En étudiant des centaines de séquences du génome de virus de la rage, des scientifiques de l’Institut Pasteur ont montré que deux grands groupes de virus (la rage des chauves-souris et la rage du chien) ont évolué différemment. En effet, les données génétiques révèlent des modèles évolutifs qui expliqueraient le passage d’une espèce hôte à une autre.
Les maladies qui passent des animaux vertébrés à l’homme constituent une véritable menace pour la santé humaine. Pourtant, « on connaît assez mal les mécanismes évolutifs qui expliquent ces passages d’une espèce à une autre », explique Cécile Troupin de l’Institut Pasteur à Paris. Le virus de la rage est connu pour avoir franchi de nombreuses barrières entre espèces. « L’étude de ce virus était donc un bon moyen pour nous d’identifier les modèles évolutifs liés à ces changements. »
Cécile Troupin et ses collègues ont ainsi comparé 321 séquences de génomes viraux, recueillies dans 66 pays, durant 65 ans. L’analyse a révélé des évolutions très différentes pour la rage liée à la chauve-souris (à la fois chez les chauves-souris et certains carnivores) et pour la rage liée au chien (à la fois chez les chiens et les carnivores sauvages), cette dernière étant responsable de la plupart des cas humains de rage.
Les données suggèrent que les sous-groupes de rage apparentée à la chauve-souris n’évoluent pas uniformément, alors que la rage du chien a évolué à un rythme régulier. Plusieurs autres enseignements ressortent de l’étude, concernant la rage du chien :
- le passage d’une espèce hôte à une autre serait lié à de multiples facteurs dont des changements dans les séquences d’acides aminés des virus ;
- le virus n’aurait peut-être pas besoin d’évoluer beaucoup pour passer à un nouvel hôte carnivore, expliquant peut-être son évolution plus régulière et la facilité des passages entre espèces animales non volantes ;
- enfin, la rage du chien s’est rapidement propagée dans le monde, dès le XVe siècle, avec le développement du commerce international (augmentation des échanges entre continents).
Les auteurs soulignent que le large éventail d’espèces hôtes, actuellement infectées par la rage du chien, s’explique probablement à la fois par cette propagation historique liés aux déplacements humains mais aussi par les mécanismes génétiques du passage d’un hôte à un autre.
Cette étude entre dans le cadre du programme PREDEMICS, financé par l’Union européenne et coordonné par Sylvie van der Werf et co-coordonné par Hervé Bourhy à l’Institut Pasteur. Ce programme concerne quatre types de virus issus du réservoir animal et à fort potentiel de transmission à l’homme en Europe, dont la rage. Les travaux soutenus doivent permettre mieux comprendre les mécanismes complexes qui régissent les relations entre le virus et son hôte, et de cerner les grandes étapes de l’émergence. Objectif : améliorer les stratégies de prévention à mettre en place contre ces maladies virales.
Rappelons que la rage reste une maladie très répandue dans le monde, responsable de dizaines de milliers de morts chaque année. Elle est le plus souvent transmise par les chiens. En Europe, les chauves-souris, qui hébergent des virus différents de ceux du chien ou du renard, sont particulièrement surveillées. La rage peut être prévenue efficacement par la vaccination mais est toujours mortelle une fois les premiers signes de la maladie déclarés.
Source
Large-scale phylogenomic analysis reveals the complex evolutionary history of rabies virus in multiple carnivore hosts, PLOS Pathogens, 15 décembre.
Cécile Troupin1, Laurent Dacheux1, Marion Tanguy1,2, Claude Sabeta3, Hervé Blanc4, Christiane Bouchier2, Marco Vignuzzi4, Sebastian Duchene5,6, Edward C. Holmes5, Hervé Bourhy1*
1. Institut Pasteur, Unit Lyssavirus Dynamics and Host Adaptation, WHO Collaborating Centre for Reference and Research on Rabies, Paris, France,
2. Institut Pasteur, Genomics Platform, Paris, France,
3. Agricultural Research Council, Onderstepoort Veterinary Institute, OIE Rabies Reference Laboratory, Pretoria, South Africa,
4. Institut Pasteur, Centre National de la Recherche Scientifique UMR 3569, Viral Populations and Pathogenesis Unit, Paris, France,
5. Marie Bashir Institute for Infectious Diseases and Biosecurity, Charles Perkins Centre, School of Life and Environmental Sciences and Sydney Medical School, The University of Sydney, Sydney, Australia,
6. Centre for Systems Genomics, University of Melbourne, Parkville, Victoria, Australia
Mis à jour le 15/12/2016