Une équipe de l’Institut Pasteur découvre une nouvelle population de cellules qui se développe autour de la masse tumorale. Cette découverte ouvre une nouvelle voie de traitement dans la prise en charge des tumeurs solides. Un espoir pour améliorer le traitement des cancers pour lesquels les immunothérapies sont souvent inefficaces, comme les cancers pancréatiques, du sein ou de la prostate.
Une tumeur solide cancéreuse est une masse localisée qui peut envahir les tissus voisins voire migrer dans d’autres parties du corps. Il est maintenant établi que l’évolution d’un cancer ne résulte pas uniquement des mutations génétiques de la cellule tumorale elle-même, mais est déterminée par l’interaction avec son microenvironnement. Le microenvironnement tumoral est constitué de cellules saines que le cancer a détourné à son avantage. Parmi elles : des cellules immunitaires, des vaisseaux sanguins qui vont nourrir la tumeur, et des cellules de soutien dites « cellules stromales fibroblastiques ». En plus d’assurer sa croissance, ce microenvironnement protège la tumeur de notre système immunitaire, notamment en bloquant l’accès des lymphocytes cytotoxiques au site tumoral, les empêchant de tuer les cellules malignes.
Les cellules stromales protègent la tumeur du système immunitaire
L’équipe dirigée par Lucie Peduto étudie plus particulièrement les cellules stromales fibroblastiques. Ces cellules forment une trame de tissu conjonctif dans tous les organes. En produisant de la matrice extracellulaire, comme le collagène, et des facteurs de régulation, ces cellules assurent le bon fonctionnement des organes, et jouent un rôle essentiel pour la réparation des tissus.
Lorsqu’une tumeur pousse, on sait que les cellules stromales s’activent, et forment un cocon matriciel protecteur autour de la tumeur. Mais cibler ces cellules est risqué car si ce cocon protège la tumeur de son hôte, il protège également son hôte de la tumeur…
En étudiant les premières étapes de croissance d’une tumeur, l’équipe de Lucie Peduto a identifié une nouvelle population stromale qui se développe autour la tumeur et lui permet d’échapper au système immunitaire. Contrairement au stroma « classique », cette population stromale, identifiée par l’expression d’une protéine de surface appelée ADAM12, n’est pas impliquée dans la formation du cocon protecteur. En revanche, ces cellules régulent les macrophages et la vascularisation de la tumeur, ce qui va permettre de contrôler l’influx et l’activation des lymphocytes cytotoxiques au niveau du site tumoral.
Les cellules stromales exprimant ADAM12 induites par la tumeur sont également présentes lorsque l’on se blesse. La tumeur détourne ainsi leur fonction de réparation pour se protéger. En favorisant l’action des macrophages tumoraux, ces cellules vont inhiber le système immunitaire et entrainer la création de nouveaux vaisseaux sanguins qui se développent de façon anarchique. « Malgré l’abondance de vaisseaux sanguins, explique Lucie Peduto, les vaisseaux tumoraux ne sont souvent pas fonctionnels. Ceci limite l’influx de cellules immunitaires antitumorales ou anticorps thérapeutiques, et crée un environnement dit " hypoxique " en limitant les apports en oxygène. L’hypoxie de la tumeur est un mécanisme de résistance puissant qui inhibe l’activité des cellules immunitaires antitumorales comme les lymphocytes T ».
Il devient alors impossible pour l’organisme de se défendre contre la tumeur.
En éliminant les cellules stromales qui expriment ADAM12, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré qu’il est possible de « normaliser » le microenvironnement de la tumeur, une étape essentielle pour faciliter l’accès au site tumoral des lymphocytes cytotoxiques activés, afin de bloquer la croissance tumorale.
Un espoir de traitement complémentaire contre les tumeurs solides
En ciblant uniquement les cellules stromales en possession de la protéine ADAM12, sans détruire les autres cellules stromales bénéfiques à l’organisme, l’approche proposée par l’équipe de l’Institut Pasteur pourrait améliorer les traitements contre les tumeurs solides. Les immunothérapies permettent d’activer le système immunitaire contre la tumeur. Mais ce traitement ne fonctionne aujourd’hui que pour les tumeurs du sang et très peu pour les tumeurs solides, notamment les cancers pancréatiques, du sein ou de la prostate.
« La prochaine étape est de générer des anticorps qui ciblent spécifiquement ces cellules stromales et de les coupler à l’immunothérapie pour garantir des traitements plus efficaces et ciblés », ajoute Lucie Peduto.
Les traitements aujourd’hui, comme la chimiothérapie, détruisent la tumeur mais atteignent également d’autres parties du corps étant saines. La recherche de traitements mieux ciblés est donc un enjeu crucial dans la recherche médicale. C’est le cas des immunothérapies qui ciblent déjà les tumeurs mais se révèlent malheureusement encore inefficaces contre les tumeurs solides. En découvrant une nouvelle cible, l’équipe Stroma, inflammation et réparation tissulaire de l’Institut Pasteur change la donne.
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Cancer du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source
Depletion of slow-cycling PDGFRα+ADAM12+ mesenchymal cells promotes antitumor immunity by restricting macrophage efferocytosis, Nature immunology, October 5, 2023
https://doi.org/10.1038/s41590-023-01642-7