Volet moins connu mais tout aussi essentiel dans la gestion et la réponse à une épidémie, les sciences sociales en santé apportent un éclairage sur la compréhension, la perception et l’acceptation des risques liés aux maladies par les populations. La pandémie de Covid-19 ne fait pas exception. Etendue au monde entier, des différences nettes de perceptions de la maladie par les populations ont été observées selon les pays. Un véritable terrain d’investigation pour les chercheurs en sciences sociales en santé.
Les sciences sociales sont un ensemble de disciplines académiques (anthropologie, sociologie, communication, économie, etc.) ayant en commun l'étude du social humain, et des interactions sociales entre les individus, les groupes et leurs environnements.
Lors de l’épidémie d’Ebola en 2015, les procédures de soins et la gestion sécurisée des enterrements allaient à l’encontre de certaines pratiques culturelles et religieuses, provoquant une défiance très forte des populations à l’égard des interventions et des personnes en charge de les mener. Pour s’assurer de la réussite de la gestion de cette épidémie, les sciences sociales de la santé sont devenues essentielles, l’étude de la perception et de l’acceptabilité ou non de certains soins/pratiques par une population donnée permettant d’organiser, dans le dialogue, une réponse, la plus adéquate possible, aux besoins et contextes spécifiques.
L’importance de donner la parole à des groupes de population sur leurs perceptions de l’épidémie de Covid-19
En effet, depuis une vingtaine d’années, les sciences sociales s’intéressent aux questions de préparation et de réponses aux épidémies (perceptions de la maladie, des tests, des mesures de distanciation sociale, de la vaccination, impact des fausses rumeurs, etc) et apportent leur support aux autorités sanitaires dans l’élaboration des réponses à apporter face aux menaces épidémiques, les premières recherches ayant porté sur les questions sociales des personnes atteintes du VIH : perception, stigmatisation, observance des traitements, etc.
Les études de sciences sociales en santé sont principalement effectuées au niveau national. Il est pourtant intéressant d’élargir le spectre de ces études à une échelle plus grande. Le programme REPAIR, (Recherche Pasteurienne Internationale en Réponse au Coronavirus en Afrique) mené depuis 2020 dans 10 instituts d’Afrique membres du Pasteur Network, vise à comprendre la circulation du SARS-CoV-2 sur le continent. Le volet sciences sociales du projet s’intéresse plus particulièrement au dispositif de test et à la manière dont il est compris et vécu par 3 catégories de population dans 4 pays : professionnels de la santé, individus ayant été testés et population générale.
Ce projet de recherche réunit autour d’un protocole commun 4 membres du Pasteur Network (Côte d’Ivoire, Madagascar, Niger et Tunisie), pour lesquels les environnements, les contextes politiques, épidémiologiques et culturels sont différents afin de réaliser une étude socio-anthropologique comparative.
« Il est essentiel d’avoir un cadre commun pour écrire des recommandations aux autorités de santé, néanmoins nous nous sommes laissé une souplesse au regard des spécificités nationales », explique Dr Chiarella Mattern, Responsable équipe Santé & Sciences Sociales, Unité d’Epidémiologie et de recherche clinique, Institut Pasteur de Madagascar, et responsable de la composante sciences sociales du projet REPAIR.
L’objectif de cette étude est de collecter des données qualitatives à travers des entretiens approfondis avec les acteurs de la problématique.
Au total, chaque institut (CERMES, Institut Pasteur de Côte d’Ivoire, Institut Pasteur de Madagascar et Institut Pasteur de Tunis) a interrogé trois groupes de populations : les personnels soignants, les personnes testées et la population générale. Les personnels soignants se sont exprimés sur leur vécu de la maladie, sur les pratiques de soins, les difficultés rencontrées dans la lutte contre la Covid-19, la vaccination et sur l’impact de l’épidémie dans leur quotidien. Les personnes testées, elles, se sont exprimées sur leur compréhension et leur perception de ces tests. Les entretiens en population générale permettront de recueillir des données sur les connaissances sur la Covid 19, les recours et pratiques de dépistage ainsi que le vécu des mesures de prévention instaurées par les différents gouvernements.
A l’heure actuelle, l’Institut Pasteur de Madagascar, celui de Cote d’Ivoire et l’Institut Pasteur de Tunis ont terminé la collecte des données, la saisie est en cours. Le CERMES lui a pris un peu d’avance et rédige un premier rapport.
A cela s’ajoute une contextualisation nationale de l’épidémie pour mieux comprendre les données. Pour ce faire, chacun des quatre instituts s’est engagé à constituer une frise chronologique avec les évènements majeurs (fermeture des frontières, dates des confinements, etc.) retracées grâce aux revues de presse et à une analyse des discours des autorités sanitaires. L’ensemble des résultats sera publié à l’été 2022.
Le premier réseau de sciences sociales en santé dans le Pasteur Network
Au sein du Pasteur Network, seuls deux instituts ont une équipe structurée en sciences sociales appliquées à la santé : l’Institut Pasteur à Paris et l’Institut Pasteur de Madagascar. Ces dix dernières années, de nombreux projets de recherche en sciences humaines en santé (SHS) ont été développés au sein du Pasteur Network touchant une grande diversité de thématiques : santé maternelle et infantile, maladies infectieuses, etc.
Le projet REPAIR, dans lequel une composante est dédiée aux sciences sociales, permet aujourd’hui d’officialiser ce cadre de travail. Il est essentiel que chaque chercheur en SHS, le plus souvent isolé dans son pays, puisse connaitre ses homologues dans le Pasteur Network et constituer un réseau d’expertise.
Dans un premier temps l’objectif est d’identifier les personnes clés, de déterminer les besoins de chacun (formation, mise en réseau, etc.) et de partager l’expérience (thématiques de recherches, bailleurs, partenaires, méthodologies mobilisées). Dans un second temps l’ambition est de structurer un réseau de chercheurs en sciences sociales appliquées à la santé dans le réseau Pasteur Network, afin notamment de multiplier les opportunités de valoriser les recherches conduites en créant un espace d’échanges scientifiques stimulant sur des problématiques communes.
« Ces dernières années les épidémies d’Ebola, de peste à Madagascar en 2017, et de Covid-19 ont mis en lumière l’importance de notre discipline dans la préparation et la réponse aux dimensions sociales des épidémies, à savoir notamment l’analyse des facteurs de réussite ou d’échecs des interventions en santé publique, analyse des rumeurs et des recours aux soins. Etant donné l’impact que peuvent avoir les comportements en santé des individus sur la réussite des interventions en santé publique, il est nécessaire d’intégrer des recherches anthropologiques dans les activités de préparation et réponses aux épidémies, et la recherche en santé plus globalement » conclut Dr Chiarella Mattern.