En 1983, le VIH (le virus du sida) est isolé par des virologues de l’Institut Pasteur. Aucun traitement n’existe alors et les personnes infectées par le VIH meurent le plus souvent de cette nouvelle maladie. Mais en 1996, les trithérapies apparaissent dans les pays du Nord, et elles deviennent accessibles aux pays du Sud à partir de 2001. Pauline Londeix, ancienne vice-présidente d’Act-Up et co-fondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (Otmeds), se souvient.
Cette interview est la première d’une série consacrée aux témoignages de représentants d’associations de patients, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
Il faut s’inspirer de personnes comme Françoise Barré-Sinoussi [rétrovirologiste, prix Nobel de physiologie ou médecine et présidente de l’association Sidaction], ne pas oublier que l’innovation n’est rien si elle n’est pas accessible aux personnes qui en ont besoin.
Pauline LondeixAncienne vice-présidente d'Act-Up et co-fondatrice de l'Otmeds
Qu’est-ce qui a changé, en 40 ans, pour les personnes vivant avec le VIH ?
Pauline Londeix : Tout a changé. Au moment de la découverte du VIH, bien entendu, il n’y avait aucun traitement et peu de solution de dépistage. En 1996 sont arrivés des traitements qui maintenaient les personnes en vie, et aujourd’hui les traitements sont beaucoup moins « toxiques » pour l’organisme que les premières lignes d’antirétroviraux, ce qui a nettement amélioré la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH.
Et depuis 2021, on a même de nouveaux traitements injectables que l’on administre tous les deux mois. Donc on a eu un changement progressif des types de traitement et une amélioration continue de la qualité de vie des personnes qui vivent avec le VIH.
Quels évènements ont marqué ces dernières décennies ?
P. L. : Il y a deux dates majeures. La première date c’est 1996, avec l’arrivée des trithérapies dans les pays du Nord. C’est le moment où l’on se rend compte que trois molécules combinées ont un effet contre le virus.
Le deuxième évènement majeur c’est 2001-2002, avec la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui permet à des pays à bas et moyens revenus d’avoir accès à des traitements. C’est-à-dire que le Fonds mondial finance des traitements et des programmes de prévention pour des personnes dans tous les pays du Sud.
Vous avez apporté une série de photos. Quelle est leur histoire ?
P. L. : Cette série de photos incarne qui est Françoise Barré-Sinoussi [rétrovirologiste, prix Nobel de physiologie ou médecine et présidente de l’association Sidaction] et ce qu’elle a fait depuis la découverte du virus. La première photo a été prise au Cap en 2009. Françoise intervenait en plénière de clôture de la Conférence internationale sur le sida et les activistes sud-africains lui avaient demandé de porter leur tee-shirt « HIV positive ». Elle avait revêtu ce tee-shirt rouge et avait dit « HIV is not in recession » pour montrer que la lutte contre le sida ne pouvait pas s’arrêter en raison d’une crise financière.
Sur cette autre photo, on voit Françoise au milieu de personnes vivants avec le VIH en Asie du Sud et du Sud-Est. Elle symbolise pour moi le fait que Françoise a toujours voulu connecter l’excellence de la science à l’accès aux traitements, c’est-à-dire que, pour elle, la science n’est rien si le fruit de la science n’est pas accessible aux personnes qui en ont besoin. Et c’est ce qui m’a beaucoup touché dans toutes les interactions que j’ai pu avoir avec elle.
Les deux dernières photos ont été prises lors de la Conférence internationale sur le sida de Melbourne, en 2014. À partir de 2010, on a commencé à échanger sur l’hépatite C avec Françoise parce que cela devenait progressivement la première cause de mortalité des personnes vivant avec le VIH. Le problème, c’est que le traitement existant était extrêmement toxique et que le taux de succès thérapeutique était inférieur à 50 %. On attendait donc avec impatience de nouveaux traitements, qui sont arrivés en 2013-2014, et que l’on souhaitait rendre accessibles à tous. Françoise a donc souhaité que je vienne à Melbourne pour essayer de décrypter les stratégies des firmes pharmaceutiques sur ces nouveaux traitements et pour réfléchir à d’autres stratégies permettant de rendre les génériques accessibles à une grande partie de la planète.
Quel message voulez-vous adresser aux chercheurs, à la société ?
P. L. : Il faut s’inspirer de personnes comme Françoise Barré-Sinoussi, ne pas oublier que l’innovation n’est rien si elle n’est pas rendue accessible aux personnes qui en ont besoin. Aujourd’hui, la communauté internationale a les moyens de garantir le droit fondamental à la santé, et il faut que ce droit-là soit mis en œuvre partout dans le monde et ne pas le perdre de vue quand on mène des politiques ou des recherches dans les pays du Nord ou du Sud.