Une étude, l’évaluation la plus exhaustive faite à ce jour, montre que les moustiques Aedes aegypti de la région Asie-Pacifique sont capables de transmettre le virus de la fièvre jaune. Les populations de vecteurs (moustiques) ne sont donc pas un frein à l'émergence de la fièvre jaune dans la région.
Les agents pathogènes viraux à fort potentiel épidémique ont toujours été une préoccupation majeure pour la santé humaine. Des épidémies à grande échelle comme la pandémie de grippe de 1918 ont marqué les esprits, et la peur de nouvelles émergences virales s'est matérialisée aujourd'hui avec la pandémie de SARS-CoV-2. Au cours des dernières décennies, le monde a dû faire face à de nouvelles émergences d'arbovirus, le chikungunya en 2005-2006, le Zika en 2013, affectant tous les continents et causant des millions de cas. Comme les vaccins ne sont généralement pas disponibles et qu’il n’y a pas de traitement spécifique pour les infections à arbovirus, la lutte contre ces maladies repose principalement sur la lutte contre les moustiques vecteurs. Ainsi, la connaissance de la compétence des vecteurs nous informe sur le rôle potentiel d'une espèce de moustique dans la transmission d'un arbovirus, aidant ensuite à évaluer le risque épidémique.
L'une des principales énigmes dans l’histoire des maladies infectieuses est l'absence de fièvre jaune en Asie, ce virus étant historiquement endémique en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud. Le virus de la fièvre jaune (VFJ) est principalement transmis par les moustiques Aedes, qui piquent préférentiellement l’homme, et dont l’aire de répartition recouvre toute la zone tropicale et subtropicale. Depuis 1937, le vaccin 17D permet d’immuniser les populations humaines contre la fièvre jaune cependant, on observe encore 200000 cas et 20 à 30000 décès chaque année, dont 90% en Afrique. Les mouvements de personnes non vaccinées exposées à la fièvre jaune dans les zones d'endémie sont souvent à l'origine d'épidémies.
Le 21 janvier 2016, une épidémie de fièvre jaune s'est déclarée en Angola avec plus de 3000 cas et des centaines de décès. L’épidémie s'est propagée aux pays voisins et des cas importés ont également été signalés jusqu’en Chine. Les échanges commerciaux croissants entre l'Afrique et l'Asie augmentent le risque d'entrée de voyageurs infectés par le VFJ dans des régions où le vecteur historique de la FJ Aedes aegypti est omniprésent, menaçant ainsi les pays asiatiques d'une nouvelle émergence virale.
« Dans notre étude, nous avons utilisé des infections expérimentales de moustiques prélevés sur le terrain et pu montrer que les moustiques Aedes de la région Asie-Pacifique sont des vecteurs compétents du virus de la fièvre jaune », explique Anna-Bella Failloux, responsable de l’unité Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur (Paris). « Nous avons observé que les populations d'Ae. aegypti de Singapour, Taiwan, Thaïlande et Nouvelle-Calédonie sont capables de transmettre le virus, 14 jours après une infection orale, avec un nombre de particules virales excrétées dans la salive pouvant atteindre 23000 unités », poursuit Pei-Shi Yen, chercheur au sein de l’unité.
Ces résultats représentent l'évaluation la plus exhaustive faite à ce jour et montrent que les moustiques Ae. aegypti de la région Asie-Pacifique sont capables de transmettre le VFJ, ce qui indique que les populations de vecteurs ne sont pas un frein à l'émergence de la fièvre jaune dans la région.
Source
Risk of yellow fever virus transmission in the Asia-Pacific region. Nature Communications 11, 5801 (2020). 16 novembre 2020. https://doi.org/10.1038/s41467-020-19625-9
Lucy de Guilhem de Lataillade,1 Marie Vazeille,1 Thomas Obadia,2,3 Yoann Madec,4 Laurence Mousson,1 Basile Kamgang,5 Chun-Hong Chen,6 Anna-Bella Failloux,1, Pei-Shi Yen1,
1 Arboviruses and Insect Vectors Unit, Institut Pasteur, Paris, France
2 Bioinformatics and Biostatistics Hub, Institut Pasteur, USR 3756, CNRS, Paris, France
3 Malaria Unit: Parasites and Hosts, Institut Pasteur, Paris, France
4 Emerging Diseases Epidemiology Unit, Institut Pasteur, Paris, France
5 Centre for Research in Infectious Diseases, Department of Medical Entomology, Yaoundé, Cameroon
6 National Health Research Institutes, Institute of Infectious Diseases and Vaccinology, Miaoli, Taiwan
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.