Le 11 décembre 2018, l’Institut Pasteur a remis leurs diplômes aux 20 étudiants de l’équipe iGEM-Pasteur 2018. Ils sont revenus avec une médaille d’or du concours qui s’est tenu à Boston du 24 au 28 octobre. Chaque année, le Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis) organise le concours international iGEM (international Genetically Engineered Machine) qui fait la promotion de la recherche en biologie synthétique. Pour l’équipe pasteurienne, c’était la quatrième participation à iGEM.
La collaboration, le respect, le fair-play et l’émulation scientifique : voilà la philosophie qui fédère la communauté d’iGEM. Cette année, c’est plus de 300 équipes et 6000 participants qui ont participé au Giant Jamboree, point d’orgue du rassemblement qui célèbre le partage et l’accomplissement des projets de chacun autour de la biologie synthétique. Parmi eux, les étudiants de l’équipe iGEM-Pasteur 2018 et leurs coachs sont venus soutenir leur projet NeuronArch, une interface biologique universelle destinée aux prothèses. Cette interface permet aux nerfs résiduels des membres amputés de se connecter aux prothèses.
Car, aujourd’hui, c’est un diabétique qui se fait amputer toutes les trente secondes et plus de 3 millions de personnes affectées par un handicap physique nécessiteront la mise en place d’une prothèse d’ici à 2050. Des chiffres qui ont poussé les étudiants de l’équipe iGEM-Pasteur 2018 à chercher une solution pour améliorer, la mobilité et la sécurité des personnes amputées.
« Les personnes équipées de prothèse doivent contracter les muscles adjacents pour permettre les gestes les plus simples, explique Deshmukh Gopaul, chercheur du pôle Design de la Biologie, et pilote du projet iGEM-Pasteur. Notre projet avait pour objectif d’améliorer la qualité de vie et l’indépendance des personnes amputées en imaginant une prothèse intelligente à laquelle le patient pourrait "apprendre" les mouvements du quotidien. »
Améliorer la communication homme-machine
Après l’amputation d’un membre, le problème principal de la communication homme-machine est dû aux dommages infligés aux nerfs et à l’interface neuromusculaire. En fait, le signal électrique ne peut pas être transmis car les cellules nerveuses ne sont plus en mesure d’activer les muscles cibles ni de relayer les informations sensorielles des membres vers le cerveau. Pour rétablir la communication, les étudiants ont conçu une interface entourée d’un biofilm, c’est-à-dire une communauté de microorganismes organisés à l’intérieur d’une matrice. Une idée en rupture complète avec la nature des recherches qui sont menées aujourd’hui sur les biofilms. Par exemple, Jean-Marc Ghigo, responsable du laboratoire Génétique des biofilms au sein du département de microbiologie de l’Institut Pasteur, travaille à développer de nouvelles approches pour lutter contre le développement de biofilms formés par de très nombreuses bactéries, comme le staphylocoque doré. Ces biofilms se déposent sur l’instrumentation médicale, contribuant au développement d’infections difficiles à traiter. « Les biofilms sont des adversaires redoutables, poursuit Deshmukh Gopaul. Nous avons pensé à utiliser leurs propriétés de résilience mais aussi leur capacité à survivre normalement dans le corps à notre avantage. »
De ce constat, l’équipe iGEM-Pasteur a cherché un moyen d’aider les nerfs moteurs des amputés à se régénérer et à se connecter à l’interface située dans une partie métallique de la prothèse fixée au moignon. Le groupe pluridisciplinaire a donc uni ses forces pour réfléchir dans un premier temps à un modèle mathématique capable de simuler la croissance des neurones vers le biofilm en réponse à la présence de la neurotrophine NGF (nerve growth factor), une molécule responsable du développement de nouveaux neurones ainsi que de la croissance et du maintien de ceux-ci matures. Ils ont ensuite établi un modèle physique, à l’aide d’une puce microfluidique, pour illustrer l’interface neurone/membrane conductrice/biofilm. Le biofilm transformé étant, quant à lui, capable de produire du NGF.
Combattre les infections
Le projet va plus loin encore. Car, de par sa composition artificielle et le fait d’être un corps étranger, la prothèse est propice à la formation de biofilms pathogénique. D’ailleurs, les infections représentent entre 1,5 et 2,6% de tous les actes opératoires orthopédiques aux États-Unis, sur un volume de 7 millions par an. Ces infections nécessitent parfois le remplacement des prothèses, un véritable fardeau économique et médical.
« La stratégie des étudiants a été de concentrer leurs efforts sur la lutte contre le staphylocoque doré, car il s’agit de la principale cause d’infections », souligne Deshmukh. Cette fois, pas le choix, il a fallu trouver une stratégie anti-biofilm.
« Pour surmonter le problème, nous avons choisi de perturber la détection de la communauté bactérienne ». Appelé aussi « détection du quorum », il s’agit d’un ensemble de mécanismes régulateurs qui contrôlent l’expression coordonnée de certains gènes bactériens au sein d’une même population bactérienne. Les étudiants ont eu l’idée ingénieuse de « déguiser » leur bactérie (Escherichia coli) en staphylocoque doré, à la manière d’un agent secret. Cette population bactérienne synthétique sous forme d’un biofilm protecteur, ainsi capable de récupérer les informations émises par les staphylocoques environnants, peut alors envoyer des signaux contraires pour induire la destruction du biofilm du staphylocoque doré en voie de formation.
Des perspectives d’avenir
La validation des tests in vitro, la conceptualisation d’un dispositif d’interface et d’une station de charge et la modélisation 3D de chacun des composants ont été récompensées par une médaille d’or et une nomination dans la catégorie Best product design.
Forts des retombées positives de leur projet NeuronArch, les étudiants de l’équipe iGEM-Pasteur ont pu présenter leur travail devant le Parlement Européen à Bruxelles le 28 septembre dernier lors d’une séance organisée sur la biologie de synthèse. « Aujourd’hui, nous espérons pouvoir collaborer de nouveau avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle Epinière avec qui nous avons déjà échangé ». Car après cette année exploratoire, les étudiants souhaitent consolider leur projet et entretenir leurs partenariats. « La société iCERAM qui produit des prothèses en céramique a été très intéressé par notre projet, ainsi que Bioaster sur les nouvelles approches antimicrobiennes. Nous aimerions également travailler avec des entreprises spécialisées en intelligence artificielle pour perfectionner notre interface », conclut Deshmukh Gopaul.
Les étudiants ont ainsi été félicités pour leur travail et leur investissement lors de la cérémonie de remise des prix le 11 décembre à l’Institut Pasteur.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site