Des chercheurs ont découvert comment le coronavirus manipulent les protéines humaines pour sa propre réplication, et ont identifié plusieurs médicaments antiviraux prêts pour des essais cliniques.
Résumé
- Une équipe de recherche internationale a analysé comment le coronavirus, SARS-CoV-2, modifie les protéines de ses hôtes pour assurer la transmission virale.
- L’étude démontre comment le virus manipule la machinerie cellulaire, et quels composés actifs pourraient être efficaces pour contrer l’activité du virus.
- Les scientifiques ont identifié sept médicaments antiviraux, certains déjà approuvés par la FDA, qui pourraient être testés comme traitement contre le Covid-19 dans des essais cliniques.
26 juin 2020, Cambridge – Une équipe internationale de chercheurs a analysé la façon dont le SARS-CoV-2, virus responsable du Covid-19, modifie les protéines de ses cellules hôtes. L’étude publiée dans la revue Cell montre comment le virus détourne l’activité des cellules pour assurer sa propre réplication et infecter les cellules voisines. Les scientifiques ont également identifié sept médicaments qui pourraient entraver ces mécanismes, et ils préconisent que ces médicaments soient immédiatement testés dans des essais cliniques.
Cette collaboration comprend des scientifiques de l’Institut Européen de Bioinformatique du Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL-EBI), du groupe de recherche sur le coronavirus de l’Institut de Biosciences Quantitatives de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), de l’Institut Médical Howard Hughes, de l’Institut Pasteur, et de l’Université de Freiburg.
Les virus sont incapables de se répliquer et de se propager seuls : ils ont besoin d’un organisme – leur hôte – pour les transporter, les répliquer et les transmettre à d’autres hôtes. Pour encourager ce processus, les virus doivent prendre le contrôle de la machinerie cellulaire de leur hôte et la manipuler pour qu’elle produise de nouvelles particules virales. Il arrive que ce détournement interfère avec l’activité des enzymes et autre protéines de l’hôte.
Après qu’une protéine est produite, des enzymes peuvent affecter son activité en apportant des modifications chimiques à sa structure. Par exemple, la phosphorylation – l’addition d’un groupe phosphoryl à la protéine par un type d’enzymes appelées kinases – joue un rôle majeur pour la régulation de nombreux processus cellulaires, y compris la croissance et la mort d’une cellule ainsi que sa communication avec les cellules voisines. En altérant la phosphorylation des protéines de son hôte, un virus peut potentiellement assurer sa propre transmission à d’autres cellules, voire d’autres hôtes.
Les scientifiques ont utilisé la spectrométrie de masse, un outil permettant d’analyser les propriétés d’un échantillon en mesurant la masse de ses molécules et fragments moléculaires, pour déterminer quelles protéines virales et quelles protéines de l’hôte subissent un changement de phosphorylation après une infection de SARS-CoV-2. Ils ont trouvé que 12% des protéines de l’hôte qui interagissent avec le virus étaient modifiées. Les chercheurs ont également identifié les kinases les plus susceptibles de réguler ces modifications. Les kinases sont des cibles médicamenteuses potentielles pour arrêter l’activité du virus, et pour traiter le Covid-19.
Les caractéristiques extraordinaires des cellules infectées
“Le virus empêche les cellules humaines de se diviser, et les maintient dans un état intermédiaire du cycle cellulaire. Ceci procure un environnement stable au virus, idéal pour sa réplication”, explique Pedro Beltrao, chef de groupe à l’EMBL-EBI.
Le SARS-CoV-2 a un impact sur la division cellulaire, mais aussi sur la forme des cellules infectées. L’une des découvertes clés de cette étude est que les cellules infectées portent de longs filopodes, des extensions filamenteuses et ramifiées. Ces structures pourraient aider le virus à atteindre des cellules avoisinantes dans le corps humain et faire progresser l’infection, cependant des recherches supplémentaires seront nécessaire pour valider cette hypothèse.
“L’embranchement considérable des filopodes démontre encore une fois comment la compréhension de la biologie des interactions virus-hôte peut mettre en lumière de potentiels points faibles de la maladie”, dit Nevan Krogan, Directeur de l’Institut de Biosciences Quantitatives à l’UCSF et Chercheur Senior aux Instituts Gladstone.
Vieux médicaments, nouveaux traitements
“Les kinases possèdent certaines caractéristiques structurales qui font d’elles de bonnes cibles médicamenteuses. Certains médicaments ont déjà été développés pour cibler certaines des kinases que nous avons identifiées. Nous encourageons donc d’autres chercheurs à tester les effets antiviraux de ces médicaments dans des essais cliniques”, dit Beltrao.
Chez certains patients, le Covid-19 provoque une réaction excessive du système immunitaire menant à une inflammation. Un traitement optimal soulagerait ces symptômes inflammatoires tout en bloquant la réplication du virus. Des médicaments existants ciblant l’activité de certaines kinases pourraient permettre de résoudre ces deux problèmes.
Les scientifiques ont identifié des dizaines de médicaments qui ciblent les kinases d’intérêt et sont approuvés par l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration, FDA) ou en cours d’essais cliniques. Sept de ces composés, principalement anti-cancer ou anti-inflammatoires, démontrent des propriétés antivirales en laboratoire.
“Notre approche pour la découverte de médicaments a identifié un nouvel assortiment de médicaments qui offrent un grand potentiel pour combattre le Covid-19, soit individuellement ou en combinaison avec d’autres médicaments, et nous sommes impatients de voir s’ils vont contribuer à mettre fin à la pandémie”, dit Krogan.
“Nous espérons consolider nos découvertes en testant de nombreux autres inhibiteurs de kinases, tout en identifiant les mécanismes moléculaires de ces interactions et d'autres approches thérapeutiques qui pourraient combattre efficacement le Covid-19”, dit Kevan Shokat, Professeur au département de pharmacologie cellulaire et moléculaire de l'UCSF.
Avec l'autorisation de European Bioinformatics Institute (EMBL-EBI) | European Molecular Biology Laboratory
Source
BOUHADDOU, M., et al. (2020). The Global Phosphorylation Landscape of SARS-CoV-2 Infection. Cell. Publié en ligne DD MM; DOI: 10.1016/j.cell.2020.06.034
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
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