Chaque jour, la moelle osseuse fabrique des milliards de nouvelles cellules sanguines. Ce processus, l’hématopoïèse, consiste en une succession d’étapes, par lesquelles les cellules souches hématopoïétiques vont produire globules rouges, macrophages, lymphocytes… Le gène MYC et les mécanismes régulant son expression jouent un rôle majeur dans ces différentes étapes, mais sont aussi impliqués dans plusieurs types de leucémies, résultant d’une sur-expression de MYC dans les cellules sanguines. Des chercheurs ont déterminé que ce contrôle de l’hématopoïèse était assuré par une région génomique comprenant plusieurs amplificateurs d’expression (enhancers) située très loin de MYC. Dans certaines leucémies, il semble que la cellule sanguine cancéreuse utilise cet ensemble d’éléments régulateurs de manière anormale. Pouvoir moduler l’activité de cet ensemble pourrait donc constituer une voie dans le traitement de ce type de cancer résultant d’un détournement des programmes génétiques contrôlant la différenciation cellulaire.
Toutes les cellules de notre corps présentent la même constitution génétique, mais chacune d’elles a sa propre façon de l’utiliser. Certaines protéines, appelées facteurs de transcription, activent ou répriment l’expression des gènes. Elles contrôlent ainsi la formation des différents types de cellules en assurant que chacun exprime l’ensemble des gènes assurant leurs fonctions spécifiques.
MYC est un gène connu : « D’un côté, il agit comme un facteur de transcription nécessaire à la cascade des décisions qui conduit depuis une cellule souche hématopoïétique à la formation des toutes les cellules sanguines ; mais de l’autre, s’il est sur-exprimé, il peut conduire au cancer », explique François Spitz, responsable de l’unité de Génomique et épigénomique du développement des vertébrés à l’Institut Pasteur, précédemment chercheur au Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL). Or, les mécanismes précis de régulation des niveaux de MYC dans chaque type de cellule étaient jusqu’ici très peu connus. François Spitz et des chercheurs du Centre de recherche allemand en cancérologie (DKFZ), de l’Institut de technologie des cellules souches et de médecine expérimentale d’Heidelberg (HI-STEM), et de l’université de Toronto ont identifié une région génétique régulant l’activité du gène MYC dans les différents types de cellules sanguines. Les résultats de leurs travaux ont été publiés en début d’année dans la revue Nature.
Un amplificateur d’expression appelé BENC
Les chercheurs ont découvert qu’un ensemble de régulateurs d’expression, qu’ils ont appelé BENC (Blood ENhancer Cluster) était responsable du contrôle transcriptionel de Myc. « Si on enlève cette région BENC, dans les cellules hématopoïétiques souches présentes dans la moêlle osseuse, le gène Myc ne fonctionne plus », précise François Spitz. Si BENC avait échappé jusqu’à présent aux très nombreux chercheurs travaillant sur MYC, ce qu’il se trouve en fait dans une zone du chromosome très éloignée du gène MYC sur la carte du génome. Mais dans le noyau des cellules sanguines, le chromosome forme une sorte de boucle qui rapproche l’amplificateur BENC et Myc, permettant à BENC d’agir sur l’expression de MYC.
BENC présente une structure modulaire : il se compose de neuf blocs régulateurs. Chacun de ces modules recrute différents facteurs de transcription selon le type de cellule. La combinatoire de ces différents éléments permet à chaque cellule de produire le niveau exact de MYC nécessaire à sa fonction Ainsi, certains éléments de BENC vont agir principalement pour permettre aux cellules souches de produire les premiers progéniteurs des cellules sanguines, alors que d’autres vont assurer la maturation des lymphocytes
Du contrôle de la fabrication des cellules du sang à la leucémie
Après cette découverte, les chercheurs ont voulu savoir si BENC jouait également un rôle dans les cellules leucémiques. Il avait, par exemple, été constaté que, chez 5 à 6 % de patients souffrant d’une leucémie myéloïde aiguë (LMA), BENC était dupliqué dans les cellules cancéreuses ce qui pourrait déréguler l’activité de MYC. Une étude plus fine montre que chez certains patients, BENC semble activé de manière anormale dans les cellules leucémiques, et cette modification épigénétique est corrélée avec une hausse de l’expression de MYC, de ces gènes cibles, mais aussi avec le pronostic thérapeutique. Enfin, et de manière singulière, l’extinction de BENC chez des souris atteintes d’un modèle de leucémie conduit à une rémission durable de la maladie, montrant la dépendance des cellules leucémiques à cet élément régulateur.
« Ces résultats montrent comment un mécanisme normal – de fabrication des cellules sanguines, NDLR – peut devenir pathologique lorsqu’il est dérégulé », résume François Spitz. Dans la mesure où nous disposons déjà d’approches permettant d’influer sur l’activité d’amplificateurs, BENC pourrait même devenir une cible dans le cadre de thérapies inédites de lutte contre ce type de cancer du sang.
Source
A Myc enhancer cluster regulates normal and leukaemic haematopoietic stem cell hierarchies, Nature, 25 janvier 2018
Carsten Bahr1,2,3*, Lisa von Paleske1,2,3*, Veli V. Uslu4*, Silvia Remeseiro4, Naoya Takayama5,6, Stanley W. ng7, Alex Murison5,8, Katja Langenfeld4, Massimo Petretich4, Roberta Scognamiglio1,2,3, Petra Zeisberger1,2, Amelie S. Benk1,2,3, Ido Amit9, Peter W. Zandstra7†, Mathieu Lupien5,8, John E. Dick5,6, Andreas Trumpp1,2,3,10,11§ & François Spitz4,12,13
1. Division of Stem Cells and Cancer, German Cancer Research Center (DKFZ) and DKFZ-ZMBH Alliance, Im Neuenheimer Feld 280, 69120 Heidelberg, Germany.
2. Heidelberg Institute for Stem Cell Technology and Experimental Medicine (HI-STEM gGmbH), Im Neuenheimer Feld 280, 69120 Heidelberg, Germany.
3. Faculty of Biosciences, University of Heidelberg, 69120 Heidelberg, Germany.
4. Developmental Biology Unit, European Molecular Biology Laboratory (EMBL), 69117 Heidelberg, Germany.
5. Princess Margaret Cancer Centre, University Health Network, Toronto, Ontario M5G 2M9, Canada.
6. Department of Molecular Genetics, University of Toronto, Toronto, Ontario M5G 1A1, Canada.
7. Institute of Biomaterials and Biomedical Enginering, University of Toronto, Toronto, Ontario M5G 1A1, Canada.
8. Department of Medical Biophysics, University of Toronto, Toronto, Ontario M5G 2M9, Canada.
9. Department of Immunology, Weizmann Institute of Science, Rehovot 76100, Israel.
10. German Cancer Consortium (DKTK), 69120 Heidelberg, Germany.
11. Nationales Zentrum für Tumorerkrankungen (NCT), 69120 Heidelberg, Germany.
12. CNRS, UMR3738, 25 Rue du Dr Roux, 75015 Paris, France.
13. (Epi)genomics of Animal Development Unit, Developmental and Stem Cell Biology Department, Institut Pasteur, 75015 Paris, France.
†Present address: Michael Smith Laboratories, School of Biomedical Engineering, The University of British Columbia, #301 - 2185 East Mall, Vancouver, British Columbia V6T 1Z4, Canada.
*These authors contributed equally to this work.
§These authors jointly supervised this work.