recensés à une échelle géographique fine dans dix villes américaines aux lieux de transmission comme bars, restaurants, salles de sport, hôtels, organisations religieuses, et cabinets médicaux via le suivi des déplacements de 98 millions d’individus grâce aux données de leur smartphone (26).
Peu d’informations sont disponibles dans la littérature sur les professions à risque. On retrouve assez régulièrement les personnels de santé, les personnels d’aide à domicile, et les chauffeurs parmi les professions à risque (27-29). Les enseignants ne semblent pas avoir un risque augmenté malgré leur exposition aux élèves (30). Mais les données dans ce domaine semblent encore fragiles, et il est préférable de rester extrêmement prudents sur les enseignements que ComCor peut fournir vis-à-vis de la question des catégories professionnelles à risque.
Conclusion sur l’étude ComCor
Cette analyse des résultats de l’étude ComCor vise à illustrer la démarche scientifique en épidémiologie. Une étude en elle-même ne suffit pas à apporter des conclusions définitives. Elle doit d’abord être analysée de façon critique, pour en faire ressortir les forces et les faiblesses. Les résultats doivent ensuite être confrontés à leur plausibilité vis-à-vis des connaissances en biologie ou physiopathologie humaine. Enfin, les résultats se rajoutent à un corpus de connaissances déjà existantes et les font évoluer, confortant certains acquis, remettant en question d’autres. Les résultats (voir Principaux résultats de l'étude ComCor) sont ceux qui ont semblé avoir le mieux résisté à cette analyse critique. La prochaine étape de cette analyse critique est celle effectuée par les pairs, lors de la soumission de l’article scientifique à une revue. Les résultats publiés seront ceux qui auront été validés après examen critique par les pairs. Ils seront complétés par d’autres analyses (ComCor continue de recruter) et par les résultats d’autres études nationales et internationales.
Pour en savoir plus sur l’épidémiologie
- MOOC « Concepts et méthodes en épidémiologie » sur la plateforme FUN, par Arnaud Fontanet (Inscription gratuite jusqu’au 9 mai 2021).
- Conférence et cours au Collège de France en accès libre (Arnaud Fontanet, Chaire de santé publique 2018/9) :
- Leçon inaugurale : « L’épidémiologie, ou la science de l’estimation du risque en santé publique »
- Cours sur les pandémies
- Cours sur l’histoire de l’épidémiologie
Références
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