Christian Vigouroux, président du conseil d’administration de l’Institut Pasteur et le Professeur Sir Stewart Cole, directeur général de l’Institut Pasteur, analysent les temps forts de l’année. Entre maintien de l’équilibre financier et soutien aux projets scientifiques, 2021 est une année charnière.
Quel bilan tirez-vous de l’année 2021 ?
Christian Vigouroux : Le conseil d’administration a prouvé que l’architecture historique de l’Institut remplissait son office en alliant détermination, retenue et fluidité dans des rapports de confiance. Nous avons créé un comité de déontologie et de conformité, en plus du comité d’intégrité scientifique, aujourd’hui incontournable pour accompagner la science. L’Institut a initié les démarches de mise en conformité en ce qui concerne les données (RGPD) ou la prévention de la corruption (loi Sapin de 2016). Les partenariats engagés depuis plus de deux ans commencent à porter leurs fruits. C’est le cas avec Université Paris Cité ou au sein du Pasteur Network. L’Institut Pasteur est ainsi attractif, visité, lu et respecté. C’est la responsabilité première du conseil d’administration d’y veiller.
Christian Vigouroux, président du conseil d'administration de l'Institut Pasteur
L’Institut Pasteur est attractif, lu, visité et respecté. C’est la responsabilité première du conseil d’administration d’y veiller.
Stewart Cole : A cette solidité institutionnelle s’ajoutent nos succès scientifiques. Je salue notre mobilisation dans la crise Covid-19. Nos recherches contribuent fortement à la réponse nationale et internationale depuis deux ans. Le CNR (centre national de référence) Virus des maladies respiratoires réalise un travail considérable. Je pense aussi à nos belles réalisations en pathogénèse, sur le Covid long et dans les stratégies diagnostiques, vaccinales et thérapeutiques pour tous les variants. Nos travaux de modélisations ont apporté des informations essentielles pour le suivi de l’épidémie et pour guider les décisions. Nous avons aussi identifié et caractérisé un anticorps monoclonal neutralisant le SARS-CoV-2, efficace contre Omicron, en développement préclinique accéléré au sein de notre start-up SpikImm.
Dans un environnement scientifique de plus en plus concurrentiel, nous renforçons notre reconnaissance nationale et internationale.
Stewart Cole, directeur général de l'Institut Pasteur
Ces succès n’ont pas affecté l’équilibre des dépenses, n’est-ce pas ?
CV : Une fondation privée d’utilité publique est tenue à l’équilibre. Le conseil d'administration responsable des grands équilibres relève que, dans un contexte difficile, le directeur général et son équipe ont réussi à progresser vers l’équilibre du budget de l’Institut. Le redressement en cours est conforme à l’objectif du plan stratégique 2019-2023. L’équilibre est la base pour les conquêtes scientifiques de demain.
Quels objectifs scientifiques ont été atteints en 2021 ?
SC : Nous avons accueilli cinq nouveaux responsables de groupes à cinq ans engagés et talentueux. Dans l’environnement concurrentiel de la science, nous consolidons notre reconnaissance nationale et internationale. Cette notoriété est plus que jamais un atout, comme l’atteste la visite de Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis, et doit aider à développer la philanthropie à l’international. La nouvelle gouvernance du Pasteur Network participe à ce rayonnement, comme le renforcement de l’Institut dans l’écosystème de la recherche avec l’accord historique noué avec Université Paris Cité. Sans compter nos relations avec l’ANRS-MIE, le CNRS, l’Inserm et l’AP-HP. Et demain, je l’espère, avec le Crick, Oxford ou UCSF.
Dans cet écosystème, quels sont les sujets d’attention du conseil d’administration ?
CV : Nous sommes ambitieux et vigilants sur la place de l’Institut dans le nouveau paysage de la science et sur le recrutement des meilleurs scientifiques. Bien sûr aussi, à l’accès aux financements et programmes (dans les maladies infectieuses, par ex.). L’Institut doit aussi être attentif à sa capacité de changement et de rebond, ou encore redéfinir son apport à la recherche vaccinale. Rappelons-nous que notre statut privé permet des redéploiements rapides quand c’est nécessaire. Le conseil reste enfin attentif en permanence à la générosité du public, à la solidité de nos contrats et de nos subventions.
Un mot pour l’avenir ?
SC : Le label européen HR Excellence in Research, obtenu en 2021, reconnaît notre politique de recrutement et nos conditions de travail. Continuons donc à offrir de bonnes conditions de recherche et d’enseignement, pour attirer et former les jeunes chercheurs, et agissons pour améliorer la représentation des femmes parmi les cadres scientifiques. Au niveau scientifique, des leçons ont été tirées de la crise sanitaire. La question du changement climatique et son impact sur les futures émergences me semble majeure.
