Les microbes représentent 95 % de la biodiversité du vivant. Pourtant lorsque sont évoqués les enjeux de préservation de la biodiversité, ces organismes invisibles ne sont que très peu évoqués. À l’occasion de la journée internationale de la biodiversité, Philippe Sansonetti, professeur émérite à l’Institut Pasteur et au Collège de France revient sur l'importance de prendre soin de cette biodiversité microbienne.
La surveillance des écosystèmes microbiens doit urgemment apparaître dans le narratif écologique
Philippe SansonettiProfesseur émérite à l’Institut Pasteur et au Collège de France
Pourquoi les microbes sont-ils souvent négligés lorsque nous abordons le sujet de la biodiversité ?
Philippe Sansonetti : La raison principale est qu’on ne les voit pas, pour les observer et apprécier leur diversité, il faut un intermédiaire : le microscope. Le monde des microbes, c’est « le monde de l’invisible » et « le monde du silence » à la fois. Comment exister lorsque l’on ne vous voit pas ou ne vous entend pas ? La biodiversité macroscopique et son altération est bien entendu plus évidente.
D’autre part, le monde des microbes est généralement perçu comme complexe, difficile à appréhender dans sa globalité et souvent négativement connoté, voire craint, en raison de la confusion entre microbes et pathogènes. Ces derniers représentent pourtant une infime minorité des microbes. Cette confusion a créé une « germophobie », souvent entretenue et exploitée à des fins commerciales.
Quel est l'état de nos connaissances concernant la diversité microbienne ?
P. S. : Tout d’abord, la biodiversité microbienne représente environ 95% de la biodiversité totale du vivant. C’est bien sûr énorme et cela représente un capital génétique massif garant de la résilience du monde vivant sur notre planète. Il existe des millions d’espèces microbiennes et l’exploration de la terre et des océans grâce aux outils modernes de la métagénomique révèle de façon soutenue des espèces jusqu’alors inconnues. Il n’existe pas d’endroit sur la planète, même dans les fumerolles des volcans, dans les abysses océaniques, dans les geysers bouillonnants qui n’aient leurs écosystèmes adaptés : ce sont les microbes « extrêmophiles ». Les microbes, dans leur extrême diversité assurent les grands cycles vitaux de la planète (CO2, méthane, azote), produisent une grande partie de notre oxygène, dépolluent terre et océans et assurent des symbioses vitales pour le monde animal et végétal.
Face à l'impact de l’humain sur l'environnement et le climat, la biodiversité microbienne est-elle également menacée ?
P. S. : Oui, mais le bilan de la réduction de la biodiversité microbienne doit maintenant être établi à l’échelle de l’immense diversité d’écosystèmes concernés. Sa dynamique spatiotemporelle doit être établie et ses effets doivent être démontrés scientifiquement. La surveillance des écosystèmes microbiens doit urgemment apparaître dans le narratif écologique et être inscrite à l’agenda des COP à venir. Rappelons simplement que les microbes représentent 16 % de la biomasse terrestre.
Quels sont les facteurs qui contribuent à l'appauvrissement de cette biodiversité ? Pourquoi est-il crucial de protéger cette diversité microbienne, et quelles sont les implications de sa perte pour les écosystèmes ?
P. S. : Ce sont des questions cruciales. Si l’on se réfère à ce qui vient d’être dit, l’altération de la biodiversité microbienne va affecter en négatif l’ensemble des processus mentionnés : cycles vitaux de la planète, capacités de dépollution, santé végétale, production agricole, santé animale et humaine. Prenons un exemple simple : si la biodiversité microbienne des sols est affectée – c’est en particulier le cas du fait des changements climatiques, en particulier du réchauffement – cela va altérer les symbioses microbiennes assurant, pour les plantes, la fixation d’azote pour la production d’acides aminés végétaux. Une altération de ces symbioses vitales pourrait être compensée par un apport massif d’engrais chimiques nitrés, ce qui n’est pas envisageable dans le contexte de crise écologique en cours.
Quelles sont les conséquences sur la santé humaine ?
P. S. : Vu du côté spécifiquement humain, il semble que la diversité en espèces du microbiote intestinal – le plus riche – ait diminué de moitié depuis l’émergence de l’anthropocène, particulièrement dans les pays industrialisés. Cette réduction est largement liée au mode de vie moderne : hygiène de l’eau et des aliments, antibiotiques, certains médicaments à effet antimicrobien « caché », polluants, stresseurs et déséquilibres alimentaires. L’usage non parcimonieux des antibiotiques, en particulier hors du champ de la médecine humaine et vétérinaire, a fait des antibiotiques des “polluants environnementaux” avec un double effet sur les écosystèmes microbiens humains : l’antibiorésistance et la réduction de diversité. Il faut sauver en même temps les microbes et les antibiotiques : vaste programme.
La perte de diversité du microbiote humain est associée à l’émergence de pathologies non transmissibles, dites post-modernes comme l’allergie, l’asthme, l’atopie1, l’obésité et le diabète, certaines maladies auto-immunes, les maladies inflammatoires de l’intestin, le cancer colorectal, etc. Les recherches portent activement sur la confirmation du rôle causal de cette perte de diversité microbienne dans l’augmentation d’incidence de ces maladies post-modernes.
La crise Covid a-t-elle changé le regard que nous portons sur les écosystèmes, notamment microbiens ? Et si oui, comment ?
P. S. : Difficile de répondre. Il faudrait des enquêtes bien menées auprès des publics. J’ose croire que cette crise pandémique laissera à nos concitoyens une connaissance plus précise de la diversité et de la capacité évolutive et adaptative phénoménale des virus, des moyens nécessaires pour s’en préserver, du rôle de barrière des microbiotes bactériens humains et animaux contre les infections virales, de ce concept « une seule santé » qui nous unit hommes, animaux, monde végétal dans un écosystème planétaire global partagé.
1 Prédisposition génétique au développement cumulé d'allergies courantes
Pour approfondir :
- Sansonetti P., Microbes sans frontières, Paris, éditions Odile Jacob, 2024
- Sansonetti P., Conférence au Collège de France, Évolution des écosystèmes microbiens sous la pression du changement climatique.
- Sansonetti P., Leçon inaugurale au Collège de France, Des microbes et des hommes. Guerre et paix aux surfaces muqueuses.