Des professionnels de santé se mobilisent pour soutenir le projet de l’Etat de rendre 11 vaccins obligatoires pour les tout-petits. Le Pr Philippe Sansonetti, microbiologiste spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur, a signé la pétition de la Société française de pédiatrie, avec près de 1600 confrères* spécialistes de la prime enfance. Il nous rappelle que les vaccins sont efficaces contre des maladies potentiellement graves, souvent contagieuses. Le contexte d’une couverture vaccinale nationale dangereusement insuffisante justifie selon lui l’obligation vaccinale, aujourd’hui. Cette obligation doit cependant s’accompagner d’un effort d’information.
*1593 professionnels de santé ont déjà signé l’appel à l'élargissement de la couverture vaccinale, au 6 juillet 2017.
Pr Sansonetti, pourquoi avoir signé cette pétition en faveur de l’obligation vaccinale ?
A titre personnel, j’aimerais vraiment qu’on puisse se passer de la notion d’obligation. L’élargissement des obligations vaccinales de l’enfant pourrait être temporaire, comme le préconisait la grande concertation citoyenne sur la vaccination. Quand on aura fait un travail d’éducation et d’information, on pourra supprimer ces obligations. Nous verrons ce qu’il adviendra mais, aujourd’hui, le contexte de santé publique est inquiétant. Le bénéfice de la vaccination ne fait aucun doute pour la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, mais aussi pour la coqueluche, la rougeole, l’hépatite B ou encore les infections à pneumocoque et les méningites.
Garder la vieille notion de vaccins « obligatoires » et « recommandés » n’a donc plus de sens et induit une incompréhension de la population et une difficulté d’explication pour les médecins. Il y a vraiment de quoi s’y perdre et je comprends en tout cas les parents qui s’interrogent. Les 11 vaccins de la prime enfance sont nécessaires sur le plan médical !
Il vous semble donc important de réexpliquer à tous l’utilité des vaccins ?
En effet, l’obligation vaccinale n’a de sens que si elle s’accompagne d’un effort d’information des citoyens, mais aussi de formation des personnels médicaux. Quand on voit que dans certains hôpitaux ou dans certaines maisons de retraite, seuls 20% du personnel soignant est vacciné contre la grippe, on s’interroge sur la notion d’exemplarité et l’on comprend mieux que le doute s’installe dans la population.
On se vaccine pour se protéger individuellement, certes, mais aussi et surtout pour protéger les autres. En particulier les plus fragiles : les enfants et les personnes âgées (dont la proportion ne fait qu’augmenter dans la population française), les femmes enceintes, les personnes immunodéprimés qui suivent des thérapies anticancéreuses par exemple, et qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales. C’est pourquoi je ne suis pas « pro-vaccin », mais « pro-santé de l’enfant » ! Et la protection collective renforce aussi les chances d’élimination de certaines maladies infectieuses.
Protéger les plus fragiles, c’est éviter les ravages des maladies infectieuses ?
Oui, et c’est aussi se rappeler des effets positifs de la vaccination ! Car nous avons la mémoire courte… Il n’y a pas si longtemps, à l’époque de nos arrière-grands-parents, en 1900, 150 enfants sur 1000 mourraient avant l’âge d’un an. Aujourd’hui, ce sont trois pour 1000. L’obligation pour les 11 vaccins de la prime enfance répond déjà à une première exigence de créer une bulle de protection autour des petits. Et onze vaccins, entre nous, c’est très peu au regard du nombre de maladies potentielles auxquelles est exposé un enfant.
Est-ce aussi un moyen d’éviter les problèmes d’antibiorésistance ?
On ne peut pas être aussi affirmatif car la résistance aux antibiotiques est due à de nombreux facteurs. Mais il est évident qu’en se faisant vacciner, on diminue la fréquence des infections et surinfections bactériennes, donc l’exposition des bactéries qui nous infectent aux antibiotiques. La vaccination est parmi d’autres un élément de la lutte contre l’antibiorésistance, dans un contexte où l’érosion de l’efficacité des antibiotiques est très inquiétante.
Vous évoquiez la recrudescence de rougeole. En quoi la vaccination est-elle utile contre cette maladie, par exemple ?
Une couverture vaccinale suffisante contient en effet l’épidémie et évite à bien des enfants le risque de complications graves qui peuvent nécessiter des séjours en réanimation. En 2006-2007, une quarantaine de cas à peine étaient signalés en France. Mais, du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2016, ce sont plus de 24000 cas de rougeole qui ont été déclarés en France. Parmi eux, et ce sont les chiffres officiels de Santé publique France, près de 1500 cas ont présenté une complication respiratoire grave nécessitant l’hospitalisation en soins intensifs, 34 une encéphalite et 10 sont décédés. Parmi ces décès, trois étaient encore trop jeunes pour être vaccinés, sept étaient immunodéprimés. Avec une couverture vaccinale de 95%, nous pourrions protéger de la rougeole les plus faibles.