CV : L’important pour les futures années est que l’Institut réussisse à la fois à garder le cap d’une audace et d’une curiosité sans autre limite que ses possibilités à un moment donné et aussi à transformer ses méthodes, ses alliances et ses programmes chaque fois qu’une amélioration est à portée de main. Pasteur n’est jamais autant Pasteur que quand il se renouvelle dans ses projets scientifiques. Quant à la gouvernance, en octobre 2022 un nouveau président du conseil d’administration sera élu et fin 2023 le search committe avancera ses propositions pour la fonction de directeur général. Au-delà des personnes, Pasteur restera une des plus intéressantes structures qu’on puisse imaginer pour la science universelle.
Christian Vigouroux, président du conseil d'administration de l'Institut Pasteur
En octobre 2022, un nouveau président du conseil d’administration sera élu et, fin 2023, le search committe avancera ses propositions pour la fonction de directeur général.
Quelle vision scientifique avez-vous en particulier pour la prochaine décennie ?
SC : Je souhaite donner un cap clair et ambitieux à l’Institut Pasteur, dès l’année 2023 qui correspond à la fin de la période de mise en œuvre du Plan stratégique et aussi, il se trouve, à la fin de mon mandat. J’évoquais la question du changement climatique et des futures émergences. Il s’agit d’un enjeu central, qui nous engage à renforcer et à renouveler nos efforts de surveillance, et à repenser notre stratégie de préparation aux futures pandémies. Je place cette question au centre des grands défis pour l’avenir de l’Institut Pasteur à l’horizon 2030.
Le changement climatique et les futures émergences sont un enjeu central, qui nous engage à renforcer et à renouveler nos efforts de surveillance, et à repenser notre stratégie de préparation aux futures pandémies.
Stewart Cole, directeur général de l'Institut Pasteur
Cet enjeu de la lutte contre les émergences correspond à une expertise historique de l’Institut Pasteur. Cela fait un bel écho à l’œuvre de Louis Pasteur, et au bicentenaire de sa naissance en 2022, n’est-ce pas ?
CV : En effet, le bicentenaire est l’occasion de faire vibrer « l’esprit Pasteur » en chacun d’entre nous. Et cela dans le but de rester unis, imaginatifs et ouverts sur le monde. Nous sommes au service de la santé de tous, à travers la découverte des processus qui la mettent en péril, et en veillant scrupuleusement à susciter la confiance des populations. Prévenir et lutter contre les futures pandémies est un objectif éminemment « pasteurien ». J’ajouterai que cette célébration du bicentenaire doit, au-delà des incantations, être un hymne au futur, au risque, à la création, à la projection, là où on ne nous attend pas ou plus. J’espère aussi que l’Institut Pasteur sera présent et, si possible, initiateur de débats et de décisions en matière de recherche, en France et en Europe.
SC : Comme le dit notre président du conseil d’administration, « l’esprit Pasteur » anime et inspire encore aujourd’hui les hommes et les femmes qui travaillent ici à Paris et dans l’ensemble du Pasteur Network. Louis Pasteur est certes le fondateur de notre institut, mais surtout le précurseur d’une certaine façon de « faire de la recherche », soucieuse de mieux comprendre le vivant, d’améliorer la santé humaine, et de transmettre cette démarche et ces valeurs aux générations futures. C’est notre disposition pour s’atteler aux grands défis scientifiques de demain. La célébration du bicentenaire n’est pas qu’une autocélébration, mais une occasion de réfléchir à notre avenir.
Comment justement anticiper les autres futurs défis scientifiques à relever ?
SC : Nous allons commencer à être initiateur de débats en interne. Je lance en 2022 une démarche de réflexion partagée, de dialogue et d’ouverture vers l’extérieur, pour penser l’Institut Pasteur de demain.
Cet exercice collaboratif sera consultatif. Science et fonctions support seront invitées à partager expériences et idées, en s’appuyant sur l’accompagnement de professionnels. Les jeunes seront au cœur de cette démarche.
Les valeurs de Louis Pasteur continue donc à animer l’Institut.
CV : Nous voulons en effet que l’Institut Pasteur produise la meilleure science avec persévérance – une valeur chère à Louis Pasteur – et, je dirai presque, acharnement. Qu’il reste toujours plus ouvert sur l’international : les demandes de coopération avec l’Institut Pasteur sont nombreuses, et c’est un signe, qu’il s’agisse de l’Institut Pasteur à Paris ou du Pasteur Network. Enfin, que l’Institut Pasteur continue à attirer des jeunes mais aussi des scientifiques en milieu de carrière. Il s’agit de relever le défi de Simenon, qui imagine un chercheur sans finalité dans son roman Pietr-le-Letton, en 1931. Pourquoi chercher, pourquoi étudier ? « Étudier pour étudier comme ce professeur d’une université belge connaissant tous les dialectes d’extrême Orient (une quarantaine), mais n’ayant jamais mis les pieds en Asie et ne s’intéressant d’ailleurs pas aux peuples dont il disséquait le langage en dilettante. » Une telle attitude serait tout le contraire de l’esprit Pasteur : nous n’étudions pas en dilettante mais toujours au service de nos valeurs et pour servir la santé et l’avenir des personnes. Nous sommes tournés vers l’Institut Pasteur d’aujourd’hui mais plus encore vers l’Institut Pasteur de demain. Les décisions que nous prenons regardent le Pasteur des années 2030 et au-delà.