Beaucoup d’informations contradictoires courent sur les vaccins. Que dire aux parents qui s’inquiètent ?
Il ne faut pas se laisser influencer dès qu’un message émerge sur la vaccination. A l’heure d’internet, soyons tous vigilants aux sources d’information et faisons attention aux messages émanant de blogs personnels et facilement repris sur les réseaux sociaux. Dès la fin des années 90, une rumeur a couru sur un lien totalement faux entre le vaccin de la rougeole et l’autisme. La communauté scientifique a depuis dénoncé cette information frauduleuse mais la rumeur court encore aujourd’hui… De même, on utilise l’aluminium depuis plus de 90 ans à des doses minimes, inférieures à la quantité à laquelle nourrissons et enfants sont exposés dans leur environnement (lait maternel, eau de boisson ou aliments). Il n’y a pas de toxicité prouvée sur le long terme. Cette diabolisation participe à la défiance vis-à-vis des vaccins.
Comment faire le tri dans ces informations ?
Je dirais aux parents de faire confiance à leur médecin. La pétition que je viens de signer émane de professionnels de santé, au contact de la petite enfance, des experts qui savent de quoi ils parlent, qui rencontrent des enfants en consultation, qui ont une connaissance de la médecine et de la biologie. J’ajouterai que nous sommes nous-mêmes des citoyens, des parents et des grands-parents. Les polémiques autour de la vaccination sont dangereuses pour nos enfants et, en signant cette pétition, nous voulons protéger les plus jeunes. Notre démarche est une démarche de clarté. Elle sera une démarche d’apaisement si elle s’accompagne d’un effort sans précédent d’information et de formation.
J’ajouterai que le débat sur la vaccination est un problème de pays riches. En Afrique ou en Asie, on se pose beaucoup moins la question de l’utilité des vaccins car, là-bas, ils manquent encore terriblement.
La vaccination en France
Aujourd’hui seuls trois vaccins infantiles sont obligatoires (diphtérie, tétanos et poliomyélite) et huit autres, dont la coqueluche, l’hépatite B ou la rougeole, sont seulement recommandés. Le gouvernement français a annoncé, le 4 juillet 2017, dans sa déclaration de politique générale, que "les [11] vaccins pour la petite enfance, qui sont unanimement recommandés par les autorités de santé, deviendront obligatoires, dès 2018".
Texte de la pétition en faveur de l’élargissement de la couverture vaccinale
La communication officielle insuffisante de ces dernières années et les hésitations de certains médecins se sont conjuguées pour égratigner l’image de la vaccination dans le public et laisser libre cours aux spéculations sur son efficacité ou sa toxicité.
Parce que la vaccination systématique a permis d’éradiquer des maladies, telle la variole,
Parce que la réduction du taux de couverture vaccinale de la population a entrainé la recrudescence de certaines maladies comme la rougeole,
Parce que les vaccins sont bien tolérés et que toutes les études internationales ont permis d’infirmer les allégations de maladies auto-immunes, neurologiques ou musculaires prétendument induites par les vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la rougeole, les oreillons, la rubéole, la coqueluche, l’hépatite B, les infections dues au pneumocoque, à haemophilus influenzae, et au méningocoque C,
Parce que la vaccination n’est pas seulement un choix personnel n’ayant de bénéfices que pour la personne vaccinée mais qu’elle vise la protection de la population, en particulier enfants, personnes âgées ou fragiles,
Parce que l’impact financier important pour l’industrie pharmaceutique doit justifier la transparence des coûts et le cas échéant une baisse des prix mais en aucun cas l’opposition aux vaccinations (un vrai souci de santé publique étant les ruptures d’approvisionnement des pharmacies),
Parce que l’attente est forte de nouveaux vaccins permettant l’éradication du paludisme ou des maladies ayant émergé ces dernières décennies comme l’infection par les virus VIH, hépatite C, Ebola, Zika…
Parce que les lobbys anti-scientifiques et anti-vaccination et adeptes des médecines dites naturelles, manipulent l’opinion en jouant sur la peur sans apporter la moindre preuve de leurs allégations,
Parce que le principe de précaution doit ici se traduire par l’application du principe de prévention,
Nous, professionnels de santé signataires, approuvons le projet de rendre 11 vaccins obligatoires parce que ces vaccins sont efficaces contre des maladies graves (ou potentiellement graves), en règle contagieuses, dans le contexte d’une couverture vaccinale nationale dangereusement insuffisante.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site